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bouffes, et notamment le duel des poissardes dans la Fille de Mme Angot. Mais c'est là une faible gloire.

Nous en dirons autant de cette fameuse Pipe cassée, poème héroï-comique et burlesque en quatre chants, fort admiré jadis de certaines gens, et que les curieux seuls prennent la peine de parcourir aujourd'hui.

Après avoir traité assez rudement l'écrivain, Collé ne peut refuser à l'homme ses sympathies et sa pitié, à la vue des cruelles souffrances et de la mort douloureuse par lesquelles, à l'âge de trente-sept ans, il expia les désordres de sa jeunesse. « Il avait le cœur honnête, écrit Collé, et était désintéressé au point d'avoir sacrifié à l'établissement d'une partie de sa famille ce qu'il avait retiré de ses ouvrages, et de n'en avoir rien gardé pour lui.... Ce garçon était d'un commerce doux et aimable: il chantait fort joliment, surtout ses chansons poissardes. Il n'avait pas fait ses

études, et ne savait rien d'ailleurs. >>

Faut-il s'étonner que le goût, la mesure lui aient manqué? On a tenté parfois de le comparer à Villon; mais la distance est grande entre eux. Villon est un vrai poète, bien autrement franc et naïf. Au milieu de ses égarements, il a des retours, des repentirs et des visions supérieures que n'eut jamais Vadé. Il songe à sa vieille mère, à son père, l'honnête artisan, qui a vainement payé pour lui des mois d'école mal employés :

Mon père est mort, Dieu en ait l'âme !

J'entends que ma mère mourra :
Et le sait bien, la pauvre femme;
Et le fils pas ne demourra.

Il recommande leur âme et la sienne à la benoîte sainte Vierge. Quand Villon nous parle l'argot des escrocs et des mauvais garçons, il reproduit naïvement la langue même dont il use tous les jours. Vadé est un truand de fantaisie et d'imagination, empruntant aux halles et aux cabarets un langage qui n'est pas le sien, et n'ayant ni remords ni repentir de sa vie et de ses écrits licencieux, avant le jour où la mort vint le saisir. Villon, outre son Grand Testament, riche en termes d'argot et de taverne, laisse à la France quelques-uns des plus beaux vers qu'elle ait entendus jusque-là. Boileau lui fait l'honneur de l'inscrire en tête des poètes français. Vadé ne lègue à son pays qu'un genre détestable, dont la contagion dure encore. Le style poissard alimentant le roman en prose, et prétendant au mérite de l'exactitude et de la précision scientifique, est un phénomène de notre temps. Sous prétexte de moraliser et de guérir la société en lui peignant au vif ses turpitudes et ses laideurs, on croit pouvoir employer en littérature des procédés bons tout au plus pour assainir et déblayer la voie publique. On oublie qu'une plume n'est pas une pelle et un balai, et qu'un livre n'est point un tombereau. Celui de Thespis se contentait de trainer des acteurs barbouillés de lie et pleins d'une joyeuse ivresse.

Quels que soient le talent et le succès des auteurs, on ne peut que blâmer et déplorer des œuvres qui nous dégradent littérairement et moralement, aux yeux de l'étranger comme à nos propres yeux. Après les scandales d'en haut, convient-il d'étaler les ignominies d'en bas? Est-ce par de tels moyens qu'on espère rendre à la France le sentiment de sa dignité et de ses devoirs? Il est permis d'en douter. Vadé du moins

n'eut jamais la prétention de moraliser. Il a voulu tout simplement peindre le laid, l'ignoble, le bas, le trivial; et il y a trop bien réussi1.

1. Pour être juste envers Vadé, en dépit de son genre, il faut rcconnaître qu'il avait de l'esprit, le flair et le goût du pittoresque, un certain sentiment de l'harmonie musicale, qui se révèle dans plus d'une jolie chanson :

Sous un ombrage épais
Fait exprès,

Lisette dormait en paix :
Mais

Le fin Lucas,

Qui ne dormait pas,

La vit, s'approche à petit
Bruit.

CHAPITRE XXII

L'OPÉRA-COMIQUE. (Suite.)

M. ET Mme FAVART.

Leur histoire et leur talent. - La Chercheuse d'esprit.

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Ninette

à la cour. - La Rosière de Salency. - Les Moissonneurs. - Les Trois Sultanes. La Soirée des boulevards.

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I

Nous avons vu l'opéra-comique sortir des limbes de la parade et de la parodie avec Le Sage et Fuzelier, s'épurer et se moraliser comme le vaudeville avec Panard, se dégrader et s'avilir un moment avec Vadé : nous allons le voir se relever, s'épanouir avec Favart, réunir en lui le sentiment et l'esprit, la décence et la gaieté, enfin l'intérêt dramatique qui lui a manqué jusqu'alors.

A la fois auteur et directeur de troupe, chargé de fournir les pièces et de recruter les acteurs et les musiciens, Favart a été, sinon le créateur, au moins le pourvoyeur le plus actif, le plus fécond de l'OpéraComique durant un demi-siècle aussi la postérité lui a-t-elle rendu justice en donnant son nom à l'une des rues qui conduisent à ce théâtre. Si l'on en croyait Grimm, Favart serait tout simplement un garçon pâtissier, échappé de la boutique de son maître pour faire des chansons et des opéras. Rien de plus

inexact. N'oublions pas qu'avant de débuter au théâtre, même sous le voile de l'anonyme, il avait déjà remporté en 1734 un prix de poésie, devant l'Académie des Jeux Floraux, pour une ode en l'honneur de Jeanne d'Arc. Plus instruit que Vadé, Panard et Sedaine, il est cependant moins encore un homme de lettres qu'un praticien de l'art dramatique. La nature l'avait fait d'instinct chansonnier : c'était pour lui du reste un héritage de famille. Son père tenait un fonds de pâtisserie voisin du théâtre, et s'était rendu fameux par ses couplets et ses échaudés, nouveauté gastronomique dont il était l'inventeur et qu'il élevait, dans ses vers, à la hauteur d'une institution nationale, la déclarant «< aussi supérieure par sa légèreté à tous les autres gâteaux, que l'esprit français. l'était à celui de tous les autres peuples ».

Le jeune Favart suivait, comme externe, les cours du collège Louis-le-Grand, quand la mort de son père l'obligea de prendre la direction de la maison. Il quitta, non sans regret, Térence et Virgile, pour revêtir la calotte et la veste blanche du marmiton. Coïncidences assez curieuses : Quinault, le créateur de l'opéra français, est fils d'un boulanger; Sedaine, l'auteur de Richard Cœur de Lion, avait commencé par être tailleur de pierre; Gallet, l'ami et le collaborateur de Panard, était épicier. De tout temps, l'esprit a volontiers hanté la roture, surtout en France, pour dédommager ceux que la fortune avait maltraités. Favart ne rougit pas de redevenir pâtissier et resta chansonnier comme son père, menant de front les échaudés et les couplets. Ce fut dans cette petite boutique, en face de ses fourneaux, qu'il composa, tout en travaillant et fredonnant ses premiers opéras-comiques, sans

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