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DEUXIÈME PARTIE

LES SOURCES DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE

CHAPITRE I

LA RÉALITÉ HISTORIQUE DE LA PERSONNE DE JÉSUS

L'histoire « évangélique » est à proprement parler l'histoire de Jésus en tant que prédicateur ou annonciateur de l'Evangile. On la distingue ainsi de l'histoire «< apostolique » ou de la propagation de cet Évangile par le ministère des apôtres, et de l'histoire «< ecclésiastique » embrassant les destinées de l'Église chrétienne que l'on considère comme fondée et organisée par eux. Nous abordons ici le domaine de l'histoire évangélique ou de l'histoire de Jésus; il importe d'en connaître les sources et d'en apprécier la valeur. Une question préalable pourtant s'impose à nous.

Il peut sembler étrange de commencer l'histoire d'un personnage quelconque en se demandant s'il a réellement existé. Ce n'en n'est pas moins par là qu'il faut débuter quand il s'agit de Jésus de Nazareth. Non que les théories qui le font rentrer dans la catégorie du mythe ou de la pure légende rencontrent aujourd'hui la faveur dont elles ont joui dans certains milieux il y a

cinquante ou soixante ans. Mais la question n'est pas tellement résolue pour tout le monde qu'il ne soit encore nécessaire de la traiter brièvement.

Le mythe, c'est-à-dire la condensation de faits permanents ou d'idées générales, résumés dans un évènement momentané qui s'est accompli une fois pour toutes, est une forme naturelle de la pensée humaine prise à une période encore peu avancée du développement de l'esprit humain. Il a pour suppositions l'ignorance, la naïveté, une poésie rudimentaire à la fois et puissante; pourtant il décèle déjà le besoin de donner une expression à des expériences, à des sentiments, à des aspirations, dépassant le terre-à-terre de la vie purement sensuelle. Sous sa forme absolue et dans chacune des régions où il s'élabore, il remonte à la haute antiquité de la race ou du peuple qui l'a vu naître. Ce sont des penseurs-poètes anonymes qui l'ont créé d'accord avec l'état d'esprit contemporain. Les âges de réflexion et de critique sont réfractaires à sa formation. L'homme adulte ne peut plus croire aux contes charmants qui ravissaient son enfance et ne sait plus même en inventer d'autres offrant le même attrait. Mais on a été bien vite quand on a prétendu qu'au temps et dans le pays où Jésus doit avoir vécu, la faculté mythologique ou la disposition d'esprit qui engendre les mythes était depuis longtemps épuisée. Il faut se garder ici d'un jugement trop absolu. On est surpris, au contraire, de voir cette faculté se prolonger dans des périodes auxquelles on serait tenté de la croire étrangère. Notre moyen-âge créa de toutes pièces de véritables mythes, par exemple le « Juif errant » et la « papesse Jeanne ». La dogmatique orthodoxe est encore selon nous très mythique, aux chapitres surtout de la divinité du Christ, de la chute

et de la rédemption. La limite entre la légende et le mythe est indécise. On peut observer que, si le mythe indépendant de toute histoire se fait de plus en plus rare, il s'attache encore très aisément à la biographie traditionnelle de personnalités très réelles. Il y a des éléments mythiques dans les traditions populaires relatives à Jeanne d'Arc, à Frédéric Barberousse, à Napoléon I lui-même. Je suis persuadé qu'on peut en signaler aussi dans la vie de Jésus. On voudra bien reconnaître toutefois que, si cette opinion est fondée, elle est tout le contraire d'un argument contre son existence réelle. Mais comme la distinction anticipée entre les éléments mythiques de l'histoire évangélique et son contenu positif pourrait sembler arbitraire, il sera bon de peser les considérations qui mettent hors de doute la réalité de la personne de Jésus et les grandes lignes de son histoire traditionnelle.

les

Cette histoire nous a été transmise à peu près exclusivement par les livres qui portent le nom d'évangiles. Or nous aurons lieu de constater plus d'une fois que narrateurs sont très inférieurs à celui dont ils nous retracent les enseignements et la destinée. Souvent ils le comprennent mal, défigurent sa véritable pensée ou dénaturent des réalités sous-jacentes. Qu'ils soient les auteurs directs de ces fautes contre l'exactitude historique ou qu'il faille en accuser la tradition qu'ils ont recueillie, il reste toujours que ces bévues sont inconcevables dans l'hypothèse du mythe où les personnages parlent et agissent d'une manière absolument adéquate à la portée d'esprit de ceux qui les tirent de leur propre fond. Un romancier ne peut pas prêter aux êtres qu'il crée un idéal supérieur à celui qu'il est capable de con

1 Par ex., Matth. XII, 40; Marc XI, 12-14, 20-21.

JESUS DE NAZAR.

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cevoir lui-même1. Ramené à ce point de vue, l'argument de Rousseau conserve sa valeur. « Ce n'est pas « ainsi qu'on invente, et l'inventeur d'une pareille his<«<toire en serait plus étonnant que le héros. >>

Il est très possible que, la croyance en Jésus de Nazareth comme Messie d'Israël une fois formée, les traditions qui le concernent aient ajouté à la réalité historique plus d'un trait suggéré par des réminiscences de l'Ancien Testament et par les doctrines messianiques du temps. Celles-ci appliquaient au Messie attendu de nombreux passages du livre sacré que l'on croyait à tort ou à raison destinés à le préfigurer. C'est là, on s'en souvient peut-être, la substance de l'explication mythique à laquelle le D' Strauss attacha son nom. Mais la question n'est que déplacée. On doit se demander en effet comment on a pu prendre pour le Messie un personnage aussi peu conforme que le Nazaréen des évangiles aux attentes chimériques et fantastiques dont le futur lieutenant de Dieu était l'objet dans les croyances juives. Si on l'avait inventé, on l'eût évidemment revêtu de tous les caractères attribués à celui qui devait délivrer le peuple juif et le faire régner sur toute la terre. Cela est si certain qu'on n'a pas manqué de reporter sur son second avènement tout ce qui, dans les attentes messianiques, avait manqué au premier. La transformation de Jésus en Messie revenant après sa mort glorieux et tout

1 Cette observation s'applique surtout aux trois premiers évangiles (les synoptiques). Le 4 évangéliste a refondu l'histoire évangélique en la pliant selon la manière alexandrine à une théorie spéculative qui lui était chère. C'est un idéaliste, ce n'est pas un mythographe. Son récit suppose l'existence antérieure de la tradition synoptique. Du reste, même à son point de vue spécial, il n'a pas non plus saisi toujours la pensée vraie de Jésus, par ex. Jean II, 21.

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