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d'entre eux, mais qui se servent aussi d'autres évangiles perdus totalement ou presque totalement. La sélection ne devient définitive que dans la seconde moitié du siècle.

Quant aux documents reproduits par nos trois évangiles canoniques, ils existaient naturellement avant que les auteurs de ceux-ci se missent à l'œuvre. Le PrôtoMarc a dû être rédigé dans la période 70-75, puisqu'il s'attendait au retour du Christ très peu de temps après la ruine de Jérusalem. Le texte primitif des Logia de Matthieu porte les traces, nous l'avons vu, d'un recueil réuni antérieurement à la destruction du Temple et de la société juive contemporaine de Jésus, par conséquent à l'an 70. Les choses ainsi comprises s'échelonnent naturellement dans un laps de temps d'une trentaine d'années environ.

Mais nous ne pouvons passer à l'étude critique de la vie de Jésus d'après les synoptiques sans avoir examiné la grave question posée par l'existence et la nature très particulière du quatrième évangile, traditionnellement attribué à l'apôtre Jean. Ce sera le sujet du chapitre suivant.

CHAPITRE VI

LE QUATRIÈME ÉVANGILE

Nos trois synoptiques, analysés dans leurs parties constituantes, se présentent à nous en réalité comme une combinaison d'au moins trois documents écrits, plus ou moins additionnés de tradition orale, indépendants les uns des autres. Ils nous retracent l'enseignement et la vie publique de Jésus d'une manière qui permet de reconstituer avec confiance la grande figure dont ils ont gardé la forte empreinte. Aucun d'eux n'est complet. Chacun d'eux a sa physionomie particulière. Mais il n'y a pas de différence irréductible entre les portraits. Les convergences l'emportent de beaucoup sur les divergences. Il s'en dégage un type central auquel l'intuition historique peut aisément ramener les trois épreuves mises à notre disposition.

Il en serait autrement dans le cas où nous devrions leur adjoindre à titre historique égal un autre document, dont l'autorité même prévaudrait s'il fallait en classer l'auteur parmi les témoins immédiats de la vie de Jésus. Alors le conflit deviendrait grave. Car il faudrait choisir entre un type du Christ et un autre très différent. Nous

abordons la grosse question du quatrième évangile, que la tradition attribue à l'apôtre Jean. L'opinion qu'on se forme de sa valeur historique et de ses rapports avec les trois premiers évangiles est péremptoire dans les recherches dont la vie de Jésus est l'objet. Elle peut servir de criterium anticipé pour préjuger le point de vue sous lequel la personne et l'œuvre seront envisagées. Si la différence du type dit johannique et du type synoptique est nettement déterminée et bien comprise, notre conviction est que l'option ne saurait être douteuse. Le Jésus des synoptiques, dégagé du reflet légendaire qui commence à nimber sa personne, est réel, plein de vie concrète; celui du quatrième évangile est transfiguré systématiquement, idéalisé au point qu'on peut se demander souvent si l'on se trouve en présence d'un personnage historique ou d'un postulat métaphysique ramené par des procédés arbitraires aux apparences d'une vie humaine. Mais il ne suffit pas d'affirmer cet antagonisme, il faut le démontrer 1.

La difficulté de la démonstration ne s'est pas seulement compliquée du fait que l'opinion contraire au caractère historique de l'évangile attribué à l'apôtre Jean menace des croyances respectables qu'on voudrait préserver des envahissements de la critique. Il est cer

C'est un point où je me sens obligé à une rétractation. Au début de mes études sur les origines chrétiennes et quand je n'étais pas aussi familier que je le suis devenu avec l'évolution du christianisme au second siècle; quand je ne m'étais pas encore rendu un compte suffisant du prodigieux idéalisme de l'école théologique d'Alexandrie, je rompis des lances en faveur de l'authenticité apostolique du quatrième évangile. V. la Revue de Théologie de Strasbourg, vol. IX et X. Depuis, j'ai dù me rendre à une évidence qui s'imposait toujours plus à la conscience de l'historien. On en verra les raisons dans ce qui suit.

tain que le dogme de la divinité de Jésus-Christ est très directement intéressé au maintien de la tradition de l'Église concernant cet évangile. Mais, de plus, pour traiter comme il convient le point en litige, il faut être au courant des antécédents philosophiques et théologiques, ainsi que de la situation formée par la rencontre de courants d'idées d'origines très diverses, qui valurent au quatrième évangile un accueil sympathique, empressé, bientôt partagé par toute la chrétienté. C'est un des phénomènes les plus curieux de l'histoire des croyances chrétiennes.

