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dialectique, il les fait entrer épisodiquement dans les cinquième, sixième et septième livres.

Aristote convient que l'unité de la fable n'est pas trop bien observée dans Homère. Ce fameux critique tâche pourtant de pallier cette imperfection dans le poète grec, en l'imputant, en quelque sorte, à la nature du poème épique. Quelques uns croient que la structure de l'Énéide est aussi défectueuse en ce point, et qu'elle contient des épisodes qu'on peut regarder plutôt comme des excroissances que comme des parties de l'action. Au contraire, le poème dont il s'agit ici n'a d'autres épisodes que ceux qui naissent naturellement du sujet; malgré cela, il est rempli d'une multitude d'incidens étonnans, qui réunissent la plus grande variété avec la plus grande simplicité, et qui font un tout uniforme dans sa nature, quoique diversifié dans l'exécution.

En célébrant l'origine de l'empire romain, Virgile a décrit la naissance de sa fameuse rivale, la république de Carthage. Milton raconte dans son poème sur la chute de l'homme, celle des mauvais anges, qui sont nos plus grands ennemis. Cet épisode a plusieurs beautés, et se lie naturellement à l'action principale du poème; il n'en rompt point l'unité, comme eût fait tout autre épisode qui n'aurait pas eu le même enchaînement avec le sujet principal; c'est là ce que les critiques admirent dans le Moine espagnol, autrement la Double reconnaissance, où les deux différentes intrigues paraissent comme des contre-parties et des copies l'une de l'autre.

La seconde qualité requise dans l'action d'un poème épique est qu'elle soit entière. Une action est entière lorsqu'elle est complète dans toutes ses parties, ou, comme

dit Aristotel, quand elle est composée d'un commencement, d'un milieu et d'une fin : il n'y faut faire entrer aucun incident qui ne concoure au dénouement; il ne faut pas non plus omettre la moindre circonstance qui puisse être regardée comme un degré nécessaire pour mener la consommation: ainsi nous voyons la naissance de la colère d'Achille, sa continuation et ses effets. Nous conduisons de même Énée jusqu'en Italie, à travers une infinité de périls qu'il lui faut essuyer, tant par mer que par terre. Selon moi, l'action de Milton surpasse encore, en ce point, les deux premières; nous la voyons projetée dans les enfers, exécutée sur la terre et punie par le ciel; chacune de ces parties est racontée d'une manière très distincte, et elles naissent l'une de l'autre dans l'ordre le plus naturel.

La troisième qualité de l'action épique est sa grandeur. La colère d'Achille est d'une si grande conséquence, qu'elle divise les rois de la Grèce, détruit les héros de l'Asie, et engage tous les dieux dans la querelle. L'établissement d'Énée en Italie donne naissance à l'empire romain et produit les Césars. Le sujet de Milton est encore plus grand que les deux premiers; il ne décide pas de la destinée d'un petit nombre de personnes ou de quelques nations seulement, mais du sort de tout le genre humain les puissances de l'enfer se joignent pour la destruction de l'homme; elles l'effectuent en partie; et elles l'auraient entièrement achevée, si la divinité même ne s'y fût opposée. Les principaux acteurs sont l'homme dans sa plus haute perfection, et la femme dans sa plus grande beauté; leurs ennemis sont les anges déchus; le Messie est leur avocat, et le Tout-Puissant leur protecteur. Tout ce qu'il y a de grand dans l'univers, soit dans

le ressort de la nature, soit au dehors, agit et représente dans cet admirable poème.

Dans la poésie comme dans l'architecture, non seulement le tout, mais les membres principaux et chacune de leurs parties doivent avoir de la noblesse. Je n'oserais dire que les jeux funèbres de l'Énéide et de l'Iliade en manquent absolument; je ne prétends pas non plus reprendre dans Virgile la comparaison de la toupie, et plusieurs autres choses semblables qu'on pourrait attaquer dans l'Iliade; mais, sans faire tort à ces ouvrages admirables, je crois qu'il y a dans chaque partie du Paradis perdu une magnificence infinie et un sublime qu'on n'aurait jamais pu trouver dans aucun système païen.

