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fallait opter entre elle et l'Evangile. C'est ainsi que, de l'état religieux du peuple juif au moment où Jésus parut, nous passons au conflit qui divisa les communautés apostoliques, et nous y passons d'une manière qui permet de comprendre comment ce conflit fut possible. C'est la tradition objective consignée dans les trois premiers évangiles qui nous présente la filière de cette première évolution de l'idée chrétienne. Comment s'imaginer que des inventeurs conscients ou inconscients de la personne et de l'œuvre de Jésus se seraient avisés d'arranger les choses de manière que la critique moderne avec ses sévérités et ses délicatesses pût retrouver le fil ténu qui seul guide l'historien dans ce labyrinthe? Le mythe nous aurait livré ou bien un Jésus anticipant sur saint Paul, ou bien un Messie légaliste ponctuel et le disputant aux pharisiens sur le terrain des observances légales. La nuance très fine qui fut nécessairement celle de la réalité lui eût échappé. Le conflit des légalistes et des anti-légalistes aux premiers jours du christianisme implique donc la réalité antérieure de la position émancipatrice en principe, indécise en pratique, du Maître commun sur la question qui ne devait se poser clairement qu'après lui. La bifurcation

1 Nous parlons toujours des trois premiers évangiles à l'exclusion du quatrième, parce que l'un des arguments avancés par la critique indépendante contre son origine apostolique, c'est précisément que dans cet évangile la question est tranchée d'avance. Jésus, dès le premier moment, parle de la « Loi des Juifs » comme de quelque chose qui lui est étranger et qui ne compte plus pour les adhérents du Logos. C'est une des marques de l'idéalisation continue à laquelle ce livre soumet la matière de l'histoire évangélique, et s'il fallait admettre que les choses se sont réellement passées comme il les retrace, l'histoire des communautés apostoliques deviendrait à son tour incompréhensible.

des deux premières branches exige un tronc commun qui leur a donné naissance et détermine a priori sa nature, son essence et sa direction.

De quelque manière que nous envisagions les faits que nous fournit l'histoire documentée des premiers jours du christianisme, nous retombons donc toujours sur le même résultat : il y a en arrière et au-dessous une réalité historique, laquelle ne peut être à son tour que la personne, l'enseignement et la vie si prématurément, si tragiquement brisée de celui qui depuis des siècles passe pour le fondateur du christianisme. Il va de soi qu'il ne peut s'agir encore que des traits superficiels de sa personnalité. Il serait téméraire de vouloir pousser plus loin cette méthode a-prioristique et de postuler, comme on l'a tenté quelquefois, les détails de l'histoire évangélique en les déduisant régressivement des fails constitutifs de l'histoire apostolique. Mais cet ensemble de considérations suffit pour que nous soyons autorisés logiquement à tâcher de connaître de plus près, au moyen des documents à notre disposition, celui dont la réalité historique, prise en gros, se constate avec certitude quand on étudie ce qui suivit immédiatement les jours assignés à son apparition.

Nous commençons la revue des documents relatifs à l'histoire de Jésus par celle des renseignements que l'on peut puiser chez les écrivains non-chrétiens. Il ne peut s'agir évidemment que de ceux qui n'ont pas connu les évangiles, ce qui exclut les adversaires du christianisme tels que Celse et Porphyre, séparés des origines chrétiennes par un laps de temps considérable et qui fondent leurs critiques sur la tradition évangélique en notre pos

session.

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Il serait illusoire de s'imaginer qu'on trouvera sur la vie de Jésus des renseignements circonstanciés chez les historiens non-chrétiens. Le christianisme fut longtemps l'objet du plus profond dédain de la part des hautes classes romaines et grecques. On devrait même plutôt dire qu'il ne leur inspira que de violentes antipathies. On ne voyait dans le christianisme qu'une excroissance du judaïsme, très mal connu lui-même et jugé très défavorablement. Ce n'était pas la différence des croyances qui provoquait cette aversion. En matière de croyances proprement dites le monde polythéiste n'était pas susceptible. C'était l'opposition des mœurs, des coutumes, des prétentions, de l'existence tout entière. On sentait qu'il y avait là un antagonisme profond dans la manière de concevoir et de diriger la vie. Les diversités de croyances et de pratiques religieuses étaient très nombreuses dans la société payenne, mais elles présentaient partout quelque chose de malléable et de ductile, qui faisait que les angles aigus s'émoussaient au frottement de la vie commune. Dans les hautes classes où dominait le point de vue politique, on

