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municable. Son projet lui réussissait1. » Quoi qu'il en soit, la démonolâtrie ou le culte des génies a dû être le point de départ du polythéisme, comme elle se prolonge également à travers toute son histoire 2. C'est même le côté spiritualiste de l'idolâtrie, si l'on peut employer ce terme pour désigner des erreurs si grossières. Dans cette première déviation du monothéisme, il y a déjà la confusion de l'infini et du fini, pas encore celle de l'esprit et de la matière; mais l'une découlait de l'autre. En divisant l'objet de leur adoration, les hommes descendirent rapidement la pente qui les menait au culte de la nature ou au naturalisme.

Pour se rendre compte de cette deuxième forme du polythéisme, il suffit, Messieurs, d'envisager les rapports de l'homme avec le monde et sa dépendance des éléments de la nature. A mesure que l'idée d'un Dieu unique, infini, immatériel, s'obscurcissait dans sa conscience, il se sentait porté à transférer à plusieurs êtres les attributs de la divinité; ou

1 Discours sur l'Hist. univers, 2a partie, ch. II.

2 On m'objectera peut-être que les plus anciens monuments littéraires du polythéisme, tels que le Rig-Veda, ne semblent faire mention que du culte des éléments. J'avoue que le naturalisme panthéistique fait le fond de ce livre d'hymnes dont la haute antiquité ne saurait être contestée. Indra, Agni, Vâyou, Roudra, toutes ces divinités qui jouent un si grand rôle dans le Rig-Veda, ne sont que la personnification de l'éther, du feu, de l'air. Mais il est évident qu'avant de placer dans les éléments le siége de ces puissances mystérieuses, la pensée humaine avait dû fractionner l'unité divine. Pour adorer les astres comme autant d'êtres vivants et animés, il fallait, au préalable, avoir admis l'existence de plusieurs esprits capables de se manifester par les agents physiques. L'homme s'est abimé dans le culte de la nature, parce qu'il croyait surprendre en elle l'action de ces esprits supérieurs, démons ou génies dont il la supposait animée.

. Voilà pourquoi la confusion de l'infini et du fini, dans le monde intelligible, me paraît avoir précédé, du moins logiquement, celle de l'esprit et de la matière. En général on n'a pas tenu assez compte de ce culte des esprits qui occupe une si grande place dans l'histoire du polythéisme. L'Écriture sainte, avec sa profondeur habituelle, a marqué d'un trait le principe de cette grande aberration en désignant les dieux des nations sous le nom de démons: Dii gentium dæmonia. Voyez: G.-J. Vossius de Origine idololatriæ.

pour mieux dire, il se prit à voir Dieu partout où éclatait une grande force, où se révélait une haute intelligence, d'où il recevait ou croyait recevoir un bienfait signalé. Molas grossière d'abord, comme nous venons de le voir, cette conception ne tarda pas à se matérialiser, en passant du monde des esprits dans celui des corps. En effet, qu'est-ce qui faisait le plus d'impression sur l'homme esclave des sens, par l'immensité de l'étendue, la variété des aspects, le grandiose des scènes, l'ordre et l'arrangement de toutes les parties? Qu'est-ce qui lui communiquait directement l'air, la lumière, la chaleur, la nourriture, tout ce qui prolonge et entretient la vie? La nature. C'est elle qui, l'enveloppant de tous côtés et le pénétrant par ses influences multiples, lui faisait sentir sa supériorité à chaque pas et à tout instant. Lors donc que l'homme se vit en présence de cette nature dont il était en quelque sorte le tributaire et l'esclave, de ces agents physiques, de ces forces mystérieuses qu'il rencontrait partout sur son chemin sans pouvoir les dompter; quand il se trouva en face de ce monde des astres qui versaient sur lui des flots de lumière et de vie, de ces flambeaux immortels dont l'éclat animait la création pendant le jour et déchirait les ténèbres de la nuit, de cette terre au sein de laquelle une vigueur inépuisable perpétuait la fécondité, à la vue de cette terre et de ce ciel qui ne lui racontaient plus la gloire de Dieu, l'homme égaré dans ses voies s'inclina devant ces réalités puissantes : c'est là que se trouvaient pour lui la force, l'intelligence, la bonté, c'est là qu'il plaça Dieu. Le soleil, la lune, tous les corps célestes, l'air, le feu, la terre, l'eau, les éléments divers, devinrent autant de puissances divines, d'êtres vivants et animés, dont il fallait reconnaître l'empire et s'assurer la faveur. Une fois engagé dans cette voie, le naturalisme polythéiste ne connut plus de bornes : fleuves, montagnes, sources, forêts, tout ce qui révèle de la force, du mouvement et de la vie, prit le caractère de divinité; et de cette vaste confusion de l'infini et du fini, de l'esprit et

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de la matière, du créateur et de ses œuvres, sortit la déification de la nature ou le culte des éléments, dont l'astrolâtrie ou le sabéisme fut le premier acte, et qui, par une nouvelle évolution de la pensée, devait aboutir à l'anthropolâtrie ou à l'adoration de l'homme.

