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tendent substituer à Homère et à Platon! Et c'est de la Judée, réceptacle et foyer de toutes les superstitions, qu'est sortie cette secte nouvelle ! Mais cette poignée de fanatiques ne mérite pas l'attention: elle ne serait digne que de mépris si elle n'était dangereuse.

C'est ainsi que raisonnaient ceux qui dans le monde païen passaient pour les privilégiés de l'intelligence. En général, leur attitude en face du christianisme ne fut d'abord qu'une attitude d'indifférence ou de mépris. Du moment que l'Évangile ne s'offrait pas à eux comme un système philosophique, qu'il descendait dans le peuple pour y faire des prosélytes, c'était à leurs yeux chose jugée: une absurdité de plus venait grossir la liste des superstitions humaines. Assurément cette légèreté a de quoi nous étonner. Toutefois, pour comprendre cette maladie incurable des gens d'esprit, non pas de tous, mais d'un certain nombre, nous n'avons qu'à jeter un regard autour de nous. Les lettrés du paganisme distinguaient deux sortes de religions: l'une pour le peuple, éternel mineur incapable d'arriver à l'âge mûr de la liberté; l'autre pour eux-mêmes, les émancipés de l'esprit. Mais, Messieurs. estce qu'après dix-huit siècles de christianisme une semblable prétention, fort peu flatteuse pour la majorité du genre humain, ne s'est pas reproduite de nos jours ? N'avons-nous pas vu une certaine philosophie renvoyer d'un air superbe les croyances positives aux masses pour se réserver le privilège de la libre pensée ? N'y a-t-il pas au milieu de nous quantité de beaux esprits tout disposés à former une petite oligarchie émue d'une compassion très tendre pour la faiblesse intellectuelle du grand nombre ? N'a-t-on pas cherché à établir tout récemment encore qu'il existe une scission nécessaire entre les parties simples et les parties cultivées de l'humanité; qu'il y a pour elle une haute culture scientifique qui dispense de la foi au dogme révélé et une basse culture qui ne saurait s'en passer; une élévation intellectuelle qui porte la pensée dans les hautes régions de la critique et une éducation élémentaire rapetissant les esprits

qui s'y emprisonnent; une position exceptionnelle où l'homme, arrivant à la vie réfléchie, s'isole de la grande famille religieuse, et une situation commune où l'homme simple, réduit à ses instincts spontanés, ne voit pas ce qu'il y a dans le dogme établi de mesquin ou même de dangereux 1? Certes, jamais philosophe païen n'a parlé avec un tel mépris de la capacité religieuse du grand nombre; et lorsqu'on songe que cette pitié hautaine s'adresse à la religion de Bossuet et de Pascal, on a besoin de sang-froid pour ne pas s'indigner. Non, il n'y a pas de divorce entre la science et la foi l'une et l'autre ont la vérité pour objet. Non, il n'y a pas deux religions, l'une pour le peuple, l'autre pour les savants: tous ont la même origine, la même nature, la même destinée, et par conséquent doivent arriver à Dieu par la même voie. Non, Dieu n'a pas condamné l'immense majorité du genre humain à des illusions perpétuelles, au profit de quelques privilégiés qui s'adjugent le monopole de la vérité. Si un plus haut degré de culture facilite au savant la connaissance du vrai, il l'expose également aux séductions de l'erreur : le peuple a son bon sens qui lui tient lieu d'esprit, et la vérité est accessible à qui la cherche avec droiture. Donc, pas de ces exclusions, lorsqu'il s'agit du plus grand bien de l'homme; point de ces catégories qui n'établissent un privilège pour quelques-uns qu'en faisant injure à tous. L'humanité est une: la religion doit l'être comme elle. C'est pourquoi le christianisme est la véritable religion de l'humanité, parce qu'il n'exclut personne de l'héritage de Dieu et qu'il admet tout le monde, grands et petits, savants et illettrés, au même partage de la vérité.

Voilà, Messieurs, ce que les apologistes de la religion chrétienne, Origène entre autres, répondront aux beaux esprits de leur temps. Mais n'anticipons point. J'ai dit qu'en général les lettrés du paganisme n'accueillirent la doctrine nouvelle

1 Études d'Histoire religieuse, par M. Ernest Renan : Préface.

à son apparition dans le monde qu'avec un sentiment d'indifférence ou de mépris. Cette attitude explique le silence que plusieurs d'entre eux gardent dans leurs écrits sur un évènement dont la portée leur échappe. On a voulu quelquefois se prévaloir de ce silence ou de cette inattention pour contester la propagation rapide de l'Évangile et la publicité qu'il reçut dès l'origine. Cette prétention est inadmissible. Sulpice Sévère dit avec raison qu'au temps de Néron la multitude des chrétiens était déjà considérable. Ce sont les propres expressions de Tacite racontant le supplice des premiers martyrs 1. Quelques années plus tard, Pline écrit à Trajan que l'Asie Mineure regorge de sectateurs de la nouvelle religion. Il y en avait un grand nombre dans les villes grecques, de l'aveu de Julien l'Apostat cité par saint Cyrille d'Alexandrie; à Rome, où saint Paul avait prêché des années entières en toute confiance et sans obstacle, il y en avait jusque dans le palais de Néron. Déjà les apôtres avaient comparu devant les tribunaux de l'empire. Le proconsul de Chypre, Sergius Paulus, avait publiquement embrassé le christianisme. A Corinthe, saint Paul avait été mené devant le proconsul d'Achaïe, Gallion frère de Sénèque. C'est au préfet du prétoire que l'apôtre avait été livré dès son arrivée à Rome: or ce magistrat n'était autre que Burrhus selon toute apparence 2. Ce serait donc violer toutes les règles de la critique, de supposer que les hommes instruits de ce temps-là n'aient pas connu le christianisme. Si donc quelques-uns d'entre eux, comme Sénèque et Plutarque, n'en ont point parlé dans ceux de leurs écrits qui sont arrivés jusqu'à nous, c'est à d'autres causes qu'il faut attribuer ce silence. Sortie de la Palestine, l'Église leur paraissait une secte juive qu'ils enveloppaient dans le mépris

