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recommander à eux par le précepte de la soumission qu'elle portait en tête de ses lois.

Je ne sais, Messieurs, si le fait que je viens d'indiquer a obtenu de votre part toute l'attention qu'il mérite. Cette merveilleuse flexibilité avec laquelle l'Évangile se prête à toutes les constitutions politiques est un caractère tellement original et si exclusivement propre au christianisme, qu'il suffirait en quelque sorte pour en prouver la divinité. Prenez en effet, l'une après l'autre, toutes les religions qui l'ont précédé ou suivi : elles supposent chacune un établissement politique ou social, au sort duquel elles sont enchaînées. Supprimez par la pensée le Céleste-Empire avec son mécanisme artificiel, l'Inde avec le régime des castes et toutes les conséquences qui en découlent à l'instant même les lois de Confucius ou de Manou perdent leur application. Que l'empire des Arabes vienne à disparaître : le Coran n'a plus de sens, parce qu'il a été rédigé en vue d'un peuple, d'une forme de gouvernement particulière, déterminée, dont la ruine entraîne la sienne. Il n'en est pas ainsi de l'Évangile, où l'on ne trouve pas une ligne qui puisse faire supposer que son auteur ait voulu l'appliquer à telle nation plutôt qu'à telle autre. Vous aurez beau imaginer toutes les nuances d'organisation sociale, depuis l'extrême démocratie jusqu'au pouvoir absolu : le christianisme peut s'harmoniser à toutes, sans se fondre dans aucune. C'est, du reste, ce qu'a montré son histoire depuis dix-huit siècles. Il a vécu persécuté sous Néron, comme triomphant sous Constantin. Il a fleuri sur le sol mouvant des républiques italiennes du moyen âge aussi bien qu'à l'ombre du trône de Philippe II ou de Louis XIV. Il s'accommode du régime des États-Unis non moins que de celui de Naples ou de l'Autriche. Je n'ignore pas que de nos jours, où l'esprit de système joue un si grand rôle, on a voulu parfois l'inféoder à un parti, l'identifier avec une théorie politique. Les uns disent: le christianisme, c'est la démocratie; d'autres, le christianisme, c'est la monarchie. Il n'est ni l'une ni l'autre et

convient à toutes deux. Qu'à une époque donnée et au sein de tel peuple en particulier, il ait plus de garantie pour son indépendance et plus de facilité pour son développement sous une forme de gouvernement que sous une autre, c'est ce qu'on ne saurait nier; mais en principe, et d'après la nature même de sa constitution ou de son enseignement, il les admet toutes sans en exclure aucune. Pourquoi cela? D'où lui vient ce privilège unique ? C'est qu'il s'adresse directement à la raison et à la conscience humaine, qu'il prend l'homme avant le citoyen; c'est qu'un dans son principe, il est universel dans son expansion; c'est qu'à la différence de toutes les institutions humaines, il n'est pas la religion d'un peuple ou d'une race, mais la religion de toutes les races et de tous les peuples, la religion de l'humanité.

Aussi, Messieurs, loin d'accorder à quelques écrivains que le triomphe du christianisme eût été la ruine de l'empire romain, je dis que le christianisme seul pouvait sauver l'empire, si tant est que ce dernier pût être sauvé. Qu'estce qui manquait, en effet, à ce corps social, admirablement organisé dans sa forme extérieure, quoi qu'on ait pu en dire, et réunissant par la concentration de ses forces sous un pouvoir unique plus de conditions matérielles de durée qu'au temps de la république ? Ce qui lui manquait, c'était la vie religieuse et morale, le sentiment du devoir, les croyances fortes et saines, l'esprit de justice et de charité. Eh bien! supposons qu'au lieu de faire au christianisme une guerre à mort, l'empire romain se fût laissé pénétrer par sa haute influence : une rénovation morale eût été la conséquence de ce grand fait. Libre d'exercer sa plénitude d'action, la religion nouvelle eût restauré l'édifice social de haut en bas et dans tous les sens. Avec les moyens de régénération qu'elle possédait, elle aurait relevé les esprits, redressé les caractères, retrempé et fortifié les âmes. Aucune classe de la société n'aurait échappé à cette puissance de transformation. L'Évangile aurait tiré le peuple de la dégradation où il était plongé, arraché l'aristocratie à la

