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ACTE TROISIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

ORPHISE, CLITANDRE.

ORPHISE.

Eh bien! mon cher Clitandre, est-ce en vain que j'espère? Et ma Julie encor peut-elle vous déplaire?

CLITANDRE.

Madame, trouvez bon que, fuyant à propos,
Je ne m'expose plus à perdre mon repos.

Votre nièce m'attaque avec trop d'avantage;

Et risquer tout pour rien n'est pas d'un homme sage.

Clitandre, vous rêvez.

ORPHISE.

CLITANDRE.

Non, c'est la vérité.

Jamais d'un trouble égal je ne fus agité.

ORPHISE.

Quoi donc l'aimeriez-vous?

CLITANDRE.

Je ne sais; mais, madame,

Je ne veux plus avoir à disputer mon âme.

Le dangereux objet! et quelle habileté

A mesurer l'effort à la difficulté!

Son manége attrayant vous tourne, vous épie;
Applaudit quelquefois, plus souvent contrarie:

Elle vous fuit, vous cherche; et s'apaise, et s'aigrit :
Sans relâche elle occupe et le cœur et l'esprit :
Unissant avec art le dépit, la tendresse,

Sa bouche vous maltraite, et son œil vous caresse.
Vous la voyez souvent, par un détour adroit,
Rire dans sa fureur, s'irriter de sang-froid.
Maîtresse du moment, tantôt brillante et vive,
Elle enchante, ravit; tantôt, douce et naïve,
Sa grâce au fond du cœur porte le sentiment;

Sa perfidie a l'air d'un tendre épanchement:
En passant par ses yeux, la noirceur, l'imposture,
Prennent l'expression de la simple nature.

Oui, madame, vingt fois j'ai pris pour vérité
Ce qui n'était qu'un jeu, qu'un amour imité;
Vingt fois j'ai repoussé la triste certitude
Que tout cela n'était qu'un fruit de son étude;
Mon cœur en sa faveur vingt fois s'est gendarmé,
Et même en ce moment il n'est pas trop calmé.

ORPHISE.

Oui, pour vous vaincre elle a déployé tous ses charmes ;
Elle s'est présentée avec toutes ses armes,

Elle vous a traité comme un digne ennemi ;
Mais ses propres efforts l'ont vaincue à demi.
Où vous avez cru voir de l'art, de l'imposture,
Croyez-moi, vous deviez n'y voir que la nature :
Sa vanité parlait, vous en sentiez les coups;
Sa fierté succombait, son cœur volait vers vous;
Elle s'en indignait bientôt; mais sa colère
N'était qu'un repentir d'avoir été sincère.
Ce choc de sentiments, cet art si compliqué,
Supposez-la sensible, et tout est expliqué.

CLITANDRE.

Non, ne supposons rien, madame, je vous prie :
Souffrez que prudemment je quitte la partie.

ORPHISE.

Clitandre, encore un coup, fiez-vous-en à moi,
Son penchant se déclare; et c'est de bonne foi
Que je la garantis vaincue, humiliée.

Je la connais; mes soins l'ont tant étudiée !
A-t-elle pu cacher ses mouvements confus?
Ne nous a-t-elle pas dix fois interrompus?
Quand de vos entretiens j'abrégeais l'intervalle,
N'ai-je pas entrevu l'aigreur d'une rivale?
Quand, tout à l'heure encor, je vous ait fait sortir,
Son dépit à mes yeux s'est-il pu démentir ?
De notre tête-à-tête à présent inquiète,
Elle hâte son monde, et presse la retraite ;
Un instant va la voir arriver sur nos pas.
Qu'est-ce que de l'amour, si cela n'en est pas?
Allons, que mon espoir, Clitandre, vous ranime.

CLITANDRE.

De ce frivole espoir serais je la victime?

La fuir, il n'est plus temps. Ah! que n'ai-je évite
Ce cruel embarras où vous m'avez jeté!

Aidez-moi donc du moins.

ORPHISE.

C'est à quoi je m'apprête⚫

Tourmentez bien son cœur, j'attaquerai sa tête.
Servons-nous de son art; en butte à nos complots,
Il ne faut pas qu'elle ait un instant de repos.
Critiquez, exigez, fatiguez sa souplesse ;

De notre hymen prochain effrayons sa tendresse,
C'est un puissant mobile; et son cœur est à nous,
Si nous venons à bout de le rendre jaloux.

SCÈNE II.

ORPHISE, CLITANDRE, JULIE.

