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» a violé les règles de l'art, vous oblige de lui avouer » qu'il a un secret, qu'il a mieux réussi que l'art » même; et ne vous niant pas qu'il a trompé toute » la cour et tout le peuple, ne vous laisse conclure » de là sinon qu'il est plus fin que toute la cour et » tout le peuple, et que la tromperie qui s'étend à » un si grand nombre de personnes est moins une » fraude qu'une conquête. Cela étant, monsieur, je » ne doute point que messieurs de l'académie ne se » trouvent bien empêchés dans le jugement de votre » procès, et que d'un côté vos raisons ne les ébranlent, » et de l'autre l'approbation publique ne les retienne. » Je serais en la même peine si j'étais en la même » délibération et si de bonne fortune je ne venais » de trouver votre arrêt dans les registres de l'anti» quité. Il a été prononcé, il y a plus de quinze » cents ans , par un philosophe de la famille stoïque, » mais un philosophe dont la dureté n'était pas im» pénétrable à la joie, de qui il nous reste des jeux » et des tragédies, qui vivait sous le règne d'un em» pereur poëte et comédien, au siècle des vers et de » la musique. Voici les termes de cet authentique » arrêt, et je vous les laisse interpréter à vos dames, » pour lesquelles vous avez bien entrepris une plus » longue et plus difficile traduction: Illud multum » est primo aspectu oculos occupasse, etiamsi con

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» templatio diligens inventura est quod arguat. Si »me interrogas, major ille est qui judicium abs» tulit quàm qui meruit. Votre adversaire y trouve » son compte par ce favorable mot de major est; et » vous avez aussi ce que vous pouvez desirer » sirant rien, à mon avis, que de prouver que judi» cium abstulit. Ainsi vous l'emportez dans le cabinet, » et il a gagné au théâtre. Si le Cid est coupable, » c'est d'un crime qui a eu récompense; s'il est puni, » ce sera après avoir triomphé; s'il faut que Platon » le bannisse de sa république, il faut qu'il le cou>> ronne de fleurs en le bannissant et ne le traite » point plus mal qu'il a traité autrefois Homère. Si » Aristote trouve quelque chose à desirer en sa con» duite, il doit le laisser jouir de sa bonne fortune, » et ne pas condamner un dessein que le succès a » justifié. Vous êtes trop bon pour en vouloir daván» tage vous savez qu'on apporte souvent du tempé» rament aux lois, et que l'équité conserve ce que » la justice pourrait ruiner. N'insistez point sur cette » exacte et rigoureuse justice. Ne vous attachez point » avec tant de scrupule à la souveraine raison : qui » voudrait la contenter et satisfaire à sa régularité, » serait obligé de lui bâtir un plus beau monde que » celui-ci : il faudrait lui faire une nouvelle nature » des choses, et lui aller chercher des idées au-dessus » du ciel. Je parle, monsieur, pour mon intérêt ; si vous

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PRÉFACE DU COMMENT.

» la croyez, vous ne trouverez rien qui mérite d'être » aimé ; et par conséquent je suis en hasard de perdre » vos bonnes graces, bien qu'elles me soient extrẻ» mement chères, et que je suis passionnément, mon» sieur, votre, etc. »

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C'est ainsi que Balzac retiré du monde et plus impartial qu'un autre, éorivait à Scudéri son ami, et osait lui dire la vérité. Balzac, tout ampoulé qu'il était dans ses lettres avait beaucoup d'érudition et de goût, connaissait l'éloquence des vers, et avait introduit en France celle de la prose. Il rendit justice aux beautés du Cid; et ce témoignage fait honneur à Balzac et à Corneille.

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LA DUCHESSE D'AIGUILLON 1).

MADAME,

Ce portrait vivant que je vous offre représente un héros assez reconnoissable aux lauriers dont il est couvert. Sa vie a été une suite continuelle de victoires; son corps porté dans son armée a gagné des batailles après sa mort, et son nom au bout de six cents ans vient encore triompher en France. Il y a trouvé une réception trop favorable pour se repentir d'être sorti de son pays, et d'avoir appris à parler une autre langue que la sienne. Ce succès a passé mes plus ambitieuses espérances, et m'a surpris d'abord; mais il a cessé de m'étonner depuis que j'ai vu la satisfaction que vous avez témoignée quand il a paru devant vous. Alors j'ai ose me promettre de lui tout ce qui en est arrivé; et j'ai cru qu'après les éloges dont vous l'avez honoré, cet applaudissement universel ne lui pouvoit manquer. Et véritablement, madame, on ne peut douter avec raison de ce que vaut une chose qui a le bonheur de vous plaire; le jugement que vous

1) Marie Magdeleine de Vignerot, fille de la sœur du cardinal, et de René de Vignerot, seigneur de Pontcourley. Elle épousa le marquis du Roure de Combalet, et fut dame d'atour de la reine. Elle fut duchesse d'Aiguillon de son chef sur la fin de 1637.

Cette épître dédicatoire lui fut adressée au commencement de 1637; elle y est nommée madame de Combalet; et dans l'édition de 1638 on voit le nom de madame la duchesse d'Aiguillon.

en faites est la marque assurée de son prix: et comme vous donnez toujours libéralement aux véritables beautés l'estime qu'elles méritent, les fausses n'ont jamais le pouvoir de vous éblouir. Mais votre générosité ne s'arrête pas à des louanges stériles pour les ouvrages qui vous agréent; elles prend plaisir à s'étendre utilement sur ceux qui les produisent, et ne dédaigne point d'employer en leur faveur ce grand crédit 1) que votre qualité et vos vertus vous ont acquis. J'en ai ressenti des effets qui me sont trop avantageux pour m'en taire, et je ne vous dois pas moins de remercimens` pour moi que pour le Cid. C'est une reconnoissance qui m'est glorieuse, puisqu'il m'est impossible de publier que je vous ai de grandes obligations, sans publier en même-tems que vous m'avez assez estimé pour vouloir que je vous en eusse. Aussi, madame, si je souhaite quelque durée pour cet heureux effort de ma plume, ce n'est point pour apprendre mon nom à la postérité, mais seulement pour laisser des marques éternelles de ce que je vous dois, et faire lire à ceux qui naîtront dans les autres siècles, la protestation que je fais d'être toute ma vie,

MADAME,

Votre très-humble, très-obéissant et très-obligé serviteur

P. CORNEILLE.

1) La duchesse d'Aiguillon avait un très-grand crédit en effet sur son oncle le cardinal; et sans elle Corneille aurait été entièrement disgracié. Il le fait assez entendre par ces paroles. Ses ennemis acharnés l'avaient peint comme un esprit altier qui bravait le premier ministre, et qui confondait dans un mépris général leurs ouvrages et le goût de celui qui les protégeait. La duchesse d'Aiguillon rendit dans cette affaire un aussi grand service à son oncle qu'à Corneille; elle lui sauva dans la postérité la honte de passer pour l'approbateur de Colletet, et l'ennemi du Cid, et de Cinna.

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