페이지 이미지
PDF
ePub

A L'ACADÉMIE FRANÇOISE.

MESSIEURS,

PUISQUE M. Corneille m'ôte le

veut que

masque, et qu'il l'on me connoisse, j'ai trop accoutumé de paroître parmi les personnes de qualité, 1)' pour vouloir encore me cacher : il m'oblige peutêtre en pensant me nuire; et si mes observations. ne sont pas mauvaises, il me donne lui-même une gloire dont je voulois me priver. Enfin, messieurs, puisqu'il veut que tout le monde sache que je m'appelle SCUDERI, je l'avoue. Mon nom, que d'assez honnêtes gens ont porté avant moi ne me fera jamais rougir, vu que je n'ai rien fait, non plus qu'eux, d'indigne d'un homme d'honneur. Mais comme il n'est pas glorieux de frapper un ennemi que nous avons jeté par terre, bien qu'il nous dise des injures, et qu'il est comme juste de laisser la plainte aux affligés, quoiqu'ils soient coupables, je ne veux point repartir à ses outrages par d'autres, ni-faire, comme lui, d'une

1) Ce Scudèri est un modeste personnage!

que

dispute académique, une querelle de crocheteur, ni du Lycée un marché public. Il suffit qu'on sache que le sujet qui m'a fait écrire est équitable, et qu'il n'ignore pas lui-même que j'ai raison d'avoir écrit. Car de vouloir faire croire que l'envie a conduit ma plume, c'est ce qui n'a non plus d'apparence que de vérité, puisqu'il est impossible que je sois atteint de ce vice pour une chose où je remarque tant de défauts, qui n'avoit de beautés que celles que ces agréables trompeurs qui la représentoient lui avoient prêtées, et Mondori, la Villiers, 1) et leurs compagnons, n'étant pas dans le livre comme sur le théâtre, le Cid imprimé n'étoit plus le Cid que l'on a crù voir. Mais puisque je suis, sa partie, j'aurois tort de vouloir être son juge, comme il n'a pas raison de vouloir être le mien. De quelque nature que soient les disputes, il y faut toujours garder les formes; je l'attaque, il doit se défendre, mais vous nous devez juger. Votre illustre corps, dont nous ne sommes ni l'un ni l'autre, est composé de tant d'excellens hommes, que sa vanité seroit bien plus insupportable que celle dont il m'accuse, s'il ne vouloit pas s'y soumettre comme je fais. Que si l'un de nous deux devoit

1) Célèbres comédiens du tems des premières représentations du Cid, auxquels Scudéri prétend attribuer le succès de cette pièce.

récuser quelques-uns de vous autres, ce seroit moi qui le devrois faire, puisque je n'ignore pas, malgré l'ingratitude qu'il a fait paroître pour vous, en disant qu'il ne doit qu'à lui seul toute sa renommée, 1) que trois ou quatre de cette célèbre compagnie lui ont corrigé plusieurs fautes qui parurent aux premières représentations de son poëme, et qu'il ôta depuis par vos conseils. Et sans doute vos divins esprits, qui virent toutes celles que j'ai remarquées en cette tragi-comédie, qu'il appelle son chef-d'œuvre, m'auroient ôté en le corrigeant le moyen et la volonté de le reprendre, si vous n'eussiez été forcés d'imiter adroitement ces médecins qui, voyant un corps dont toute la masse du sang est corrompue, et toute la constitution mauvaise se contentent d'user de remèdes palliatifs, et de faire languir et vivre ce qu'ils ne sauroient guérir. Mais, messieurs comme vous avez fait voir votre bonté pour lui, j'ai droit d'espérer en votre justice. Que monsieur Corneille paroisse donc devant le tribunal où je le cite, puisqu'il ne peut lui être suspect ni d'injustice ni d'ignorance; qu'il s'y défende de plus de mille choses dont je l'accuse en mes observations; et lorsque vous nous aurez en

[ocr errors]

1) Vers que Corneille avait mis dans une pièce intitulée Excuses à Ariste, et qui lui attira un trèsgrand nombre d'ennemis qui écrivirent contre lui.

, par

tendus, si vous me condamnez, je me condamnerai moi-même, je le croirai ce qu'il se croit, je l'appellerai mon maître, et par un livre de rétractations, je ferai savoir à toute la France que je sais que je ne sais rien. Mais, à dire vrai, j'ai bien de la peine à croire qu'il veuille descendre du premier rang, où beaucoup, dit-il, l'ont placé, jusqu'au pied du trône que je vous élève, et reconnoître pour juges ceux qu'il appelle ses inférieurs la bouche de ces honnêtes gens qui n'ont point de nom, et qui ne parlent que par la sienne. Il se contentera peut-être d'avoir dit en général que j'ai cité faux, et que je l'ai repris sans raison; mais je l'avertis que ce n'est point par un effort si foible qu'il peut se relever, puisque dans de jours une nouvelle édition de mon ouvrage me donnera lieu de le faire rougir de la fausseté qu'il m'impose, en marquant tous les auteurs et tous les passages que j'ai allégués, et que vous, qui savez ce qu'il ignore, savez bien être véritables. Ce n'est pas que je ne souhaitasse qu'il dît vrai, parce que mes censures étant fortes et solides, j'aurois en moi-même les lumières que je n'ai fait qu'emprunter de ces grands hommes de l'antiquité; et, sans la métempsycose de Pythagore, Scudéri auroit eu l'esprit d'Aristote, dont il confesse qu'il est plus éloigné que le ciel ne l'est de la terre. Mais quelque foiblesse qui soit en moi, qu'il vienne, qu'il voie, et qu'il vainque, s'il peut;

peu

soit qu'il m'attaque en soldat, 1) soit qu'il m'attaque en écrivain, il verra que je me sais défendre de bonne grace, et que si ce n'est en injures, dont je ne me mêle point, il aura besoin de toutes ses forces. Mais s'il ne se défend que par des paroles outrageuses, au lieu de payer de raisons, prononcez, messieurs, un arrêt digne de vous, qui fasse savoir à toute l'Europe que le Cid n'est point le chef-d'œuvre du plus grand homme de France, mais oui bien la moins judicieuse pièce de monsieur Corneille. Vous le devez, et pour votre gloire en particulier, et pour celle de notre nation en général, qui s'y trouve intéressée, vu que les étrangers qui pourroient voir ce beau chef-d'œuvre, eux qui ont eu des Tasses et des Guarini, croiroient que nos plus grands maîtres ne sont que des apprentifs. C'est la plus importante et la plus belle action publique par où votre illustre académie puisse commencer les siennes : tout le monde l'attend de vous, et c'est pour l'obtenir que je vous présente cette juste requête.

1) Rodomontade de M. de Scudéri.

« 이전계속 »