Ici, Messieurs, je répéterai pour cette deuxième forme du polythéisme ce que je disais, il y a un instant, au sujet de la première. De même que la croyance vraie à l'existence d'esprits supérieurs à l'homme fut le point de départ du culte des génies ou de la démonolâtrie, ainsi une grande vérité se retrouve-t-elle altérée et travestie au fond du naturalisme polythéiste. Cette vérité, c'est la présence de Dieu dans la nature qu'il remplit par l'immensité de son être, c'est l'action continue par laquelle il donne et conserve à toutes choses l'existence, le mouvement et la vie. Le monde n'est-il pas, en effet, pénétré en tout sens par cette puissance infinie qui se manifeste dans des effets sans nombre? Mais, pour que ce rapport intime de Dieu avec l'ensemble des choses créées ne devint pas l'origine d'une grave erreur, il fallait se garder de confondre l'effet avec la cause, d'identifier le créateur et son œuvre : c'est à cette coexistence de l'infini et du fini que vint échouer le sens populaire, comme de son côté l'esprit philosophique y trouva constamment son écueil dans le vieux monde : car l'idolâtrie n'est autre chose qu'un panthéisme populaire. C'est ainsi que les religions de l'antiquité et les anciens systèmes de philosophie, prenant une direction parallèle, aboutirent au même résultat, la déification universelle. Le rapprochement est frappant; et ce n'est pas un des faits les moins curieux à observer dans l'histoire de l'esprit du genre humain que cette marche identique suivie par la religion et par la science païennes venant s'abîmer l'une et l'autre dans la confusion de Dieu et du monde. De même que nul système antique, pas plus dans la Grèce que dans l'Inde, n'est parvenu à distinguer complétement l'univers de son auteur, aussi toutes les religions de l'antiquité se sont-elles plu à

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diviniser la nature en l'envisageant comme un immense Tout dont chaque partie est une forme de la divinité ; tant est haute et difficile, pour l'esprit scientifique comme pour le sens populaire, la question de la coexistence de l'infini et du fini! Cette déification de la nature, de ses éléments et de ses forces est, à proprement parler, l'erreur fondamentale du polythéisme, son côté le plus saillant : elle a servi de base à l'anthropomorphisme, qui n'a été, à son origine, que la personnification des lois ou des agents physiques, comme nous le verrons la prochaine fois. Car, pour apprécier à sa juste valeur la polémique des Pères. avec les païens et leur réfutation du polythéisme, il faut que nous suivions cette grande erreur dans ses transformations successives, de la démonolâtrie à l'astrolâtrie, de l'astrolâtrie à l'anthropolâtrie, de l'anthropolâtrie à l'idolâtrie proprement dite ou fétichisme. Alors seulement il nous sera facile de porter un jugement complet sur une controverse qui a occupé trois siècles et mis fin à une erreur de deux mille ans.

SEPTIÈME LEÇON

Suite de l'étude du polythéisme envisagé dans ses origines et dans ses formes diverses. - Passage du naturalisme panthéistique à l'anthropomorphisme ou à la déification de l'homme, troisième forme des religions polythéistes. C'est sous cet aspect particulier que saint Justin a considéré les cultes de la Grèce. Leur point de départ et leurs développements. — Naturalisme des Pélasges. — Anthropomorphisme des Hellènes. — Transition de l'un à l'autre, marquée par les poèmes d'Hésiode et d'Homère. - Réaction des écoles philosophiques contre l'anthropomorphisme grec. Saint Justin signale les conséquences déplorables de cette déification de l'homme et de ses passions. - L'incarnation du Verbe a mis fin à ces tentatives désespérées de rabaisser la divinité à la forme humaine.

MESSIEURS,

Le discours de saint Justin aux Grecs nous a conduits à étudier le polythéisme dans ses origines et dans ses diverses formes. En effet, pour nous faire une idée exacte de la polémique des Pères avec le paganisme, il est nécessaire de peser la valeur de leurs arguments et de mesurer la portée de leurs attaques. Cet examen est d'autant plus utile que de récents travaux sur les mythologies comparées ont amené plusieurs écrivains à contester, sinon en totalité, du moins en partie, la justesse de l'argumentation dirigée par les premiers apologistes contre les religions de l'antiquité. Il importe, par conséquent, d'établir qu'en réduisant la mythologie grecque à l'anthropomorphisme ou à la déification de l'homme, saint Justin en a saisi le véritable caractère, bien que cette forme du polythéisme antique n'ait pas été la seule ni même la première. C'est ce que nous avions com

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