페이지 이미지
PDF
ePub

CHAPITRE III

LA JEUNESSE DE JÉSUS 1

Nous ne possédons qu'un trait relatif à l'enfance ou plus précisément à la première adolescence de Jésus. C'est celui qui nous est raconté Luc II, 41-52. A l'âge de douze ans âge qui, dans sa race et sous le climat de la Palestine, équivaut au moins à quinze ans parmi nous Jésus suivit ses parents à Jérusalem 2. Nous en avons déjà parlé (pp. 372-373).

Assurément cet épisode ne soulève pas les mêmes

1 Ce chapitre était déjà écrit lorsqu'a paru l'intéressant essai de M. le professeur E. Stapfer, Jésus-Christ avant son ministère, Paris, Fischbacher, 1896. Sans que nos points de vue soient tout à fait identiques, je ne puis que me réjouir des analogies de méthode et de résultats qui rapprochent mes conclusions de celles de cet éminent théologien.

2 Cet épisode paraît avoir été fourni à Luc par la même source qui lui avait déjà donné ceux de la présentation au Temple et des bénédictions prophétiques de Siméon et d'Anne. Le ton en est également judéo-chrétien. Car le narrateur tient à montrer II, 41, comme il l'avait déjà laissé entendre II, 21-24, combien la famille était scrupuleusement observatrice de la Loi. Joseph et Marie s'étonnent prodigieusement de ce que leur dit leur enfant (v. 50 comp. 33) et n'y comprennent rien. Ce document ne peut donc pas avoir raconté antérieurement le miracle de la conception virginale, qui rend cet étonnement et cette inintelligence incompréhensibles au plus haut degré.

objections que les miracles de Béthléhem, et rien ne s'oppose à ce que nous lui reconnaissions un fond de vérité historique. Il est très admissible que Jésus ait donné de très bonne heure des marques surprenantes de sa virtuosité religieuse. Les parallèles ne manquent pas dans l'histoire des grandes vocations. On doit relever dans ce fragment l'affirmation ingénue d'une relation de fils à père qui l'unirait à Dieu très particulièrement. C'est comme si le sentiment filial de Dieu, qui sera plus tard le principe inspirateur de son enseignement, dominait déjà son âme d'adolescent au point de lui faire oublier toute autre considération, celle même de l'inquiétude où il plongeait ses parents. Quand ceux-ci la lui font sentir, il se rend sans résistance à leur autorité, mais il a fallu la lui rappeler. On peut déjà pressentir celui qui mettra le service de Dieu au-dessus de tout et qui peut-être souffre déjà, sans s'en rendre un compte clair, d'une certaine désharmonie entre les élans de son cœur mystique et l'honnête prosaïsme de ceux dont il doit partager l'existence. Il y a, non seulement dans sa réponse à ses parents, mais aussi dans sa présence prolongée au milieu des docteurs de Jérusalem, beaucoup de candeur et d'illusion juvénile. Ces graves rabbis, qui se réunissent quotidiennement dans une des annexes du Temple pour étudier les questions religieuses, l'ont attiré plus que tout le reste dans ce premier voyage à Jérusalem où tant d'autres choses nouvelles pour un jeune villageois auraient pu le captiver. Il a été plus séduit par les sévères discussions des docteurs d'Israël que par le culte sacerdotal et pompeux du Temple. Là encore se dessine un trait de sa piété personnelle, trait qui restera. Non qu'il haïsse le Temple, mais il sera bien plus l'homme des synagogues que le dévot fréquen

[ocr errors]

tateur de l'autel. Nul ne fut jamais moins prêtre que Jésus. Les questions que malgré sa jeunesse il ne craint pas d'adresser aux doctes personnages (v. 46) n'ont rien d'insolite, quand on connaît les vieilles coutumes des écoles rabbiniques. Mais son ingénuité se montre encore dans l'idée naïve qu'il se fait de la science profonde de ces docteurs au milieu desquels il oublie ses parents et le temps qui s'écoule. Le jour où il sera l'éloquent adversaire de leur science factice et de leur formalisme est encore loin. Mais il y a là le germe d'une future et pénible désillusion.

