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ACTE II.

SCENE PREMIERE.

NE'RESTAN,CHATILLON.

CHATILLON.

BRAVE Néreftan, Chevalier généreux,
Vous qui brifez les fers de tant de malheu-

reux :

Vous, Sauveur des Chrétiens qu'un Dieu Sauveur en

voie,

Paroiffez, montrez-vous, goûtez la douce joie

De voir nos compagnons pleurans à vos genoux,
Baiser l'heureuse main qui nous délivre tous :
Aux portes du Sérail en foule ils vous demandent,
Ne privez point leurs yeux du Héros qu'ils attendent,
Et qu'unis à jamais fous notre bienfaicteur

NEREST AN.

Illustre Châtillon, moderez cet honneur,

J'ai rempli d'un Chrétien le devoir ordinaire,

J'ai fait ce qu'à ma place on vous auroit, vû faire.
CHATILLON.

Sans doute, & tout Chrétien, tout digne Chevalier,
Pour la Religion se doit sacrifier;

Et la félicité des cocurs tels que les nôtres,
Confifte à tout quitter pour le bonheur des autres.
Heureux à qui le Ciel a donné le pouvoir

De remplir comme vous un fi noble devoir !
Pour nous, triftes jouets du fort qui nos oprime,
Nous malheureux François, Efclaves dans Solime,
Qubliés dans les fers, où lang tems fans fecours,
Le Pere d'Orofmane abandonna nos jours et
Jamais nos yeux fans vous ne reverroient la France.
NE RESTA N

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1

Dieu s'eft fervi de moi, Seigneur, fa Providence
De ce jeune Orofmane a fléchi la rigueur :
Mais quel trifte mélange altére ce bonheur à nov
Que de ce fier Soudan la clémence odieufe,
Répand fur fes bienfaits une amertume affreuse !
Dieu me voit & m'entend, il fçait fi dans mon coeur
J'avois d'autres projets que ceux de la grandeur:
Je faifois tout pour lui, j'efpérois de lui rendrem s
Une jeune beauté qu'à l'âge le plus tendre,
Le cruel Noradin fir efclave avec moi,
Lorfque les ennemis de notre augufte foi,
Couvrant de notre fang la Sirie enyvrée

2

Surprirent Lufignan, vaincu dans Cefarée:
Du Sérail des Sultans fauvé par des Chrétiens,
Remis depuis trois ans dans mes premiers liens,
Renvoyé dans Paris fur ma feule parole,
Seigneur, je me flâtois... Efperance frivole
De ramener Zaire à cette heureuse Cour,
Où Louis, des vertus a fixé le fejour :
Déja même la Reine, à mon zéle propice,
Lui tendoit de fon Trône une main protectrice
Enfin lorfqu'elle touche au moment souhaité
Qui la tiroit du fein de fa captivité,

On la retient.... Que dis-je,... Ah! Zaïre elle-même,
Oubliant les Chrétiens pour ce Soudan qui l'aime....
N'y perfons plus.... Seigneur, un refus plus cruel
Vient m'accabler encore d'un déplaifir mortel,
Des Chrétiens malheureux l'efpérance est trahie.
CHATILLON

Je vous offre pour eux, ma liberté, ma vie,
Difpofez-en, Seigneur, elle vous apartient,
NERES TAN

Seigneur, ce Lufignan qu'à Solime on retient,
Ce dernier d'une race en Héros i féconde,

Ce guerrier dont la gloire avoit rempli le monde
Ce Héros malheureux de Bouillon defcendu,
Aux foupirs des Chrétiens ne fera point rendu.
CHATILLON.

Seigneur! s'il eft ainfi, votre faveur eft vaine:

Quel indigne foldat voudroit briser sa chaine,
Alors que dans les fers fan Chef est retenu :
Lufignan, comme à moi, ne vous eft pas connu,
Seigneur, remerciez ce Ciel, dont la clémence
A pour votre bonheur placé vorre naiffance
Long-tems après ces jours à jamais detestés,
Après ces jours de fang & de calamités,
Où je vis fous le joug de nos barbares Maîtres,
Tomber ces murs facrés conquis par nos Ancêtres,
Ciel! fi vous aviez vu ce Temple abandonné,
Du Dieu que nous fervans, le Tombeau profané,
Nos peres, nos enfans, nos filles & nos femmes
Aux pieds de nos Autels expirans dans les flâmes
Et notre dernier Roi courbé du faix des ans
Maffacré fans pitié fur fes fils expirans !
Lufignan, le dernier de cette augufte race,
Dans ces momens affreux ranimant notre audace,
Au milieu des débris des Temples renversés
Des vainqueurs, des vaincus, & des morts entaffés,
Terrible, & d'une main reprenant cette épée,
Dans le fang infidéle à tout moment trempée,
Et de l'autre à nos yeux montrant avec fierté
De notre fainte foi le figne redouté,

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Criant à haute voix François, foïez fidéles... Sans doute en ce moment, le couvrant de fes aîles La vertu du Très-Haut qui nous fauve aujourd'hui, Aplanifoit la route, & marchoit devant lui,

Et des triftes Chrétiens la foule délivrée,
Vint porter avec nous fes pas dans Cefarée,
Là, par nos Chevaliers d'une commune voix
Lufignan fut choisi pour nous donner des loix.
O mon cher Nérestan ! Dieu qui nous humilie,
N'a pas voulu fans doute, en cette courte vie,
Nous accorder le prix qu'il doit à la vertu,
Vainement pour fon nom nous avons combatu.
Reffouvenir affreux, dont l'horreur me dévore!
Jerufalem en cendre, hélas ! fumoit encore,
Lorfque dans notre azile attaqués & trahis,
Et livrés par un Grec à nos fiers ennemis
La flâme, dont brûla Sion desesperée,
S'étendit en fureur aux murs de Cefarée;
Ce fut-là le dernier de trente ans de revers,
Là, je vis Lufignan chargé d'indignes fers,
Infenfible à fa chute, & grand dans les miferes,
Il n'étoit attendri que des maux de fes frères :
Seigneur, depuis ce tems, ce pere des Chrétiens
Referré loin de nous, blanchi dans fes liens,

Gémit dans un cachor, privé de la lumiere,

a

Oublié de l'Afie, & de l'Europe entiere:

Teleft fon fort affreux ; & qui peut aujourd'hui, Quand il fouffre pour nous, fe voir heureux fans lui NERES TAN. ·

Ce bonheur, il eft vrai, feroit d'un cœur barbare; Que je hais le deftin qui de lui nous sépare!

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