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800 livres de son argent, au delà des quinze représentations qu'elle a eues. »

<< Amusez-vous donc si vous pouvez à Nanine, écrivait Voltaire à Baculard, voici deux billets qui me restent : si vous voulez d'ailleurs vous trouver chez Procope, je vous ferai entrer vous, vos amis, vos filles de joie ou non joie, partout où il vous plaira. »

Nul ne s'entendait mieux à chauffer un succès : il se faisait chef de claque au besoin. Malgré tout, s'il faut en croire Collé, cette rapsodie (et elle méritait ce nom, n'étant qu'une Paméla retournée) fut assez froidement reçue: on se promit de ne plus y revenir. La pièce valait cependant mieux que l'Enfant prodigue, et avait un autre sens et une autre portée, surtout aux yeux de l'auteur.

Nanine ou le Préjugé vaincu est non seulement une comédie sentimentale, mais une théorie philosophique et sociale mise en action. Quel est donc ici le préjugé vaincu? Celui de la naissance : il s'agit du mélange des classes, bien autrement important que celui des genres. Cette question du mariage entre patriciens et plébéiens, qui avait soulevé de si terribles orages dans l'ancienne Rome, travaille encore la société du dix-huitième siècle. Depuis longtemps sans doute les marquis ruinés, tels que Moncade, se résignent à épouser des filles de financiers et de marchands, pour payer leurs dettes et fumer leurs terres, comme on dit. Mais un gentilhomme épousant par amour une paysanne, c'est là un conte du bon vieux temps, qui nous reporte à l'âge fabuleux où les rois épousaient des bergères. Ce qu'il y a de nouveau ici, ce sont les principes mêmes sur lesquels va s'établir cette union. Nanine est une comédie essentiellement démo

cratique, remplie de maximes libérales et humanitaires, tout comme une tragédie philosophique. Et ces maximes, où se trouvent-elles? Peut-être dans la bouche des petits, des inférieurs, de ceux qui ont tout à gagner en réclamant l'égalité? Non, mais chez le Comte, chez la Marquise sa mère, chez ceux que leur éducation et leurs préjugés doivent en écarter le plus. Nous reconnaissons les grands seigneurs philanthropes du dix-huitième siècle, tels que d'Argenson et bien d'autres.

Une baronne vaniteuse et jalouse, très entichée de sa fortune et de sa noblesse, va se trouver la rivale d'une fille de rien élevée chez elle par charité, l'honnête et modeste Nanine. Un comte au cœur chaud, à l'esprit libéral, qui donne dans les idées nouvelles, et ne se montre pas trop étonné d'avoir pour compétiteur à la main de Nanine Blaise le jardinier. Une vieille marquise babillarde et radoteuse, volontiers rude pour ceux qui sont de sa caste, et sympathique aux pauvres gens. Joignez-y un personnel de domestiques honnêtes et dévoués, tels qu'on voudrait en posséder toujours. A part la Baronne, nous n'avons affaire ici qu'à de bons cœurs. La vertu abonde, à défaut de comique et de gaieté.

La grande question d'égalité, qui sera résolue plus tard dans la nuit du 4 Août, est posée dès le début par la lecture d'un livre anglais dont le Comte a fait cadeau à Nanine. C'est elle qui parle :

L'auteur prétend que les hommes sont frères,
Nés tous égaux: mais ce sont des chimères;
Je ne puis croire à cette égalité 1.

1. Acte I, scène v.

Il s'en faut bien que cette Nanine soit une ingénue comme Agnès : elle lit et elle pense, deux choses dont ne s'avisaient guère les jeunes filles pauvres du temps passé. Remerciant le Comte de ses bontés, elle lui dit :

Je vous dois trop c'est par vous que je pense.

LE COMTE.

Ah! croyez-moi, l'esprit ne s'apprend pas.

NANINE.

Je pense trop pour un état si bas.