ORPHISE.

(Feignant beaucoup.d'embarras.)

La voici, commençons. Comment! c'est vous, ma nièce! J'ai cru que... jusqu'au soir... La foule qui vous presse... S'est bien vite écoulée !

JULIE, riant à moitié.

Ah! ma tante, en ces lieux

Vous ne m'attendiez pas si tôt ; j'ai de bons yeux.

ORPHISE.

Moi, ma nièce!... Pourquoi ?... Je parlais à Clitandre.

JULIE.

Eh! oui; vous lui parliez, vous aimez à l'entendre;
Rien n'est si naturel... Mais quelqu'un m'a conté
Que d'un objet nouveau son cœur était tenté;
Prenez-y garde au moins, et ce sont vos affaires.

ORPHISE.

Bon, bon, tous ces discours sont des bruits téméraires. J'estime fort Clitandre, et tu le sais fort bien.

Heureuse qui possède un cœur tel que le sien!

Vraiment, c'est un trésor.

JULIE.

ORPHISE, d'un air affectueux.

Qui, ma chère Julie :

Pour l'amour de ta tante, aime-le, je t'en prie.

SCÈNE III.

JULIE, CLITANDRE.

JULIE.

(Elle sort)

Pour l'amour de ma tante, il faut donc vous aimer?

Oui, madame.

CLITANDRE.

JULIE.

Il fallait d'abord m'en informer;

Je vous cusse adoré beaucoup plus tôt, Clitandre..

CLITANDRE.

Il en est temps encor.

JULIE.

Daignerez-vous m'apprendre

A quelle occasion cet ordre m'est donné?
Il serait trop plaisant que j'eusse deviné.

CLITANDRE.

Deviné ?... Quoi! madame ?

JULIE.

Oh! la divine Orphise,

Ou je me trompe fort, va faire une sottise :
Ses amis devraient bien lui faire envisager
Qu'à son âge il est tard de vouloir s'engager.

CLITANDRE.

Mais elle est jeune encore.

JULIE.

Oh! oui, pour une tante : Mais sous un nouveau joug plier en imprudente... Car, vous en conviendrez, chaque jour désormais Impitoyablement va ternir ses attraits.

Pour moi, je l'avouerai, je tremble pour Orphise.

CLITANDRE.

Il est peu de beautés que le temps ne détruise,

Je le sais cependant, en honnête mari,

:

J'ai mon système, moi, système assez hardi,

J'en conviens. Par exemple, Orphise est fort aimable, Et le sera longtemps; car elle est estimable.

Elle n'a jamais cru que le seul agrément

De l'amour d'un mari dût être l'aliment.
Belle, mais sans orgueil; à d'autres soins livrée,
A cesser d'être jeune elle s'est préparée :
Aux nobles sentiments elle a formé son cœur,
Et pour son caractère elle a pris la douceur.
Elle a de son esprit étendu les lumières;
Elle a même accueilli des vertus roturières
L'égalité d'humeur, la modeste bonté,

L'amour de l'ordre enfin, trop rare qualité !
Après un certain temps que l'hymen nous éprouve,
La beauté perd, dit-on; tout cela se retrouve.
Les maris aiment mieux (ils m'en sont tous témoins)
Une vertu de plus, et deux grâces de moins.

JULIE.

Être jeune!... être belle !... oui, c'est un double crime Dont...

CLITANDRE.

Non; il ne faut pas trop presser ma maxime. La beauté, de tout temps, soumit tout à ses lois, Et je ne suis point d'âge à contester ses droits; Mais, sans lui disputer son suprême avantage, A d'autres qualités nous pouvons rendre hommage.

JULIE.

Heureuse qui pourrait toutes les rassembler!

Mais, pour vous plaire, à qui aut-il donc ressembler?

A vous, madame.

CLITANDRE.

JULIE.

A moi? Le compliment m'honore : Mais dans un autre temps il eût mieux fait d'éclore; Je ne suis pas d'humeur à le récompenser.

CLITANDRE.

J'ai cru qu'en aucun temps il ne pouvait blesser :
Ce ton de dignité m'annonce le contraire;

Soit.

JULIE.

Avec ces façons, aspirez-vous à plaire?

Vous auriez très-grand tort. La contradiction,
L'esprit guindé, l'humeur, sont mon aversion;

Et c'est tout ce qu'en vous, monsieur, j'ai vu paraître.

CLITANDRE.

Nous voilà donc brouillés?

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