Nous n'oserions toutefois nous porter garant du caractère complètement historique de ce récit. Nous n'avons pas de texte parallèle qui nous permettrait de comparer et de contrôler les détails. Il reste toujours possible que l'incident réel ait reçu, lui aussi, les amplifications et les embellissements de la tradition. Il faut pourtant reconnaître qu'il se distingue à son avantage par la sobriété de l'exposition. Une pure légende y aurait mêlé plus de merveilleux. Elle nous représenterait les docteurs non pas seulement étonnés, mais réfutés, vaincus, écrasés par l'enfant. Nous pouvons tout au moins conclure de ce qui nous est ici raconté que Jésus, en sa prime jeunesse, fit preuve en matière de religion d'une précocité qui frappa ceux qui étaient le plus en état d'en juger et dont ses parents ne comprenaient pas toujours les aspirations ardentes. Déjà nous avons soupçonné que quelque chose de ce genre se cachait sous l'impossible légende des Mages d'Orient. On remarquera aussi ce qu'il y a d'expansif, de confiant et même d'un peu loquace dans ce dialogue prolongé avec des maîtres en Israël sur des sujets tenant à la religion. Le fait est d'autant plus intéressant à noter que nous avons des motifs de

penser qu'à partir d'un certain âge Jésus refoula ordinairement en lui-même les mouvements d'une âme absorbée par la contemplation d'un idéal nouveau et qu'il vécut d'une vie religieuse très intense, mais inaperçue de ceux qui l'approchaient. Cette période silencieuse a dû commencer le jour où il découvrit avec un certain effroi le manque d'affinité qui empêchait ses paroles d'être comprises et ses élans vers la Perfection suprême d'être approuvés. Il eut toujours quelque peine à supporter sans se plaindre l'inintelligence grossière des esprits fermés aux évidences qui rayonnaient en luimême1, et il craignait de déflorer les sublimités de sa pensée en les jetant en pâture à des hommes que leur grossièreté rendait incapables de les saisir 2.

Sans attacher plus d'importance qu'il ne convient à cette question, on peut se demander ce que Jésus était physiquement. Nous ne pouvons reconnaître aucune espèce de valeur aux prétendus portraits que des légendes ecclésiastiques font remonter jusqu'à saint Luc sous le prétexte fantaisiste que cet évangéliste aurait été peintre. La prétendue lettre de Lentulus au sénat romain contient une sorte de signalement de Jésus qui se rapproche du type que la tradition artistique a consacré; mais ce document est fabriqué d'un bout à l'autre et de date relativement récente. La question a été encore embrouillée par les préjugés anti-esthétiques de quelques écrivains chrétiens des premiers siècles qui tenaient fortement à ce que Jésus eût été laid. Ils n'en

1 Comp. Marc IV, 13; VIII, 14-21; Matth. XVI, 23 et plusieurs autres incidents analogues.

2 Comp. Matth. VII, 6, passage qui toutefois ne se rattache que de loin à cette répugnance juvénile.

3 Comp. Gieseler, Kirchengesch., I, p. 87.

savaient rien, mais ils se plaisaient à le croire dans leur antipathie contre la beauté physique1.

Nous nous garderons bien de suppléer à notre ignorance en présentant nos conjectures comme des certitudes. Un mot, un seul, de l'évangile de Luc permet d'orienter les suppositions avec quelque confiance, parce qu'il est confirmé par l'impression qui se dégage de plusieurs incidents de l'histoire évangélique. Luc termine en effet sa réminiscence trop isolée de ce qu'il advint à Jésus adolescent par ces mots : « Soumis à ses << parents, il croissait en sagesse, en stature et en « grâce devant Dieu et devant les hommes. » S'il n'était question que de « grâce devant Dieu »>, on pourrait penser qu'il est fait uniquement allusion à ses progrès dans la vie religieuse; mais, puisqu'il est aussi parlé << des hommes », nous avons le droit d'en conclure que la yips, la grâce ou l'attrait de sa personne était sensible

1 V. en particulier Tertullien, De Carne Christi, 9; adv. Jud. 14 ; Clément d'Alexandrie, Paedag. III, 1. On s'appuyait pour l'affirmer sur És. LIII, 2, passage qui n'a aucun rapport avec la personne de Jésus. Les premiers portraits du Christ auraient été l'œuvre des gnostiques Carpocratiens, s'il faut en croire Irénée I, 25. Lampridius, I, 29, nous apprend qu'Alexandre Sévère en avait placé un dans son laraire. Ce portrait devait avoir la même authenticité que celui de Pythagore, également vénéré par cet empereur mystique et syncrétiste. Les premiers chrétiens avaient hérité des Juifs leur aversion contre les représentations de la personne humaine. Ils eussent regardé un portrait de Jésus comme une œuvre sacrilège. C'est à partir du IVe siècle que l'on attribua à Jésus, désormais défini comme un Homme-Dieu, des traits majestueux, imposants, d'une grande régularité, dénotant sa dignité suprême (Jérôme, In Matth. IX, 9). Toutefois Augustin avouait encore qu'on était sur ce point dans une complète ignorance (qua fuerit ille facie nos penitus ignoramus, De Trinit. VIII, 5). Les Christs terribles de l'école byzantine attestent seulement la dégénérescence de l'idéal chrétien. Ils n'ont aucune valeur historique.

« 이전계속 »