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était achevée, dans ses linéaments principaux, longtemps avant que l'histoire des Juifs fût connue des autres peuples. C'est la captivité de Babylone qui a mis pour la première fois Israël en contact durable avec le reste des nations; et rien ne prouve qu'avant la version des Septante les livres saints aient été répandus parmi les Grecs. On peut même affirmer, sans crainte de se tromper, que le christianisme seul a vulgarisé les écritures de l'Ancien Testament dont Israël avait été l'unique dépositaire. C'est doné un anachronisme manifeste de faire dériver les fables des Grecs d'une histoire qu'ils ne connaissaient même pas à cette époque. Voilà pourquoi le système de Huet et du P. Thomassin ne supporte pas l'examen sérieux de la critique.

Résumons nos conclusions. Nous avons vu dans quels termes le problème se posait devant saint Justin. Existet-il entre certaines doctrines des philosophes, des poètes de l'antiquité, et les livres saints, d'une part, entre les faits de l'histoire sainte et ceux de l'histoire profane, de l'autre, une concordance assez grande pour qu'il faille conclure à un rapport d'origine ou d'emprunt? Marchant sur les traces de l'école juive d'Alexandrie et frayant les voies à Clément et à Eusèbe, le philosophe chrétien n'hésite pas à résoudre affirmativement les deux parties de la question. En même temps qu'il admet un emprunt direct fait aux livres saints par les sages de la Grèce, il voit dans la mythologie païenne une contrefaçon et un travestissement de l'histoire sainte. Sans admettre cette solution dans toute son étendue, nous avons dit à quelles limites il convient de la restreindre pour rester dans le vrai. Tout en repoussant comme douteuse, et même comme improbable, l'hypothèse d'un emprunt direct à l'Écriture elle-même par les sages de la Grèce, nous avons démontré, par leurs propres aveux, qu'ils doivent la plus saine partie de leurs doctrines aux traditions orales provenant d'une révélation primitive. Examinant ensuite l'autre face de la question, nous n'avons pu méconnaître, avec l'apologiste chrétien, la concordance partielle de la fable et

de l'histoire; mais tout en retrouvant dans les mythes helléniques le souvenir des faits généraux de l'histoire primitive du genre humain, nous avons dû rejeter un système qui attribue la formation de la mythologie grecque à l'altération des faits particuliers à l'histoire des Juifs. Telles sont les conclusions auxquelles nous nous arrêtons sur ce point historique, que l'étude de saint Justin nous a portés à examiner quelques instants. Il ne me reste plus qu'à vous présenter une courte observation.

J'ai dit, Messieurs, que cette discussion toute historique touche par un côté à une controverse philosophique qui, vieille comme le monde, s'agite avec une nouvelle vivacité depuis plusieurs années. Je veux parler du débat qui porte sur les forces et les limites de la raison livrée à elle seule dans l'acquisition des connaissances religieuses et morales. Là-dessus, deux systèmes contraires peuvent se produire, selon qu'ils placent, l'un, dans la raison, l'autre, dans la révélation, la source unique des vérités nécessaires à l'homme pour arriver à sa fin dernière. Je n'ai pas besoin de vous dire que ces deux systèmes, qu'on est convenu d'appeler le rationalisme et le traditionalisme, sont faux parce qu'ils sont exclusifs l'un et l'autre. L'homme, par cela seul qu'il est un être raisonnable, peut tirer de son propre fonds, par la réflexion naturelle s'appliquant à lui-même et à ce qui l'environne, certaines vérités premières auxquelles il donne son assentiment. C'est ce que saint Paul enseigne de la manière la plus formelle en écrivant dans l'Épître aux Romains: « Les perfections invisibles de Dieu se manifestent par le spectacle de ses œuvres, » et un peu plus loin: « La loi de Dieu est écrite dans le cœur de toutes les nations.» Mais, si la raison naturelle de l'homme peut s'élever par elle-même, par sa vertu propre et intime, à quelques vérités fondamentales, il n'est pas moins vrai de dire que, par suite de notre déchéance, de l'état d'affaiblissement où se trouvent nos facultés, avec les mille causes d'erreur qui surgissent de nous-mêmes et de tout ce qui nous entoure,