L'école juive d'Alexandrie, représentée au premier siècle avec distinction par le juif Philon contemporain de Jésus, avait dirigé les esprits dans un sens qui, au sein de l'Église chrétienne, devait aboutir à concevoir le christianisme et son fondateur comme les a compris le quatrième évangéliste. Nous ne pouvons songer à exposer dans tous ses détails la doctrine de Philon, précédée elle-même par tout un mouvement d'idées dont l'importante colonie juive d'Alexandrie fut le foyer pendant les deux derniers siècles avant notre ère. Qu'il nous suffise d'en résumer les principes fondamentaux.

LIVRES A CONSULTER. Outre les histoires générales de la philosophie grecque, traitant particulièrement de l'école philosophique d'Alexandrie, (v. notamment Zeller, Die Philosophie der Griechen, part. III, 2o div., 3° éd., 1881), on remarque parmi les nombreux ouvrages consacrés à l'étude de la philosophie juive-alexandrine : Gfrærer, Philo und die alexandrinische Theosophie, 2 vol., Stuttgard, 1831. Dæhne, Geschicht. Darstellung der jud.-alexandr. Religionsphilosophie, 2 vol., 1834. Wolff, Die philonische Philosophie, 2o éd., 1858. Lipsius, art. Alexandrinische Religionsphilosophie dans le Bibellexicon de Schenkel. Jean Réville, Le Logos d'après Philon d'Alexandrie, 1877. La Doctrine du Logos dans le quatrième évangile et dans les œuvres de Philon, 1881. Nicolas, Études sur Philon d'Alexandrie dans la Revue d'Histoire des Religions, vol. V, VII et VIII. - L. Massebieau, Le classement des œuvres de Philon

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dans le vol. I de la Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes (sciences religieuses), Paris 1889. Cette liste est loin d'être complète. Toutes les Vies de Jésus des dernières années et tous les commentaires modernes du quatrième évangile traitent la question philonienne. L'édition la plus recommandable des œuvres de Philon est celle de Mangey, 2 vol. in-fol., Londres, 1742.

La colonie juive d'Alexandrie a fourni à l'histoire de la pensée humaine un de ses chapitres les plus originaux. C'est là, non pas en Palestine, que s'opéra une fusion intime entre l'esprit juif et l'esprit grec. La préoccupation juive du monothéisme s'associa à la préoccupation grecque des rapports du monde et du principe divin. Il y avait convergence de la pensée grecque, qui postulait l'unité de l'action divine sur le monde, et de la pensée juive qui, dans la même mesure où elle sublimait la notion de son Dieu unique, cherchait à le dégager de toute compromission avec les imperfections du monde. La solution, déjà préparée dans les livres de l'Ecclésiastique et de la Sapience, parut trouvée dans la notion d'un intermédiaire entre Dieu et le monde, d'un être consubstantiel, mais inférieur au Dieu unique dont il émane directement, au Dieu parfait et indéfinissable. Cet être, à la fois personne et abstraction métaphysique, c'est le Logos ou le Verbe, dépositaire de la pensée divine applicable au monde, révélation proférée (la parole divine de la Genèse I, 3) de ce qui peut être connu de Dieu, l'instrument et le serviteur de Dieu dans l'organisation du monde. Nous disons « organisation », parce que, malgré son monothéisme, le système juif-alexandrin est dualiste. La matière informe, chaotique, est éternelle, et, conformément aux idées platoniciennes et

Une des ambiguïtés de cette philosophie religieuse consiste en ceci qu'elle ne distingue pas avec précision entre la personnalité consciente et le principe abstrait ou l'être de raison.

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