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sa réputation, il sut se réjouir de ses succès sans se laisser abattre par les revers.

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Delpech fut ambitieux, mais il eut une ambition noble, élevée il voulut être le premier de son art et sut justifier ses prétentions. S'il ne porta pas le sceptre de la chirurgie française, on peut dire avec vérité qu'il ne le laissa pas porter à d'autres.

Delpech fut moins tourmenté du désir d'accoler à son nom des titres et des distinctions honorifiques dont la faveur dispose si souvent, que de l'environner d'une auréole de gloire immortelle. Sil voulut les hautes dignités de l'état, c'était pour servir encore la science et non pour s'endormir dans l'oisiveté; mais il voulut surtout par ses écrits commander les éloges de la postérité, et léguer à ses enfans un nom célebre.

Delpech aima l'argent, mais il en fit un bel usage. Avec ses vues larges et généreuses, ses besoins devaient être grands moins désireux d'amasser une grande fortune et de voir le chiffre de ses rentes égaler celui de Cooper, de Graffe, de Dupuytren, que de marcher leur égal dans la science, il fut libéral, généreux sans ostentation, sans réflexion, vécut dans une noble aisance, sacrifia beaucoup pour l'avancement de son art et mourut pauvre.

Delpech était d'une taille moyenne, d'une constitution faible et débile; mince, fluet, très-maigre; il avait le regard vif, animé, le nez fort, la bouche largement fendue, la face osseuse, la physionomie mobile et douce; malin, spirituel, toujours en mouvement; connaissant plusieurs langues, l'italien, l'anglais, l'espagnol; laborieux à l'excès, cet homme si Tréle en apparence, s'occupait de tout avec zele et succès et résistait à tout; il aurait résisté long-temps, mais la balle homicide d'un forcené vint l'arracher, jeune encore, à sa femme, à ses enfans, à ses amis,

à la science.

Le 29 octobre 1832, en plein midi, au moment où Delpech allait en cabriolet visiter son établissement orthopédique, un sieur Demptos, de Bordeaux, qui, depuis le matin, l'attendait au passage, lui tira, presque à bout portant, un coup de fusil (1).

Delpech avait 54 ans et un mois.

Ainsi est mort cet homme extraordinaire : « Il est mort après avoir vécu, comme le vieillard de l'Iliade, trois àges d homme; mais il les a vécu sans vieillir, il a mené de front trois existences humaines à force de vigilance, à force d'activité. » (Paroles de Dugès).

PARALLÈLE DE DELPECH ET DE DUPUYTREN.

On ne peut parler de Delpech sans penser à Dupuytren; ces deux hommes ont acquis une telle puissance en chirurgie, ils ont brillé d'un si vif éclat et dirigé avec tant de hardiesse les destinées de l'art, qu'on ne peut pas les étudier séparément.

Il y a dix ans, personne n'aurait osé comparer Delpech à Dupuytren. On exaltait alors celui-ci outre mesure, on donnait à peine quelques éloges à celuilà; mais les choses ont bien changé depuis; la mort, en les dépouillant l'un et l'autre de tout prestige, de

(1) Les vrais motifs de l'assassin sont restés entièrement inconnus.

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toute influence étrangère, a permis à la vérité de s'emparer de leurs écrits, de leur vie pour les comparer et les juger.

Essayons donc un court parallèle motivé, d'ailleurs, par la divergence des opinions sur le mérite respectif de nos deux grands chirurgiens.

La vie de ces deux hommes célèbres offre les plus grands traits de ressemblance: nés presque le même jour (1), morts à peu de distance l'un de l'autre (2), marchant dans la même carrière, prétendant aux mémes succès, véritables rivaux, tous deux ont dû à leur mérite la réputation et la gloire dont ils ont joui, tous deux se sont distingués par des travaux éclatans, tous deux ont donné à l'art de la chirurgie une grande impulsion vers le progrès mais on trouve des différences bien marquées dans leur jeunesse, leur enseignement, leur pratique, leurs ouvrages, leur vie privée.

:

Dupuytren et Delpech, sortis de la classe du peuple, ont prouvé que le génie se joue des obstacles que le sort semble quelquefois lui opposer.

La providence prend Dupuytren par la main et le conduit dans un collége; son père le veut chirurgien et il le deviendra en quelque sorte par force, car il ne fut pas libre de se faire soldat.

La vocation spontanée de Delpech, heureusement favorisée, lui fait abandonner ce qu'il possède, pour courir après ce qu'il désire.