il est extrêmement difficile, pour ne pas dire moralement impossible, de parvenir, sans le secours de la révélation, à un ensemble de connaissances pleinement suffisantes pour notre vie religieuse et morale. En deux mots, l'élément rationnel et l'élément traditionnel, la raison et la révélation se combinent dans une juste proportion pour assurer à l'homme la complète satisfaction de tous ses besoins. Il est tout aussi déraisonnable de faire abstraction, avec Descartes, de l'enseignement traditionnel pour élever sur la raison pure tout l'édifice de nos connaissances, que de se renfermer, avec d'autres, dans la parole extérieure, sans lui chercher dans les principes de la raison une base première et certaine. Je ne veux pas m'étendre en ce moment sur une question que nous aurons l'occasion de traiter plus tard avec les développements qu'elle comporte. Je cherche uniquement à prévenir une objection qui pourrait s'élever dans votre esprit à propos de saint Justin. Il faut avouer qu'à s'en tenir à l'Exhortation aux Grecs, on serait tenté de lui prêter sur ce point une opinion trop exclusive. En rapportant à la révélation seule ou à l'enseignement traditionnel la somme de vérités dont le monde ancien était en possession, il semble exclure le travail de la raison naturelle. Mais ne nous hâtons pas de porter notre jugement avant d'avoir parcouru l'ensemble de ses écrits. Nous ne pouvons pas exiger des premiers apologistes, de leurs ouvrages nés du moment et pour les besoins de la circonstance, cette rigueur de méthode et cette plénitude de développements qui supposent plus de loisir et une vie moins agitée. Ce qui paraît peu défini quelque part reçoit ailleurs son explication ou son complément. Ainsi, après avoir donné une large place à l'enseignement traditionnel par l'Exhortation aux Grecs, saint Justin indique dans ses deux apologies les ressources que l'homme possède dans son intelligence. Là, il montre le Verbe ou la sagesse divine éclairant l'homme par les lumières de la raison naturelle, l'aidant dans ses recherches, secondant ses efforts pour arriver à la connaissance des choses divines,

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lui faisant comprendre par cet enseignement intérieur la parole du dehors, et répandant à travers le monde ancien ces semences de vérités que le christianisme devait faire germer et fleurir. Doctrine lumineuse et féconde qui jette les plus vives clartés sur l'histoire religieuse de l'humanité! Nous la trouverons dans l'œuvre capitale de saint Justin, ses deux apologies, dont nous commencerons l'étude la prochaine fois.

DOUZIÈME LEÇON

Caractère et Deuxième base

Première apologie de saint Justin. — L'attaque et la défense. — Analyse du discours. Grandeur et beauté des sentiments qui s'y trouvent exprimés. Dans quel sens l'apologiste revendique pour les chrétiens le libre exercice du culte ou la tolérance civile. Il réclame le droit commun accordé aux diverses religions de l'empire. forme de cet argument personnel ou ad hominem. de l'argumentation: le droit essentiel et inhérent à la vérité. La liberté de conscience revendiquée par l'apologétique chrétienne n'a rien de commun avec les théories imaginées sur ce point par le rationalisme contemporain. Examen de ces systèmes dans leur comparaison avec la doctrine et la pratique des premiers apologistes.

MESSIEURS,

Jusqu'ici nous avons suivi l'éloquence chrétienne sur le terrain de l'attaque plutôt que sur celui de la défense. Les deux discours de saint Justin aux Grecs et son traité de la monarchie ou de l'unité de Dieu sont moins une apologie du christianisme qu'une réfutation des erreurs polythéistes. Avec la requête adressée à l'empereur Antonin nous entrons au cœur de l'apologétique chrétienne. Non pas qu'en répondant à la violence et à la calomnie, saint Justin quitte tout à fait l'offensive pour la défensive. Dans la situation où se trouvaient les chrétiens, se défendre, c'est attaquer et réciproquement. En s'affirmant dans le monde, le christianisme niait par le fait même toutes les religions qui avaient cours autour de lui. Il aspirait à la souveraineté exclusive des intelligences, du droit qu'a la vérité de ne point admettre l'erreur au partage de sa légitimité. C'est pourquoi toute apologie de la religion chrétienne devenait une attaque au moins indirecte contre les doctrines païennes.

Donc, Messieurs, en passant des écrits de saint Justin que nous avons étudiés jusqu'à présent à sa première apologie,

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