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surnaturel est assez émoussé, que la thèse des Pères sur le rôle du démon dans l'histoire a trouvé le défenseur le plus solide et le plus profond. Je considère la Mystique de Goerres comme une œuvre capitale sur les rapports du monde visible avec le monde invisible. Jamais peut-être l'esprit philosophique n'a pénétré plus avant dans ces problèmes si délicats et si élevés. Pour analyser des faits si complexes et les réunir dans une synthèse complète, il fallait tout le génie de Goerres. Naturaliste, historien, mythologue, critique, cet homme, à qui Napoléon Ier faisait l'honneur de l'appeler la quatrième des puissances alliées contre lui, avait toutes les connaissances nécessaires pour suffire à cette immense tâche. Sa Mystique est un vrai chefd'œuvre de science et d'érudition, où tous les phénomènes de l'ordre surnaturel, depuis l'extase jusqu'à la possession, sont observés, analysés, critiqués, approfondis, classés avec une sagacité et une précision qui frappent d'étonnement. Goerres distingue avec soin la mystique naturelle, la mystique divine et la mystique diabolique. Après avoir cherché les fondements de cette triple mystique dans le dogme et dans l'histoire, il décrit les faits relatifs à chacune d'elles. S'appliquant à la mystique naturelle, il étudie les rapports extraordinaires qui peuvent exister entre l'homme et le monde sidéral, le règne végétal, le règne animal, etc. Il développe à ce sujet les formes diverses de la clairvoyance et du magnétisme animal, où le système nerveux et l'élément psychique ont une prédominance marquée. Puis, arrivé à cette extrême limite du monde sensible où les forces de la nature tendent en quelque sorte à se spiritualiser, il entre de plain-pied dans l'ordre surnaturel. Là, dans ces régions supérieures, la mystique se divise en deux branches, selon que l'âme peut être sollicitée par des puissances contraires, qu'elle descend vers l'abîme du mal ou qu'elle s'élève jusqu'à la source du bien. Examinant cette double face de son grand sujet, Goerres aborde successivement les différents faits merveilleux qui se sont produits dans la vie

des saints. Il suit la mystique dans les Pères du désert, dans les martyrs, dans la solitude du cloître, dans les situations multiples où s'est manifestée une sainteté extraordinaire. Il montre comment cette action surnaturelle de Dieu peut influer, chez les saints, sur les organes, les fonctions des sens, les diverses régions du corps, sur les facultés de l'esprit, pour les élever et les transformer. Ce que les grands mystiques chrétiens n'ont fait le plus souvent qu'exposer et décrire, Goerres le discute en critique dans son explication des phénomènes de l'extase, de la vision surnaturelle, des dons les plus élevés que Dieu puisse communiquer à l'homme. Passant ensuite à la mystique diabolique, le philosophe de Coblentz fait voir comment elle forme la contrepartie de la mystique divine: il constate les opérations des esprits mauvais qui veulent assurer leur pouvoir sur l'homme, les degrés de ce pouvoir selon que l'âme cède à leur domination, les pratiques ténébreuses par lesquelles certains hommes ont cherché de tout temps à se mettre en rapport avec les puissances du mal; et, sans lui faire négliger la part de la supercherie et de l'illusion, le sens profond qu'il a des choses morales le prémunit contre un pyrrhonisme superficiel et léger. Telle est la grande œuvre que le génie de Goerres a dressée hardiment devant l'esprit sceptique de son siècle. On peut y contester certains faits, quelques vues de détail, des rapprochements plus ingénieux que fondés, mais, prise dans l'ensemble, elle défie la critique. On peut la définir d'un trait en disant qu'elle offre une application merveilleuse de l'esprit philosophique aux rapports du monde invisible avec le monde visible. Je ne saurais mieux justifier le sentiment de saint Justin et des autres apologistes sur le rôle du démon dans l'histoire en général et dans les siècles païens en particulier, qu'en vous renvoyant à un ouvrage qui restera comme l'une des productions les plus sérieuses et les plus originales du dix-neuvième siècle.

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QUINZIÈME LEÇON

Description de la liturgie catholique dans la première apologie de saint Justin. Le baptême ou le rit sacré de l'initiation chrétienne. Caractère éminemment rationnel de la théorie catholique des sacrements. Tableau du sacrifice de la messe. Haute importance de ce passage. Il suffit à lui seul pour condamner le protestantisme qui n'a pas de sacrifice. La description de saint Justin répond trait pour trait au sacrifice de la Messe tel qu'il a été célébré dans l'Église catholique. Recueil des anciennes liturgies envisagées au point de vue littéraire et sous le rapport dogmatique. Ce rituel de la prière publique dans l'Église primitive permet d'apprécier la révolution morale opérée par le christianisme dans le monde. La prière publique ou privée chez les païens. Les Éleusinies et les Thesmophories. Comparaison avec les cérémonies du culte chrétien. Esprit nouveau qui respire dans la prière chrétienne telle qu'elle est formulée dans les liturgies primitives. Caractère surnaturel de cette transformation de la prière par le christianisme.

