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votre Église, votre peuple, votre troupeau tout entier. Conservez-nous, nous vos indignes serviteurs, nous les brebis de votre troupeau; accordez-nous votre paix et votre charité ; envoyez-nous le don de l'Esprit-Saint, afin que nous puissions nous saluer du saint baiser de paix avec un cœur pur et une conscience sans tache. Bannissez de nous toute fausseté et toute hypocrisie ; faites que nous soyons unis par le lien de la paix et de la charité, que nous ne formions qu'un corps et qu'une âme dans une même foi, comme nous sommes appelés dans une même espérance, afin que nous nous rencontrions tous dans un même amour en Jésus-Christ notre Seigneur1. >>

C'est, Messieurs, en parcourant ces premiers monuments de la prière chrétienne, qu'on touche du doigt la fausseté de ces systèmes rationalistes qui ont voulu voir dans le christianisme un simple développement de ce qui le précédait. Je demanderai à tout homme de bonne foi d'où venait l'esprit nouveau qui respire dans ces prières, cet esprit de foi, d'espérance, de charité. Est-ce là du stoïcisme ou du platonisme? Ce souffle divin sortait-il des liturgies païennes ? Est-ce là l'esprit qui animait les Bacchanales ou les Thesmophories, les Panathénées ou les Éleusinies? Car il ne suffit pas de rapprocher les doctrines l'une de l'autre ; il faut de plus comparer entre elles les prières et les liturgies. Là est l'expression publique des croyances et leur efficacité vivante. Or, sur aucun autre point, le contraste n'est plus frappant. Jamais pareille chose ne s'était vue dans le monde ancien; et quand je veux saisir à son plus haut degré la divine originalité du christianisme, étudier les deux sociétés en présence l'une de l'autre pour voir ce qui les distingue, je les prends au moment où toutes deux se réunissent pour célébrer leur culte. Le jour des fêtes de Bacchus et de Saturne est arrivé: Rome entière tressaille à l'idée des jouissances qu'elle se promet à la faveur et sous le nom de la

1 Lit. divi Marci, Renaudot : collect., tome I, 142.

religion. Dès la pointe du jour, des hommes, des femmes, dans un état d'ivresse complète ou d'exaltation furieuse, parcourent les rues de la cité impériale, brandissant des thyrses, agitant des cymbales, courant et folâtrant les cheveux épars, se livrant aux actes les plus désordonnés. Voilà ce qui s'appelait célébrer la fête des dieux. Commencée dans l'orgie, la cérémonie finira par le cirque, et le drame frivole ou indécent du temple se dénouera dans l'arène sanglante du Colisée. C'est ainsi que Rome païenne comprenait la religion. Eh bien! tandis que ces choses, que je ne veux pas décrire plus au long, se passent à la surface, une autre scène s'accomplit sous les pieds de ce peuple, dans le silence des catacombes, la scène que saint Justin décrivait aux empereurs païens. Là, dans cette Rome souterraine qui leur offre un abri, quelques hommes se réunissent et se saluent du nom de frères, prient en commun, chantent des cantiques à Dieu, s'exhortent entre eux à la piété, aux bonnes mœurs, à la persévérance dans le bien, offrent à Dieu la victime sainte immolée pour le salut du monde, participent aux dons du sacrifice, puis se séparent après l'action de grâces, contents et joyeux, prêts à confesser leur foi et à verser leur sang pour la vérité. Voilà les deux sociétés en face l'une de l'autre : le monde ancien qui finit dans l'immoralité du temple et dans la barbarie de l'amphithéâtre; le monde nouveau qui commence sous ces voûtes silencieuses et ignorées où s'accomplissent, au milieu des effusions de la charité fraternelle, les saints mystères de la liturgie chrétienne.

SEIZIÈME LEÇON

Deuxième apologie de saint Justin. — Analyse. — Rapport avec la première apologie. — Analogie et différence. Doctrine du Verbe divin. Place qu'elle occupe dans le système théologique de saint Justin. - Dans quel sens l'apologiste admet les anciens philosophes à la participation du Verbe ou de la vérité éternelle. Le Verbe est la

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Avant l'in

lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. carnation, le monde ancien ne possédait que la semence du Verbe ou une connaissance partielle de la vérité.-Le monde chrétien participe au Verbe lui-même ou à la vérité complète. — Saint Justin appelle du nom de chrétiens ceux d'entre les anciens philosophes qui ont conformé leur vie à ce qu'ils avaient pu connaître du Verbe. Condition dans laquelle se trouvait le monde païen par rapport au salut éternel. - Sentiment des Pères à cet égard.

