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sur Clément et sur Origène, une influence fâcheuse. C'est sur la foi d'Aristobule et de Philon qu'il admet la théorie des emprunts directs faits aux livres saints par les philosophes grecs, et qu'il s'efforce de retrouver quelques dogmes chrétiens dans des passages évidemment apocryphes. Le même défaut de sévérité en matière de critique se remarque dans la facilité avec laquelle il ajoute foi à certaines traditions qui avaient cours, comme l'inspiration des Septante et l'histoire merveilleuse de la Sibylle de Cumes. Enfin l'opinion des Millénaires qu'il adopte, sans dissimuler qu'elle était rejetée par un grand nombre, des recherches trop subtiles dans l'interprétation des Écritures, l'abus de l'allégorie et du sens figuré, ces traits divers prouvent que sa méthode n'était pas à l'abri de tout reproche. Mais ce sont là des taches bien légères dans un auteur qui a remué tant de questions, à une époque où ces points d'histoire et de critique n'avaient pas subi l'épreuve d'une longue discussion. En tous cas, elles n'effacent pas le mérite de l'apologiste, qu'elles font plutôt ressortir par leur peu d'importance et leur rareté.

Envisagé comme écrivain, saint Justin marque également une nouvelle période dans l'histoire de l'éloquence sacrée, celle où l'influence grecque commence à se faire sentir dans les lettres chrétiennes. Si l'homélie ou la lettre pastorale, destinée aux fidèles, pouvait n'être qu'une exhortation simple et pathétique, sans le moindre souci de la forme littéraire, l'apologie adressée à l'Empereur et au Sénat romains devait s'approprier à l'esprit des lecteurs. C'était un plaidoyer d'un autre genre, il est vrai, que les harangues de la Grèce ou de Rome, mais qui ne pouvait manquer de s'en rapprocher pour le ton et la couleur, sous peine d'être écarté par les juges comme l'œuvre d'un barbare. Indiquée par le but de l'apologétique, cette forme nouvelle de l'éloquence chrétienne empruntait à ceux qui l'employaient son origine et sa raison d'être. Les premiers défenseurs du christianisme étaient des rhéteurs ou des philosophes con

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vertis qui, sortant des écoles du paganisme, avaient emporté avec eux le goût et le souvenir des modèles sur lesquels ils s'étaient formés, C'est ainsi qu'en commençant son Exhortation aux Grecs saint Justin imite l'exorde du plaidoyer de Démosthène en faveur de Ctésiphon. Assurément un pareil soin n'aurait jamais préoccupé saint Ignace ou saint Polycarpe. On s'explique donc sans peine que la première influence de l'éloquence grecque sur les Pères de, l'Église coïncide avec l'origine des apologies. Toutefois, ce serait une erreur de s'imaginer que les apologistes du deuxième siècle se soient élevés, comme écrivains, à la hauteur de Démosthène et de Platon, ou même qu'ils aient visé à égaler ces maîtres de la parole. Malgré le soin qu'ils prenaient, en s'adressant aux païens, de ne pas les rebuter par un langage trop éloigné des formes classiques, ils auraient cru rabaisser la vérité en cherchant leur triomphe dans les artifices de la rhétorique. Ils regardaient cette recherche de l'élégance comme frivole et peu digne de la sévérité de l'Évangile 1. Le sublime défi jeté par saint Paul à l'éloquence humaine retentissait encore avec trop de force pour qu'on pût songer aux apprêts de la diction. D'ailleurs la littérature grecque était en pleine voie de décadence; et les travaux des grammairiens ou des rhéteurs n'étaient pas de nature à la relever: ce soin était réservé aux Pères des siècles suivants. Gardons-nous donc d'exagérer le mérite de saint Justin envisagé comme écrivain. A la vérité, son style a deux grandes qualités, la simplicité et la clarté; mais on y chercherait en vain l'élégance et la distinction. Il exprime sa pensée sans la moindre emphase, toujours avec netteté, souvent avec chaleur. Quand le sentiment l'échauffe, son ton s'élève par intervalle et sa diction se colore: hors de là, son langage est calme et contenu, son

1 Théophile d'Antioche: Ad Autolicum, 1, 1; II, 12. Voyez également saint Irénée: Adv. Hæres., liv. I, 4; Arnob.: Adv. Gentes, 1, 59; Clément d'Alexandrie: Stromates, 1, 10, 48; Lactance: Instit. div.,v. 1.