était très peu croyant, mais on était persuadé qu'il importait de conserver sans les approfondir les formes traditionnelles de la religion en tant que partie intégrante, inséparable, de l'édifice social. Au-dessus des variétés locales ou temporaires planait la religion officielle de l'empire, la religion romaine de l'empereur, du Sénat, de l'administration et de l'armée. Cette religion-là tolérait toute sorte de cultes particuliers du moment qu'ils ne s'attaquaient pas à sa suprématie politique. Les chrétiens étaient donc des ennemis de la société, puisqu'ils rejetaient avec horreur cette religion de l'empire comme un ramassis d'erreurs et de corruptions. De plus, les hommes les plus sérieux opposaient un scepticisme très justifié à ces religions venues d'Orient, isiaques, mithriaques, etc., excentriques, bizarres, aux cérémonies charlatanesques, et recrutant leur clientèle occidentale parmi les faibles d'esprit, les femmes évaporées et les amateurs de rêves fantastiques. Déjà le judaïsme qui, lui aussi, venait d'Orient et dont certaines particularités, la circoncision, le repos absolu du sabbat, les lois alimentaires, prêtaient à rire en Occident, souffrait dans l'opinion de ces marques d'une superstition qui paraissait ridicule et qui voilait ses grands côtés. Mais il avait surtout contre lui son intransigeance qui s'étendait à tant de détails de la vie sociale et privée. C'était comme s'il eût arboré la prétention de former une société séparée dans l'humanité, comme s'il eût « haï le genre humain », en refusant de vivre avec lui. C'est ce que l'orgueil romain. supportait difficilement, et cette antipathie s'était encore accrue depuis que la sanglante insurrection de l'an 66, réprimée si difficilement, avait révélé ce qu'il y avait d'incoercible dans le peuple juif et d'inflexible dans ses croyances. Ceux qui, par exception, voulaient se donner

la peine de rechercher ce qu'il était ne le connaissaient guère que par des libelles alexandrins rédigés dans l'esprit le plus hostile et le plus dénigrant 1. C'est là qu'il faut chercher l'origine de ces idées biscornues qu'on s'étonne de voir accueillies sans autre examen par des écrivains tels que Juvénal, Tacite et Plutarque. Le christianisme, considéré comme une variété du judaïsme, plus bizarre encore, non moins intransigeante, n'avait pas même ce reflet de haute antiquité qui, du point de vue payen, plaidait dans une certaine mesure en faveur de l'étrange religion dont la chrétienté se détachait depuis quelque temps; il était donc encore plus méprisé 3.

1 V. l'exposé de cette littérature anti-juive d'Alexandrie dans le II volume de M. Schürer, Gesch. des Jüd. Volkes im Zeitalt. Christi, p. 770 et suiv.

2 D'après Juvénal (Sat. XIV, 97), les Juifs adorent le ciel et les nuées; d'après Plutarque, leur dieu n'est autre que Bacchus (Symp. IV, qu. 5 ou 6 selon les éditions; comp. Tacite, Hist. V, 5). Selon d'autres, ils rendent un culte à une tête d'àne (Apion, ap. Josèphe, Contra Apion. II, 7, comp. Tacite, ibid. V, 3-4) ou même à un porc (Plutarque, loc. cit.). On prétend déjà que les Juifs immolent chaque année un Grec dont ils mangent dévotement les entrailles (Josèphe, ibid. II, 8). Lucien de Samosate, né vers 130, appartient à l'époque où la tradition juive et chrétienne commence à être un peu moins ignorée. Mais ses tendances épicuriennes et sceptiques en tout ce qui concernait la religion l'indisposaient d'avance contre le christianisme. Son Peregrinus est un pamphlet contre la manie du martyre qui n'était pas étrangère à certains chrétiens exaltés ou rusés (Comp. Tertullien, De Jejun., 12). On n'en peut rien tirer pour l'histoire de Jésus. Il n'en sait pas plus long que Tacite. Le Philopatris, qu'on pourrait nous objecter, n'est évidemment pas de lui. C'est une composition, également hostile au paganisme et au christianisme, qui ne saurait remonter plus haut que le ive siècle, comme le prouvent les formules trinitaires mises dans la bouche d'un des personnages.

3 Je ne connais dans le cours du second siècle qu'un jugement favorable aux chrétiens qui soit de source non-chrétienne. Il est du célèbre médecin grec Galenus ou Galien, de Pergame. Dans un traité presque entièrement perdu sur le Phedon, Galien louait les

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