1 Multitudo ingens.

2 Sulpice Sévère: I; Tacite: XV, 44; Pline: Ép. a Trajan; Cyril.; contre Jul., 1, 10; Actes des Ap., XXVIII, 30, et 31; Ép. aux Philip., Iv, 22; Actes des Ap., XIII, 12; xvIII, 12, 13; Ép. aux Philip., 1, 13.

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général professé pour un peuple haï de tous. Partant de cette idée, ils voyaient dans le culte nouveau une de ces mille superstitions populaires qui affluaient à Rome de tous les points du globe et dont il ne valait pas la peine de s'occuper. Sénèque en particulier pouvait fort bien goûter la partie morale de la religion chrétienne et profiter des lumières qu'elle répandait autour d'elle, sans voir dans ses croyances et dans ses pratiques autre chose qu'une superstition. Lui, qui dans sa jeunesse avait renoncé au régime pythagoricien pour ne pas s'exposer a être pris pour un Juif, n'était pas homme à manifester une sympathie quelconque pour une secte odieuse au peuple et persécutée par le prince1. Ce qui d'ailleurs achève de prouver que ce silence de quelques auteurs païens doit s'expliquer en grande partie par leur dédain pour une religion qu'ils confondaient avec celle des Juifs, c'est le ton de mépris avec lequel se sont exprimés sur le christianisme ceux qui en ont parlé.

Cet air de dédain et ce ton de raillerie s'observent particulièrement chez Lucien de Samosate qui écrivait vers la fin du deuxième siècle. Nous avons remarqué l'année dernière le genre de persiflage dont il use pour tourner en ridicule les martyrs chrétiens. Mais il ne me paraît pas superflu de revenir là-dessus pour caractériser l'attitude hostile des lettrés du paganisme. Certes, à l'époque de Lucien, le christianisme était connu : les écrits du sophiste prouvent qu'il était loin d'ignorer les points principaux de la doctrine évangélique. Je ne veux point parler du dialogue intitulé Philopatris dans lequel le dogme de la Trinité se trouve l'objet d'attaques assez vives, car la critique me semble en avoir rendu l'authenticité à tout le moins douteuse 2. Mais dans le Pseudomantis, dans l'Aléthès historia, et surtout dans la Lettre à Cronius sur la mort de Pérégrinus, il y a

1 Sénèq.: Ep., 108.

2 Gessner de Etate dial. Lucianei qui Philopatris inscribitur, Goettingue 1748; Niebuhr: préf. du t. XI des Historiens de Byzance, éd. de Bonn.

de fréquentes sorties contre la religion chrétienne. Or, chose étrange! c'est la partie de l'Évangile qui se recommande d'elle-même à la raison naturelle, le dogme de l'immortalité de l'âme, l'esprit de fraternité qui doit régner parmi les chrétiens, le précepte du renoncement ou de l'abnégation, c'est cela précisément qui excite la verve de Lucien et devient le thème de ses railleries. Avec un peu de réflexion et de bonne foi, il eût pu se convaincre sans peine qu'une religion qui joignait à une morale si parfaite des vérités si élevées ne devait pas être confondue avec les superstitions grossières dont le monde était plein. Eh bien! non: le sophiste ne daignera pas s'initier davantage à la connaissance d'une doctrine qui n'avait pas laissé de produire sur son esprit une certaine impression. Les chrétiens lui paraîtront des dupes ou des jongleurs; il rira d'eux comme de ces charlatans vulgaires qui parcouraient le monde romain pour séduire les simples par le prestige de la magie ou de la divination. Lui, qui ne se donne pas la peine de rien examiner, qui effleure tout ce qu'il traite du bout de la plume, déclare magistralement que les disciples du Christ sont des gens crédules qui acceptent ce qu'on leur dit « sans raison suffisante1. » Voilà l'esprit de justice qui animait les lettrés du paganisme. Évidemment, de la part de pareils écrivains le christianisme ne pouvait s'attendre à la moindre impartialité.

On me dira: Lucien s'est moqué de tout, de la philosophie comme du paganisme; il n'est pas étonnant qu'il n'ait cherché à déverser sur la religion chrétienne que le sarcasme et l'ironie. Soit: tournons-nous vers des auteurs plus graves, qu'une trempe d'esprit sérieuse rendait plus propres à comprendre ce que le christianisme avait de noble et d'élevé; prenons par exemple Tacite et Suétone. A vrai dire, Tacite ne semble pas avoir été un homme très religieux. Tout en parlant des dieux en maint endroit de ses.

1 De Morte Peregrini, ἄνευ τινὸς ἀκριβοῦς πίστεως.

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