LIVRE TROISIE' ME. POESIES MORALES.
EPITRE
A M. CONRART.
ONRART, je fens ma verve, & la Mufe m'infpire
Je ne fçai quelle humeur d'Epître où de Satire.“.
Ecoute-moi de grace, & pour quelques momens Quitte livres, amis, lettres, & complimens. Le Ciel qui voit la terré au vice abandonnée, Les monftres adorés, la vertu détrônée, Même au pied des Autels régner l'impieté, Et parmi les humains tant d'inhumanité, Güj
Les condamne ici-bas à vieillir pour leurs crimes, De la gloire, ou de l'or miferables victimes. Quelques-uns feulement fes plus chers favoris, Bons citoiens, bons fils, bons freres, bons maris Comme toi, cher Conrart, francs de toute autre envie,
Ont loifir de goûter les plaisirs de la vie.
Les beaux jours du Printems, l'Automne avec fes fruits,
Le cours des mois, des ans,& des jours,& des nuits, La fraicheur des vallons, l'abondance des plaines, Le fouffle des Zephirs, le doux bruit des fontaines, Des oiseaux amoureux les mignardes chansons, Tout l'Univers entier nous crie en cent façons : Vivez & benissez celui qui vous fait vivre. Mais nous n'en ferons rien; il vaut mieux faire un livre-;
Il vaut mieux s'enrichir; nos parens, nos neveux Nous auront dans la bouche, & nous croiront heureux.
L'un compofe un Roman,un Poëme,une Hiftoire, Cherchant de tous côtés le chemin de la gloire : En vain, car fes écrits meurent fans faire bruit ; Peu de tems les a faits, peu de tems les détruit. L'autre, qui plus fenfé n'entreprend qu'un ouvrage,
Choifit mot après mot, revoit page après page, A toute heure,en tous lieux rumine fon deffein, Le lime, le polit, en retire la main,
Puis l'y met de nouveau: tel que l'Aftre du monde, Qui fur le dos voûté de la machine ronde Repaffant mille fois & mille fois encor
Du plomb fait de l'argent, du cuivre fait de l'or." Le voilà fur les pas de Virgile & d'Hoface. Oui fon nom refpectable ira de race en race; Mais cependant ô fiécle! ô fort trop inhumain ! Un ouvrage immortel le fait mourir de faim. Tel qui fait, fans penfer à ces races futures, Au lieu de bons écrits, de groffes écritures Qu'on achéte par rôle, & tel de qui l'emploi Confiste à bien voler le Public & le Roi, Ont bien plus de profit, font bien plus à leur aife. Mais, Mufe, qu'as-tu dit? Mufe, ne t'en déplaise, Prens l'éponge à la main, efface tous ces mots, Car tu viens de parler comme parlent les fots. Quoi? font-ils à leur aife, eux de qui l'abondance N'eft, pour en bien parler,qu'une haute indigence, Qui demandent toujours, qui jufques au trépas Méprifent ce qu'ils ont, cherchent ce qu'ils n'ont
Ce fou voit tout à lui, tout le monde lui donne. Un peuple de valets nuit & jour l'environne; Et fa vafte maison d'un & d'autre côté Ceinte de grands jardins refpire en liberté, Cependant tout lui nuit, lui déplait, l'importune. Impudent, ofes-tu t'en prendre à la fortune! Toi qui dans ton palais es fervi comme un Roi, Et de qui les cochers font mieux vêtus que moi ?
Scais-tu ce qu'il te faut, dans l'ennui qui te preffer Un peu moins de fotise, un peu moins de richesse.
A SAPH O.
DON je ne dois plus prétendre
D'arriver un jour à Tendre:
Donc jamais fans être aimé, Je ne ferai qu'eftimé !
Sapho, je veux que ma rime
Berne cette vaine eftime,
Monftre auffi lâche que fin, Qui cache fon noir venin
Sous un nom un peu moins rude Que celui d'ingratitude. A vous feule je prétens D'en donner le paffetems: Ecoutez, fille divine,
De ce monftre l'origine.
En ce fiecle bienheureux, Où vivoient les Demi-dieux, L'eftime étoit inconnue,
Et l'amitié toute nue, Seule maitreffe des coeurs, Les combloit de fes douceurs :
Quand la foi, quand les paroles Furent de vaines Idoles,
L'Eftime, en ce changement Pour pere eut le compliment, Pour mere l'indifference, Qui lui donnérent naiffance, Je vais d'un coup de pinceau Vous peindre un couple fi beau. Pour la prude indifference, Vous la connoiffez, je penfe, Et peutêtre un peu trop bien, Plût à Dieu qu'il n'en fût rien ! Cette belle, glorieuse, Imperieufe, rieuse,
Croit l'amour une chanfon.. Elle a pour coeur un glaçon; Et d'une façon hautaine Suit le plaifir, fuit la peine; Mais dans fes foibles defirs N'a que de foibles plaifirs. Ainfi le deftin affemble
Le bien & le mal enfemble.
Son bon ami compliment. Eft un bon Seigneur Normand, Grand, bien fait, de bonne mine,
Dont le poil à la blondine,
Bouclé, poudré, pommadé,
Cache un vifage fardé..
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