style sobre jusqu'à la sécheresse. Il y a parfois des incorrections dans sa phrase; elle semble se traîner plutôt qu'elle ne marche; de longues parenthèses la coupent et l'embarrassent. Justin ne suit guère l'ordre logique dans le développement de son sujet : la régularité du plan et l'exacte distribution des parties font presque toujours défaut à ses traités; seul, le Discours aux Grecs forme, sous ce rapport, .une heureuse exception. Il passe facilement d'une idée à l'autre, laisse là un argument inachevé pour le reprendre un peu plus loin, se laisse aller à des digressions fréquentes, sans perdre de vue la fin qu'il poursuit. Rien n'offre mieux l'image d'une improvisation écrite que ce discours spontané, familier, libre, où les pensées se pressent comme elles se présentent à l'esprit dans le seul but de convaincre et de persuader. Évidemment, les écrits que nous possédons de saint Justin ne sont pas des ouvrages composés avec grand soin dans les loisirs d'une vie non troublée : ils naissaient de la circonstance, avec le péril auquel ils faisaient face, avec l'ennemi qu'ils étaient destinés à combattre.

Mais, Messieurs, qu'est-ce que les qualités ou les défauts du style devant la grandeur de la cause et le caractère de l'homme ? Justin avait paru à l'une de ces époques où l'erreur cherche à triompher de la vérité par la persécution. Le spectacle de cette lutte enflamma son âme. Dès lors, il ne connut plus qu'une passion, celle de défendre et de propager la foi qu'il avait reçue lui-même. C'est à cette noble mission qu'il consacra sa vie entière. Tous ses écrits respirent ce sentiment du droit, cet amour de la justice et de la vérité que donnent les grandes causes et qui font les grandes âmes. Ardent comme sa foi, son zèle n'a rien d'amer: en défendant les opprimés, il prie pour les oppresseurs. C'était le caractère de ces hommes intrépides et doux qui allaient détruire le paganisme en se laissant tuer par lui! Justin est à leur tête: il les précède par ses œuvres, il les égale par son sacrifice. Quand l'heure du témoignage fut venue, il n'hésita pas à sceller de son sang la sainte cause

qu'il avait servie de sa parole et défendue par ses écrits. La philosophie et l'éloquence, la science et la foi s'étaient rencontrées dans le martyre comme dans l'acte suprême du sacrifice de l'homme à Dieu. Tels sont les titres avec lesquels saint Justin se .présente à l'admiration des siècles: c'est sa grandeur dans l'histoire et sa gloire devant Dieu.

APPENDICE

SUR L'AUTHENTICITÉ DES OEUVRES DE SAINT JUSTIN.

Lorsqu'un écrivain de l'antiquité a joué un grand rôle dans l'histoire, il est rare que la critique ne soulève quelques doutes sur l'authenticité d'une partie de ses œuvres. Si la recherche de la vérité était le but unique de ces sortes de dis cussions, la science ne pourrait qu'en faire son profit. Malheureusement l'esprit de parti inspire le plus souvent ces négations intéressées. On rejette tel écrit comme apocryphe parce qu'il renferme un témoignage gênant pour la cause qu'on veut soutenir. A l'appui de cette opinion préconçue, on imagine des invraisemblances, des différences de style; on abuse des difficultés apparentes que présente l'explication de tout livre composé dans un milieu différent du nôtre, et le tour est joué. Tout le monde sait quels résultats ce criticisme outré a obtenus en Allemagne, où, du reste, il perd chaque jour de son terrain. Saint Justin ne pouvait échapper à des tentatives de cette nature. Ses écrits ont une trop grande importance dogmatique pour que l'esprit de secte n'ait pas dû songer à en ébranler l'autorité. D'autre part des écrivains mieux intentionnés ont défendu les droits de l'apologiste avec quelque mollesse, en faisant des concessions malhabiles. C'est ce qui nous fait un devoir de soumettre la question à un examen sérieux.

Je commence par dire que, dans les éditions ordinaires de saint Justin, on a coutume d'ajouter des écrits que personne n'est plus tenté d'attribuer au philosophe martyr. Telles sont « les Questions aux orthodoxes suivies des réponses. » Il

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