Nous sommes de son avis; elle pense trop, surtout pour une jeune fille, ou plutôt c'est Voltaire qui pense pour elle. Le cerveau finit par tenir lieu de cœur dans cette comédie sentimentale. Le Comte lui-même est un penseur plus encore qu'un amoureux. Ainsi, expliquant à Nanine la jalousie de la Baronne, il lui fait cette petite leçon de psychologie :

La jalousie en tous les cœurs domine;
L'homme est jaloux dès qu'il peut s'enflammer,
La femme l'est, même avant que d'aimer 1.

Il raisonne sur l'inégalité des conditions et voudrait réparer les torts de la fortune envers Nanine.

De la fortune il faut venger l'injure:
Elle vous traita mal; mais la nature,
En récompense, a voulu vous doter

De tous ses biens : j'aurais dû l'imiter.

C'est l'amour assaisonné d'esprit philosophique, un nouveau genre de préciosité. Encore une fois, on est tenté de se demander si c'est bien le Comte ou plutôt Voltaire qui s'exprime de la sorte:

1. Acte I, scène vII.

Ce monde-ci n'est qu'une loterie

De biens, de rangs, de dignités, de droits,

Brigués sans titre et répandus sans choix 1.

Prenez garde, Monsieur le Comte! J.-J. Rousseau va venir, et vous poussera peut-être plus loin que vous ne le voudriez. Voltaire alors reculera d'autant. Mais, dans cette première ferveur de philanthropie égalitaire, le Comte trouve la concurrence de Blaise toute naturelle:

Blaise est un homme, il l'aime, il a raison.

Elle doit plaire aux jardiniers, aux rois,
Et mon bonheur justifiera mon choix 2.

Nous touchons à la fin du premier acte, et nous sommes loin de la comédie. La dissertation a jusqu'ici remplacé l'action et l'intérêt dramatique. Nous y arrivons cependant par la déclaration du Comte, par les intrigues de la Baronne s'efforçant d'entrainer Nanine au couvent, par la découverte d'une lettre que celle-ci envoie à Philippe Humbert, un personnage inconnu dont le Comte devient jaloux. Accusée de perfidie, Nanine se voit chassée par son maître, qui l'adore toujours, et par la Baronne, qui la déteste. Elle ne songe ni à se plaindre ni à se justifier, et reprend ses habits de paysanne. La scène où Nanine reparaît ainsi vêtue devant le bon et fidèle serviteur Germon rappelle le touchant récit de Griselidis dans notre vieux fabliau mis en prose à la fin du quinzième siècle.

Et ainsi se partit celle sans plourer, et devant chascun se dévestit, et seulement retint la chemise que vestue avoit, et la tête découverte s'en va, et en cet estat la virent plusieurs gens plourans

1. Acte I, scène ix.

2. Ibid.

et maudissans fortune; et elle toute seule ne plouroit point, ne disoit mot.

Germon, lui aussi, s'attendrit et fond en larmes à l'aspect de Nanine.

Nous pleurons tous en vous voyant sortir.

Certes mon maître est bien mal avisé.

NANINE.

Je lui dois tout; il me chasse aujourd'hui ;
Obéissons. Ses bienfaits sont à lui ;
Il peut user du droit de les reprendre.

GERMON.

Mais que dirai-je au moins de votre part
A votre maître, après votre départ?

NANINE.

Vous lui direz que je le remercie
Qu'il m'ait rendue à ma première vie,
Et qu'à jamais sensible à ses bontés

Je n'oublierai... rien... que ses cruautés1.

Sur ces entrefaites arrive la Marquise, mère du Comte, une tête à l'envers, mais un bon cœur, réclamant sa chère Nanine, une enfant qu'elle a jadis recueillie; que la Baronne lui a prise, et qu'elle veut marier avec le fils du sénéchal de Brie. A la fin, la lumière se fait malgré tous les efforts de la Baronne pour éviter une explication. Un vieux paysan demande à entretenir le maître de la maison, qui refuse d'abord de l'entendre. Ce vieillard n'est autre que Philippe Humbert, auquel s'adressait la lettre de Nanine: c'est son père, que la misère a réduit jadis au métier de soldat, et qui n'osait se faire connaitre :

1. Acte III, scène I.

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