Aristote, par la grandeur de l'action, n'entend pas seulement qu'elle soit grande dans sa nature, mais encore dans sa durée, ou, en autres termes, qu'elle ait une longueur convenable : c'est aussi ce que nous entendons proprement par le mot de grandeur. Il en explique la juste mesure par la comparaison suivante : « Un animal qui n'est pas plus grand qu'un ciron ne peut pas paraître parfait à l'œil, parce que la vue l'embrassant tout d'un coup ne saurait distinguer aucune de ses parties, ni par conséquent s'en former une idée juste; au contraire, si vous supposez un animal long de dix mille stades, l'œil serait tellement rempli par une seule partie de son corps, qu'il ne pourrait donner une idée du tout : il en serait de même d'une action trop courte ou trop étendue par rapport à la mémoire; l'une serait, pour ainsi dire, absorbée par cette faculté; l'autre ne pourrait jamais y trouver place. » C'est en cela qu'Homère et Virgile ont fait voir leur habileté.

L'action de l'Iliade et celle de l'Énéide sont en elles

mêmes très courtes; mais elles sont si magnifiquement étendues et si diversifiées par le moyen des épisodes, des machines et d'autres ornemens poétiques, qu'elles composent une histoire amusante et capable d'exercer la mémoire sans la surcharger. L'action de Milton est ornée de circonstances si variées, que son histoire m'a fait autant de plaisir à lire que les fictions les plus amusantes 1.

Après avoir envisagé l'action du Paradis perdu, il nous faut considérer les acteurs. Aristote veut que l'on examine la fable et ensuite les mœurs, ou, comme nous l'appelons généralement, la fable et les caractères...

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Sous ce rapport, Milton a fait entrer dans son ouvrage toute la variété dont il était susceptible. Le genre humain ne lui fournissait pour lors que deux acteurs : nous avons cependant quatre caractères distincts dans deux personnes; nous voyons l'homme et la femme dans toute la reté de l'innocence et dans la plus grande perfection, comme aussi dans l'état le plus abject du péché et de l'infirmité. Il est vrai que les deux derniers caractères sont communs et ordinaires; mais les deux premiers ne sont pas seulement magnifiques, ils sont encore plus nouveaux qu'aucun qui soit dans Virgile, dans Homère, ou dans toute l'étendue de la nature.

Milton sentait si bien ce défaut de son sujet et la disette de ses caractères, qu'il a introduit deux acteurs imaginaires, je veux dire le Péché et la Mort; par là il a fait entrer dans le corps de sa fable une allégorie très belle et très bien inventée. Quoique la beauté de cette allégorie

Spectateur, no 267.

puisse la justifier en quelque sorte, je ne saurais croire que de tels personnages, dont l'existence est chimérique, conviennent dans un poème; parce que l'esprit ne se prête pas volontiers à leur donner cette réalité nécessaire pour l'action, comme je le montrerai plus amplement ciaprès.

Il est vrai que Virgile a personnifié la Renommée dans l'Énéide: mais le rôle qu'elle fait est très court, et n'est pas un des plus beaux endroits de cet ouvrage. Nous trouvons dans les poèmes burlesques, particulièrement dans le Dispensary et le Lutrin, plusieurs personnages allégoriques qui y viennent très bien, et qui prouvent que leurs auteurs les croyaient convenables dans un poème épique. En faveur du livre que j'examine maintenant, je serais charmé que le lecteur pensât de même ; je dois ajouter que, si ces êtres imaginaires peuvent être recevables, ils n'ont jamais été amenés avec plus de délicatesse, ni employés en des actions plus propres que dans le Paradis perdu.

Un autre principal acteur de Milton, c'est le grand ennemi du genre humain. Le caractère d'Ulysse, dans l'Odyssée d'Homère, est fort admiré par Aristote. Cette fable est non seulement pleine d'intrigues et d'évènemens agréables par les différentes aventures de son voyage et par l'habileté de sa conduite, elle est encore remarquable par la manière dont il se déguise et dont il se découvre en diverses parties du poème. Ici le démon fait un plus long voyage qu'Ulysse ; il pratique plus de ruses et de stratagèmes; il prend bien plus de formes, à travers lesquelles le lecteur le reconnaîtra toujours avec satisfaction et éton

nement.

Nous

pouvons encore observer avec quel art le poète

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