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MESSIEURS,

Nous terminons aujourd'hui l'étude de la première apologie de saint Justin. Revendiquer pour les chrétiens le libre exercice de leur culte, démontrer la vérité de leur religion en même temps que la fausseté des fables païennes, tel est, en grande partie, l'objet de cette mémorable requête adressée à l'empereur Antonin et à Marc-Aurèle. A ce sujet nous avons été amenés à examiner trois questions successives: la première, dans quel sens saint Justin réclamait la liberté de conscience; la deuxième, à quel degré la morale évangélique dépassait. la morale stoïcienne; la troisième enfin, quel rôle l'apologiste assignait au démon dans l'œuvre du paganisme. La dernière partie du discours va nous mettre en présence d'une nouvelle question qui ne le cède aux précédentes ni en importance ni en intérêt.

En étudiant avec vous les causes de l'opposition que le christianisme rencontrait dans les diverses classes de la société païenne, j'ai dû constater les idées étranges que se formaient les ennemis de la religion nouvelle touchant ses mystères et ses rites sacrés. Esclaves d'une imagination toute sensuelle, les sectateurs de l'idolâtrie transportaient en esprit dans les assemblées du culte chrétien les abominations qui se pratiquaient chez eux. De là les calomnies aussi odieuses que ridicules répandues dans le peuple. Ici, Messieurs, les apologistes se trouvaient en face d'une grave difficulté. Dévoiler aux païens ce que le christianisme a de plus auguste dans sa doctrine et dans ses sacrements, c'était s'exposer en pure perte à leur risée ou à leur fureur. D'autre part, cependant, il était impossible de laisser sans réponse des imputations si grossières. Il en résulta qu'en se plaçant à des points de vue différents, les uns, tels que saint Justin, par exemple, repoussèrent la calomnie par une exposition nette et franche de la liturgie chrétienne, tandis que d'autres, comme Minutius Félix, se contentèrent d'une simple dénégation appuyée sur la vie exemplaire des fidèles. Je ne veux pas traiter en ce moment. la question de la loi de l'arcane ou de la discipline du secret: nous la retrouverons sur notre chemin en étudiant l'éloquence chrétienne dans les premières catéchèses. A quelle époque faut-il faire remonter cette discipline, et à quelle partie de la doctrine s'étendait-elle précisément ? Voilà un double point d'étude que les catéchèses de saint Cyrille d'Alexandrie ne nous permettront pas de négliger: Qu'il me suffise de faire observer, quant à présent, que cette loi était dans la nature même des choses, qu'elle résultait nécessairement des circonstances au milieu desquelles le christianisme se présentait dans le monde. Règle générale, ce n'est qu'avec précaution et par degrés qu'on pouvait initier aux mystères de la révélation des âmes enfoncées dans le matérialisme païen. Ce que la prudence et l'esprit de méthode suggéraient d'eux-mêmes devenait une nécessité par suite

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de la condition intellectuelle et morale du monde ancien. D'ailleurs, le Sauveur lui-même avait posé le principe de cette loi du secret en défendant de livrer les choses précieuses aux indignes; saint Paul, écrivant aux Corinthiens, distinguait également les commençants, qui ne peuvent digérer que le lait de la doctrine, et les parfaits auxquels convient une nourriture plus solide 1. Donc, même sans recourir au témoignage positif de la tradition, on est en droit de supposer qu'une discipline appuyée sur la parole du Sauveur et sur l'enseignement des apôtres, commandée par les circonstances, fondée dans la nature des choses, remonte au berceau même de la religion. Ce qui ne veut pas dire, à coup sûr, qu'on doive l'y retrouver aussi rigoureusement formulée qu'au quatrième siècle : ce qui pouvait n'être à l'origine, selon toute apparence, qu'un principe général dont l'application variait suivant les lieux et les personnes, a dû prendre plus tard une forme plus précise et devenir une loi positive avec le développement de la discipline. De là vient qu'au milieu du deuxième siècle saint Justin pouvait, sans déroger à une loi formelle qui n'existait pas encore, s'écarter dans une circonstance particulière d'une coutume généralement observée, pour ôter aux païens tout prétexte de calomnier les assemblées chrétiennes. C'est à ce dessein hardi, mais sagement conçu, que nous devons cette belle description de la liturgie catholique, la première qu'on trouve dans l'histoire de l'éloquence sacrée, du moins avec cette étendue et cette précision.

Saint Justin commence par le rit de l'initiation chrétienne ou le baptême : « Je dois vous exposer le moyen par lequel nous sommes consacrés à Dieu et renouvelés dans le Christ, car si j'omettais ce point, vous pourriez chercher matière à reproche dans mon discours. Quelqu'un est-il convaincu de la vérité de nos doctrines, nous exigeons de lui qu'il promette de vivre en conséquence, nous jeûnons avec lui,

1 S. Matth.: VII, 6; 1г3 aux Corinth., II, 6, etc.

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