corruption qui la dévorait et placé sur le trône, en place du crime et de la folie, la justice, la dignité; et alors peut-être, avec ses ressources militaires, sa vaste administration, sa vigoureuse unité et sa civilisation avancée, l'empire romain, raffermi par le christianisme, aurait pu résister au choc des barbares comme l'Europe chrétienne a soutenu plus tard celui des hordes musulmanes non moins redoutables pour elle que n'avaient été les Huns et les Vandales. Eh! Messieurs, pour juger les forces que possède la religion chrétienne lorsqu'il s'agit de préserver les nations de la décadence, nous n'avons qu'à jeter un coup d'œil sur l'histoire de notre temps. Dieu me garde de vouloir assimiler nos sociétés modernes à l'empire romain. Mais enfin, voilà bien des siècles que les races latines et germaines usent leur énergie dans une activité sans pareille : elles peuvent à bon droit s'intituler la vieille Europe. Or, qui pourrait nier que, dans cette vieille Europe, il n'apparaisse çà et là des symptômes de décadence et même des signes de décrépitude? J'ignore si le matérialisme qui emporta l'empire romain était plus énervant et plus corrupteur que celui qui nous envahit de toutes parts. Notre siècle s'est ouvert au milieu d'une tourmente sociale à laquelle aucune nation païenne n'aurait pu survivre. Comment donc se fait-il que les nations modernes résistent et à l'action du temps qui semble précipiter leur ruine, et aux principes de mort qui s'insinuent en elles, et aux vicissitudes des révolutions qui les bouleversent de fond en comble; qu'au lieu de s'épuiser, leur sève vitale se renouvelle sans cesse ; qu'au milieu des crises les plus violentes elles déploient tout à coup des ressources inattendues, et qu'il suffise d'une main vigoureuse pour replacer sur ses bases l'édifice ébranlé ? C'est, Messieurs, qu'elles peuvent se retremper à cette source de vie religieuse et de morale que le christianisme entretient au milieu d'elles, c'est qu'elles vivent de ce fonds inépuisable de croyances, de justice, d'honneur, de dignité, de charité dont l'Évangile a fait leur patrimoine commun;

c'est qu'on a beau les miner, saper leurs fondements, si avant qu'on pénètre dans ce travail destructeur, on vient toucher à ce roc de l'Évangile, ou, si vous me permettez ce mot, à ce tuf primitif qui soutient tout et qui résiste à tout. Voilà pourquoi elles peuvent attendre sans crainte ce dont on les a souvent menacées, une nouvelle invasion de barbares du Nord, du Midi ou de je ne sais où, car aussi longtemps qu'elles conserveront les croyances et les vertus chrétiennes, elles posséderont ce qui manquait à l'empire romain, un principe immortel de force et de vie.

Ai-je besoin d'ajouter que les hommes d'État de l'ancienne Rome ne comprenaient pas cette vérité ? Des préjugés invétérés les empêchaient de reconnaître ce que la religion nouvelle avait de vertu régénératrice; et sans vouloir les décharger de toute culpabilité, on peut invoquer en faveur de leur ignorance le bénéfice des circonstances atténuantes. Ce qui les égarait sur ce point, jusqu'à les porter au mépris de tous les droits, à la persécution ouverte, c'était la notion païenne de la religion d'État. Je dis la notion païenne, pour aller au devant d'une objection que vous pourriez me faire et qui se présente d'elle-même. Le christianisme, lui aussi, peut devenir religion d'État ; mais vous allez saisir en peu de mots la différence qui existe entre les deux situations. Dans la théorie chrétienne, l'Église ne s'identifie point avec l'État, elle conserve à côté de lui sa sphère d'action propre et distincte. Toute la fonction de l'État se réduit à lui prêter un appui en lui demandant son concours. Mais ce n'est pas au nom de l'État que l'Église prêche, enseigne, gouverne. L'État n'acquiert pas le droit de s'immiscer dans les affaires de l'Église, de s'ingérer dans sa discipline intérieure, dans la prédication de la parole, dans l'administration des sacrements. Ce sont deux puissances qui vivent côte à côte en bonne intelligence, ou, pour mieux dire, qui se pénètrent mutuellement par une influence, par un jeu réciproque, sans perdre leur caractère distinctif, ni leur autonomie. En

un mot, il y a union entre les deux, il n'y a pas absorption de l'une par l'autre. Il a fallu le protestantisme pour faire revivre parmi nous la théorie païenne de la religion d'État, pour nous montrer des rois ou des parlements définissant des points de doctrine, décrétant des articles de foi, réglant les cérémonies du culte, gouvernant avec une autorité souveraine la vie religieuse. Ce qui se pratique à cet égard en Angleterre et en Prusse depuis la Réforme n'est qu'une application du principe païen qui subordonnait la religion à l'État; or, vous allez voir que ce principe radicalement faux a été l'origine et le point de départ des persécutions dirigées par les hommes d'État du paganisme contre la religion chrétienne.

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Si, en effet, vous observez de près la constitution des sociétés païennes, vous y remarquerez un fait invariable et constant, c'est que la religion, comme tout le reste, y est absorbée par l'État. Il faut se résigner à ne rien comprendre à l'histoire de l'antiquité ou partir de ce principe émis par Aristote dans sa Politique: « Chaque citoyen doit se persuader que nul n'est à soi, mais que tous sont à l'État 1. » Devant cette maxime fondamentale, tout disparaît et se fond dans l'omnipotence de l'État : liberté individuelle, possession de soi, droits de la conscience, sentiments de famille, tout ce qui fait l'homme, va s'engloutir dans le système de l'État propriétaire unique et suprême régulateur de toutes choses. Montesquieu et Rousseau ont le mieux saisi et exprimé ce point capital dans l'organisation des sociétés anciennes. « A Sparte, dit l'un, on n'était ni enfant, ni mari, ni père. Un citoyen de Rome, dit l'autre, n'était ni Caïus, ni Lucius, c'était un Romain 2. » La conséquence de ce principe pour la religion est évidente. Elle formait une institution de l'État, un établissement politique, une partie intégrante de la législation civile. C'est l'État qui en déterminait la forme, en pres

1 Polit., 1. VIII, c. 1.

2 Esprit des Lois, 1. VI, c. 6; Emile, 1. I, p. 16.

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