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Lucinde, cette veuve objet de tant d'hommages,
Frivole avec les fous, solide avec les sages,

Dont le cœur est sans feinte et la beauté sans fard,
Est le goût pour lequel j'abandonne Julie.

PASQUIN.

Mais l'amitié, monsieur, l'une à l'autre les lie.

DAMIS.

Rompre de pareils nœuds est l'ouvrage d'un jour,
Et l'amitié se tait dès que parle l'amour.
Tout l'embarras de cette affaire,

Pour éviter l'éclat que le dépit peut faire,
Est d'obliger Julie à me manquer de foi :
Il faut que je parvienne à détruire sa flamme,
Et l'on veut qu'en ce lieu j'attende que la dame
Me fasse la faveur d'avoir tort avec moi.

Elle vient, laisse-nous,

SCÈNE III.

DAMIS, JULIE.

JULIE.

J'attendais que la ville,

En plaisirs un peu moins fertile,

Vous laissât me donner quelqu'un de vos instants.

DAMIS.

Quand je suis loin de vous, c'est l'ennui qui les file;
Mais pour jouer un rôle il faut voir tant de gens!
Vous m'estimeriez moins si, toujours inutile,
J'étais plus maître de mon temps.

JULIE.

Et quels sont, s'il vous plaît, les devoirs importants...?

DAMIS.

Vous m'en demandez compte? Eh mais, cent, plutôt mille J'eus dimanche un billet pour souper chez Mouthier '

Avec le petit duc et la grosse comtesse;

Lundi, jour malheureux! un maudit créancier,
Automate indocile, homme sans politesse,

Sous prétexte qu'il doit lui-même, et qu'on le press
Me voulut sans délai contraindre à le payer;
J'allai le jour suivant flatter un financier;

Fameux cuisinier.

Mercredi je courus à la pièce nouvelle :

Tout le monde était pour, et moi je fus contre elle; La satire embellit les plus simples propos,

Et l'admiration est le style des sots.

Jeudi j'eus de l'humeur, je me boudai moi-même;
Le lendemain j'étais d'une folie extrême,
Florise s'empara de moi pour tout le jour;

Hier à tout Paris j'ai fait voir une veste
D'un goût divin, l'habit le plus gai, le plus leste,
Où la Boutrai, Passau, ravissent tour à tour;
Et j'arrive aujourd'hui tout plein de mon amour.

JULIE.

Votre façon d'aimer est tout à fait commode :
Tel est de votre temps le partage et l'emploi,
Que de huit jours à peine en est-il un pour moi!

DAMIS.

Que voulez-vous? Je suis victime de la mode
Au point d'en être à moi-même odieux.
A propos, Araminthe a choisi tout au mieux :
C'est le discret, le modeste Valère

Qui jouit aujourd'hui de l'honneur de lui plaire;
Et, pour donner le change, elle s'offre en tous lieux
Avec certain marquis aussi fou qu'ennuyeux.
Mais je veux la priver des ombres du mystère.

JULIE.

Que vous importent ses plaisirs ?

Vous font-ils quelque tort, et gênent-ils les vôtres ? Quand le cœur est rempli de ses propres désirs, L'esprit ne songe guère à troubler ceux des autres.

DAMIS.

Ne moralisons point, ou songez qu'aujourd'hui,
Quand le public nous embarrasse,

Il faut, substituant les sots à notre place,
Pour détourner ses yeux les fixer sur autrui;
Le système est certain : mais dites-moi, de grâce,
Dans vos tristes États que fait-on tout le jour?
Avez-vous fait venir la petite Angélique?

Et votre comédie? Enfin, dans ce séjour

A-t-on des gens plaisants, du jeu, de la musique?

JULIE.

N'est-ce donc point pour moi que vous venez ici?

Votre amour n'est-il plus qu'une vieille habitude?
Mais vous m'ôtez jusqu'à l'incertitude;
Si je le voulais voir, mon sort est éclairci.

DAMIS.

Au lieu de vous flatter, souffrez que je vous gronde
De vos vivacités; modérez-les un peu :

Entre nous,

tout cela ne prend pas dans le monde;

Ce n'est point glace en moi, c'est en vous trop de feu.
Songez bien que, de votre aveu,

La réputation dépend de l'apparence:
L'air de se présenter, celui de recevoir,

Le ton, l'extérieur, sont des riens d'importance;
Le maintien, en un mot, est le premier devoir,
Et l'on n'est en effet que ce qu'on veut paraître.

JULIE.

