tant d'ardeur pour la Liberté, & tant d'inclination à la Servitude; une fi forte envie d'eftre heureux, & une fi grande incapacité de l'eftre? Il fau droit que les Gens de la Luneeuffent bien de l'efprit, s'ils devinoient tout ecla. Nous nous voyons inceffamment nous mefmes, & nous en fommes encore à deviner comment nous fommes faits. On a efté reduit à dire que les Dieux eftoient pleins de Nederlois qu'ils firent les Hommes, & que iquand ils vinrent à res garder leur Ouvrage de fens froid, ils ne pûrent s'empefcher d'en rire. Nous voila donc bien en feureté du côté des Gens, de la Lune, dit la Marquife ils ne nous devineront pas; mais je voudrois que nous les puffions deviner, car en veritè cela inquiete de fçavoir qu'ils font là-haut, dans cette Lune que nous voyons, & de ne pouvoir pas fe figurer comment ils font faits. Et pourquoy répondis-je, n'avez-vous point d'inquietude fur les Habitans de cette grande Terre Auftrale qui nous eft encore entierement inconnuë? Nous fommes portez eux & nous fur un mefme

mefine Vaiffeau dont ils occupent la Proue, & nous la Pouppe. Vous voyez que de la Pouppe à la Prove il n'y a aucune communication, & qu'à un bout du Navire on ne fçait point quelles Gens font à l'autre, ny ce qu'ils y font; & vous voudriez fçavoir ce qui fe paffe dans la Lune. dans cet autre Vaiffeau qui flotte loin de nous par les Cieux?

Oh! reprit-elle, je compte les Habitans de la Terre Auftrale pour connus, parce qu'affurément ils doivent nous reffembler beaucoup, & qu'en fin on les connoîtra quand on voudra fe donner la peine de les aller voir; ils demeureront toujours là, & ne nous échaperont pas; mais ces Gens de la Lune, on ne les connoiftra jamais, cela eft defefperant. Si je vous répondois ferieulement, repliquay je, qu'on ne fcant ce qui arrivera vous veus mocqueriez de moy, & je le meriterois fans doute.' Cependant je me défendrois affez bien, fi je voulois. Pay une penfée tres ridicule, qui a un air de vrayfemblance qui me furprend; je ne fçay où elle peut l'avoir pris, eftant' D 5 auffi

auffi impertinente qu'elle eft. Je gage que je vais vous reduire avouer contre toute raifon, qu'il pourra y ayoir un jour du commerce entre la Terre & la Lune. Remettez-vous dans l'efprit l'eftat, ou étoit l'Amerique avant qu'elle cuff efté découverte par Cristophle Colomb, Ses Habitans vivoient dans une ignorance extrême. Loin de connoître les Sciences, ils ne connoifloient pas les Arts les plus fimples, & les plus neceffaires, Ils allojent nuds, ils n'avoient point d'autres armes que l'Arc, ils n'avoient jamais conceu. que des hommes püffent cftre portez par des, Animaux, ils regardoient la Mer comme un grand cfpace deffendu aux hommes, qui fe joignoit au. Ciel, & au delà duquel il n'y avoit rien. Il' eft vray qu'aprés, avoit paffe 11 SYRY paflé des années entieres à creuser letrone d'un gros arbre avec des pierres tranchantes, ils le mettojent für Mer. dans ce tronc & alloient terre åter re portez par le vent & par les flots Mais comme ce Vailleau, eftoit fujet, à eftre fouvent, renversé, il faloit qu'ils fe miflent, aufli-toft à la page pour

D.

pour le ratraper & à proprement parler, ils nageoient toujours, horf mis le temps qu'ils s'y délafloient. Qui Tear cuft dit qu'il y avoit une forte de Navigation incomparablement plus parfaite, qu'on pouvoit traverser cette étendue infinie d'eaur de tel cofté & de tel fens qu'on vouloit, qu'on s'y pouvoit arrefter fans mouvement au milieu des Flots émeus, qu'on eftoit maiftre de la viteffe avec laquelle on alloit, qu'enfit cette Mer quelque vafle qu'elle fuft, n'eftoit point un obstacle à la communication des Peuples, pourveu feulement qu'il y euft des Peuples au delà, vous pouvez conter qu'ils me, l'euffent jamais creu. Cependant voilà un beau jour le Spectacle da monde le plus eftrange & le moins attendu qui fe prefente à eux. De grands corps énormes qui paroiffent

qui

avoir des ailles Blanches du feu de

fur la Mer, qui vomiffent du feu de toutes parts, & qui viennent jetter fur le rivage des Gens inconnus tout écaillez de fer, difpofant comme ils. veulent des Monftres qui courent fous eur, & tenant en leur main des Fou D 6 dress

dres dont ils terraffent tout ce qui leur refifte. D'où font-ils venus ? Qui a pû les amener par deffus les Mers? Qui a mis le feu en leur difpofition? Sont ce des Dieux? Sontce les Enfans du Soleil? car affurément ce ne font pas des Hommes. Je ne çay, Madame, fi vous entrez comme moy, dans la furprife des Ameriquains, mais jamais il n'en peut avoir eflé une pareille. Aprés cela, je ne veux plus jurer qu'il ne puiffe y avoir commerce quelque jour entre la Lune & la Terre. Les Ameriquains cuflent-ils creu qu'il y en cuft dû avoir entre l'Amerique & l'Europe qu'ils ne connoiffoient feu

ment pas? Il eft vray qu'il faudra traverfer ce grand efpace d'Air & de Ciel qui eft entre la Terre & la Lune; mais ces grandes Mers pa roiffoient elles aux Ameriquains plus propres à eftre traversées? En verite, dit la Marquife en me regardant, Vous effes fou. Qui vous dit le contraire, répondis-je? Mais je veux vous le prouver, reprit-elle, je ne me contente pas de l'aveu que vous en faites. Les Ameriquains eftoient fi

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