ACTE TROISIÈME. SCÈNE PREMIÈRE. ORPHISE, CLITANDRE. ORPHISE. Eh bien! mon cher Clitandre, est-ce en vain que j'espère? Et ma Julie encor peut-elle vous déplaire? CLITANDRE. Madame, trouvez bon que, fuyant à propos, Votre nièce m'attaque avec trop d'avantage; Et risquer tout pour rien n'est pas d'un homme sage. Clitandre, vous rêvez. ORPHISE. CLITANDRE. Non, c'est la vérité. Jamais d'un trouble égal je ne fus agité. ORPHISE. Quoi donc l'aimeriez-vous? CLITANDRE. Je ne sais; mais, madame, Je ne veux plus avoir à disputer mon âme. Le dangereux objet! et quelle habileté A mesurer l'effort à la difficulté! Son manége attrayant vous tourne, vous épie; Elle vous fuit, vous cherche; et s'apaise, et s'aigrit : Sa bouche vous maltraite, et son œil vous caresse. Sa perfidie a l'air d'un tendre épanchement: Oui, madame, vingt fois j'ai pris pour vérité ORPHISE. Oui, pour vous vaincre elle a déployé tous ses charmes ; Elle vous a traité comme un digne ennemi ; CLITANDRE. Non, ne supposons rien, madame, je vous prie : ORPHISE. Clitandre, encore un coup, fiez-vous-en à moi, Je la connais; mes soins l'ont tant étudiée ! CLITANDRE. De ce frivole espoir serais je la victime? La fuir, il n'est plus temps. Ah! que n'ai-je évite Aidez-moi donc du moins. ORPHISE. C'est à quoi je m'apprête⚫ Tourmentez bien son cœur, j'attaquerai sa tête. De notre hymen prochain effrayons sa tendresse, SCÈNE II. ORPHISE, CLITANDRE, JULIE. ORPHISE. (Feignant beaucoup.d'embarras.) La voici, commençons. Comment! c'est vous, ma nièce! J'ai cru que... jusqu'au soir... La foule qui vous presse... S'est bien vite écoulée ! JULIE, riant à moitié. Ah! ma tante, en ces lieux Vous ne m'attendiez pas si tôt ; j'ai de bons yeux. ORPHISE. Moi, ma nièce!... Pourquoi ?... Je parlais à Clitandre. JULIE. Eh! oui; vous lui parliez, vous aimez à l'entendre; ORPHISE. Bon, bon, tous ces discours sont des bruits téméraires. J'estime fort Clitandre, et tu le sais fort bien. Heureuse qui possède un cœur tel que le sien! Vraiment, c'est un trésor. JULIE. ORPHISE, d'un air affectueux. Qui, ma chère Julie : Pour l'amour de ta tante, aime-le, je t'en prie. SCÈNE III. JULIE, CLITANDRE. JULIE. (Elle sort) Pour l'amour de ma tante, il faut donc vous aimer? Oui, madame. CLITANDRE. JULIE. Il fallait d'abord m'en informer; Je vous cusse adoré beaucoup plus tôt, Clitandre.. CLITANDRE. Il en est temps encor. JULIE. Daignerez-vous m'apprendre A quelle occasion cet ordre m'est donné? CLITANDRE. Deviné ?... Quoi! madame ? JULIE. Oh! la divine Orphise, Ou je me trompe fort, va faire une sottise : CLITANDRE. Mais elle est jeune encore. JULIE. Oh! oui, pour une tante : Mais sous un nouveau joug plier en imprudente... Car, vous en conviendrez, chaque jour désormais Impitoyablement va ternir ses attraits. Pour moi, je l'avouerai, je tremble pour Orphise. CLITANDRE. Il est peu de beautés que le temps ne détruise, Je le sais cependant, en honnête mari, : J'ai mon système, moi, système assez hardi, J'en conviens. Par exemple, Orphise est fort aimable, Et le sera longtemps; car elle est estimable. Elle n'a jamais cru que le seul agrément De l'amour d'un mari dût être l'aliment. L'amour de l'ordre enfin, trop rare qualité ! JULIE. Être jeune!... être belle !... oui, c'est un double crime Dont... CLITANDRE. Non; il ne faut pas trop presser ma maxime. La beauté, de tout temps, soumit tout à ses lois, Et je ne suis point d'âge à contester ses droits; Mais, sans lui disputer son suprême avantage, A d'autres qualités nous pouvons rendre hommage. JULIE. Heureuse qui pourrait toutes les rassembler! Mais, pour vous plaire, à qui aut-il donc ressembler? A vous, madame. CLITANDRE. JULIE. A moi? Le compliment m'honore : Mais dans un autre temps il eût mieux fait d'éclore; Je ne suis pas d'humeur à le récompenser. CLITANDRE. J'ai cru qu'en aucun temps il ne pouvait blesser : Soit. JULIE. Avec ces façons, aspirez-vous à plaire? Vous auriez très-grand tort. La contradiction, Et c'est tout ce qu'en vous, monsieur, j'ai vu paraître. CLITANDRE. Nous voilà donc brouillés? |