Bon! Dans ce siècle-ci sait-on ce qu'il faut être,
Ou plutôt sous quel masque on doit se déguiser ?
Est-il rien dans le vrai qui ne fasse causer?
Affichez la sagesse, on vous trouve gothique;
Ayez une aventure, on vous en prête cent;
Enfermez-vous, on sait comme cela s'explique;
Tenez maison, chez vous tout paraît indécent :
Et le plaisir surtout n'est jamais innocent.
Pour obliger enfin le public à se taire,

Je crois que le plus sûr moyen

Est de le mépriser en ne lui cachant rien.

DAMIS.

Il peut, quand il le veut, nous forcer au mystère :
Les plus indépendants par lui sont asservis;
Nous nous en plaignons tous, mais chacun l'autorise,
On veut être estimé de ceux que l'on méprise.

JULIE.

Ce n'est point pour autrui, c'est pour moi que je vis.

DAMIS.

Vous apprendrez bientôt quels travers sont les vôtres;
Ceux qui cherchent le moins à vivre pour les autres
Sont presque toujours ceux qu'on y force le plus.
Sur quelques faits que votre erreur se fonde,
L'art de dissimuler est le ressort du monde,
Et l'équivalent des vertus.

Il masque les vieilles querelles,

Il prête un air sincère aux amitiés nouvelles,
L'amour même lui doit son plus beau coloris;

Et, sous un froid maintien cachant les tendres flammes,
Il tient lieu de sagesse aux femines,

Et d'indifférence aux maris.

JULIE.

Cet art m'est étranger: je ne suis occupée,

Loin de vouloir tromper, qu'à n'être point trompée.
Juste ou non, mal ou bien, je pense à découvert.
Vous-même m'avez dit que, toujours difficile,
La fausseté souvent n'est qu'un vice inutile,
Dont la première dupe est celle qui s'en sert.

DAMIS.

Ce n'est point fausseté que de savoir se taire,
Et vous-même dailleurs êtes-vous fort sincère?
On vous refuse net cette qualité-là.

En vain je me démonte, en vain je m'en offense,
En vain de tous côtés je prends votre défense;
On veut que vous ayez trente ans, et par delà.

JULIE.

Eh mais, j'en fais l'aveu: j'ignorais, je vous jure,
Que l'on dût à trente ans employer l'imposture,
Et qu'à cet âge il fût trop tard

Pour laisser parler sa figure.

Je n'imagine point, mon amour-propre à part,
Arriver au moment où, brillant à l'écart

Dans les cercles étroits de quelque sphère obscure,
L'amour que l'on inspire est un effort de l'art,
Et celui que l'on prend un tort de la nature :
Elle n'a point placé si près

La saison des plaisirs et l'âge des regrets:
Pourquoi de votre ennui la rendre responsable?
Si vous m'aimiez encor, j'aurais assez d'attrails;
Si je vous aimais moins, je serais plus aimable :
Ce sont vos sentiments qui vieillissent mes traits.

DAMIS.

Au contraire, à mes yeux vous êtes rajeunie :

Mais moi, puis-je empêcher qu'on ne vous calomnie?

JULIE.

Plus je suis indulgente, et plus vous êtes fat.

DAMIS.

Nous avons toujours eu l'esprit de notre état :

Quand on saisit ce point, on est ce qu'on doit être.
Ainsi restons-en là.

JULIE.

Malgré tous mes défauts,

Et tout votre mérite, on vous fera connaître
Que vous n'êtes pas sans rivaux.

DAMIS.

Je le crois mais souvent la plus aimable femme

:

N'a pour fonder ses droits que des prétentions,

Et, prenant des égards pour des transports de l'âme,
Croit voir dans tous les yeux des déclarations.

JULIE, en lui donnant un billet.

Je consens d'être au rang de ces femmes crédules,
Et ce billet fait foi de tous mes ridicules.

Voyons.

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DAMIS.

(Il lit le billet haut.)

« L'incertitude est affreuse en amour;

« J'en veux sortir, fût-ce à mon préjudice ;

Et j'obtiendrai ma grâce avant la fin du jour,

<< Ou l'on prononcera l'arrêt de mon supplice. Je vous laisse jouir de ma confusion,

Et vous pouvez compter sur ma discrétion.

SCÈNE IV.

JULIE.

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Qu'il est impertinent! impoli par système,
Il croirait se manquer en paraissant jaloux :
Ainsi que son orgueil mon malheur est extrême.
Quelle fatalité! J'eus d'abord pour époux
Un sot qui m'adorait en dépit de moi-même.

Et, non moins à plaindre aujourd'hui,
J'ai pour amant un fat que j'aime malgré lui.
Mais non, cette faiblesse avilit trop mon âme;
L'amour-propre est blessé, tout me devient permis.
Lindor me déclare sa flamme:

Qu'il me serve à punir ou corriger Damis.
En ce cas il est bon a observer Rosalie,

(Il sorts

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