MESSIEURS,

En présentant aux Antonins la défense de la religion chrétienne, saint Justin avait eu soin de dire qu'il ne demandait pas une grâce, mais le respect d'un droit strict et rigoureux. De plus, il avait terminé sa requête en produisant une lettre d'Adrien au proconsul Minutius Fundanus, par laquelle ce prince défendait de condamner les chrétiens à moins qu'on ne pût les convaincre d'avoir transgressé les lois de l'empire. Sans doute, il y avait loin d'un pareil rescrit à un édit de tolérance formel : les termes un peu vagues dont Adrien s'était servi permettaient à la malveillance des gouverneurs de provinces de voir dans la profession du christianisme une infraction aux lois de l'État. Mais en exigeant une accusation et une enquête en forine, à la place des clameurs d'une foule ameutée, la lettre d'Adrien améliorait sans contredit la situation des chrétiens. C'est pourquoi la production de cette pièce formait la meilleure péroraison que saint Justin

pût imaginer. On aimerait à croire, pour l'honneur des Antonins, que cette apologie si noble et si solide eût obtenu quelques résultats; et, par le fait, s'il fallait s'en rapporter au témoignage de deux historiens postérieurs, Paul Orose et Zonaras, la supplique du philosophe chrétien aurait été suivie de mesures favorables à l'Église 1. Ce revirement dans la politique impériale serait mieux constaté, s'il n'y avait pas de doute sérieux sur l'authenticité d'une lettre adressée par Antonin le Pieux à l'assemblée générale des villes de l'Asie. Mais l'auteur de ce document conservé par Eusèbe tient plutôt le langage d'un empereur païen: ce qui ne laisse pas d'en infirmer la valeur aux yeux de la critique 2. Quoi que l'on puisse conjecturer à ce sujet, il est difficile de croire que la requête de saint Justin ait passé inaperçue: si l'absence de témoignages ne permet pas d'affirmer qu'elle amena un adoucissement dans les rigueurs de la persécution, du moins est-il certain qu'elle dut puissamment contribuer à fortifier les chrétiens dans leur foi.

La mort d'Antonin le Pieux et l'avènement de Marc-Aurèle au trône impérial fournirent à saint Justin une nouvelle occasion de déployer son zèle pour la cause et les intérêts de l'Église persécutée. J'ai déjà montré plus d'une fois comment les préventions philosophiques s'alliant chez ce prince aux préjugés politiques en firent un ennemi acharné du christianisme. Le commencement de son règne devint le signal d'un déchaînement universel contre la religion. Fautil admettre que Marc-Aurèle, dépassant la teneur du rescrit de Trajan et de la lettre d'Adrien, donna de nouveaux édits de persécution, comme l'insinue Méliton de Sardes dans le fragment qu'Eusèbe nous a conservé de son apologie? Ou bien se borna-t-il à permettre aux gouverneurs de provinces d'interpréter les paroles de ses prédécesseurs dans le sens défavorable qu'on pouvait y trouver 3? L'une ou l'autre

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hypothèse suffit également pour expliquer les violences que l'Église chrétienne eut à souffrir dans les premières années de son règne. Comme il arrivait d'ordinaire, des malheurs publics avaient rallumé la fureur des païens. Le fléau de la peste qui, parti de l'Éthiopie, ravageait tout l'empire jusqu'à l'extrémité des Gaules, leur servait de prétexte pour imputer aux chrétiens les effets de la colère des dieux. Au lieu de calmer le fanatisme des masses, les sophistes, tout-puissants sous un prince philosophe, ne faisaient que l'irriter davantage. C'était le moment où l'un de ces charlatans qui parcouraient le monde romain, Alexandre d'Abonoteichos, dont Lucien a raconté la vie, soulevait contre les disciples de l'Évangile les populations du Pont; où l'antagoniste de saint Justin, Crescens, de la secte des cyniques, ameutait la populace de Rome. Entraînés par l'hostilité des masses et par les clameurs des sophistes, les magistrats prêtaient l'oreille à toutes les dénonciations. L'avenir s'annonçait plus menaçant que jamais. Alors l'apologétique chrétienne chercha de nouveau à dominer ces cris sauvages pour faire entendre la voix de la justice. La courageuse attitude qu'il avait prise dix années auparavant assignait à saint Justin le premier rang parmi ceux qui allaient combattre en faveur des chrétiens opprimés.

Nul doute, en effet, que la deuxième apologie de saint Justin n'ait été adressée à Marc-Aurèle et à Lucius Vérus, ainsi qu'au sénat et au peuple romain, entre l'année 161 et l'année 166. Le témoignage d'Eusèbe est formel à cet égard; aussi saint Jérôme et Photius l'ont-ils suivi sur ce point sans la moindre hésitation 1. Je ne ferai que mentionner, sans les discuter, les sentiments contraires de quelques érudits. Les uns avancent la date de la deuxième apologie de saint Justin dont ils placent la composition sous Antonin . D'autres la 1 Eusèbe: Hist. eccl., iv, 15.-S. Jérôme: de Viris illustr., c. 23.- Photius: Bibl. cod., 125.

Dodwell: Dis

2 Valesius: Annot. ad. Eusebii Hist. eccl., IV, 17. sertat. in Iren., 3, 19. - Néander: Hist. univ. de l'Église, 1, 364, él. de Gotha.

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