Dupuytren dut à la générosité d'un protecteur inconnu le bienfait d'une éducation soignée, et l'avantage de croître peu à peu à côté des grands chirurgiens de la capitale, dont il mit à profit la pratique et l'enseignement.

Delpech fut moins heureux; privé des ressources que donne une bonne éducation première, il étudia la médecine et la chirurgie sans y avoir été préparé ; placé loin des écoles, il dut pendant long-temps tirer presque tout de son propre fonds.

Assez long-temps nos deux émules se trouvèrent sur le même théâtre tous deux étaient pauvres et ambitieux, tous deux voulurent s'affranchir de leur état de gène et de dénûment, et apaiser cette soif de la gloire et de la renommée, qui les dévorait. Dans l'enseignement particulier auquel ils se livrent, Delpech cultive avec soin sa jeune intelligence, et cherche à acquérir ce qui lui manqne de moyens pour arriver au but; Dupuytren, fondant ses espérances sur la solidité et la rectitude de son jugement, néglige toute érudition. De cette époque, date cet esprit de rivalité et même de haine qui divisa toujours nos deux chirur◄ giens.

Nommés, par le concours, professeurs en 1812, Dupuytren se montre toujours exact, clair, logicien, habile, mais rarement éloquent; ses leçons sont plus substantielles que brillantes. Delpech, vraiment orateur, emploie à perfectionner son talent tout ce qu'il a de connaissances naturelles et acquises: énergique, véhément, adroit, il parle un langage élevé et ma

(1) Dupuytren naquit le 6 octobre 1777, 4 jours après Delpech. 2 ans, 3 mois,

(2) Dupuytren mourut le 5 février 1835, 2 6 jours après Delpech,

guifique; mais on sort souvent de l'amphithéâtre plus surpris de son savoir, qu'instruit par son discours. Dupuytren démontre avec méthode, grouppe admirablement ses preuves, met dans ses leçons beaucoup d'harmonie et d'esprit de suite, ne livre rien à son imagination, à sa pensée, qu'il sait toujours comprimer; il pèse, il médite, il calcule tout à l'avance. Delpech, plein de verve et de feu, s'abandonne trop souvent à l'élan de son imagination méridionale, et noie quelquefois ses bonnes idées dans un déluge de paroles; sa parole facile lui permet d'échapper à la monotonie des divisions classiques, et de revêtir les froids matériaux de la science des charmes de la litté

rature.

Dupuytren ne vise pas à l'éloquence, et Delpech est d'autant plus éloquent qu'il cherche moins à l'ètre. Sans érudition, so posant comme un dictateur en chirurgie, Dupuytren garde sur les travaux de ses contemporains, un silence haineux et perfide.

Delpech, toujours au niveau de la science, mais moins orgueilleux et plus sage, expose ses idées avec chaleur, conviction, et prête à celles des autres les couleurs les plus propres à les faire ressortir. Alors, oubliant les auteurs pour ne s'occuper que de leurs doctrines, il se montre presque toujours bon critique. Le débit de Dupuytren est monotone, cadencé; celui de Delpech, varié, plein de vie, entraînant.

Dupuytren l'emporta sur Delpech par la perspicacité et la sûreté du diagnostic, par une étude plus approfondie de l'anatomie pathologique; mais Delpech lui fut supérieur par le sang-froid et l'exécution: aussi prudent, plus hardi, meilleur médecin, il remplissait mieux les indications curatives, et éprouva relativement moins de revers.

L'un et l'autre exercèrent leur art avec la plus grande habileté et un rare dévouement; les ressources de leur puissance n'apparurent jamais avec plus d'éclat que dans les circonstances difficiles où la science et la tradition restent muettes; mais Delpech improvisait réellement alors, et donnait à ses idées un libre cours, sans s'inquiéter du résultat. Dupuytren, plus occupé du soin de sa réputation, élaborait sa pensée, et puis, simulant l'inspiration, opérait hardinient ou diagnostiquait avec justesse.

Dupuytren se plaisait dans les détails, Delpech, dans la généralisation.

Dupuytren était essentiellement praticien et observateur judicieux, Delpech était essentiellement professeur et théoricien.

Dupuytren se présente à la postérité les mains vides; manquant d'érudition, exclusivement livré à la pratique, il a peu écrit; mais il écrivait bien. Son style grave, correct, serré, clair, décèle un écrivain meditatif, réfléchi, profond.

Delpech y arrive avec un riche bagage scientifique; mais il sera toujours regardé comme un mauvais écrivain. L'abondance et la richesse des idées, la logique, la conviction, la hardiesse, ne feront jamais oublier son style verbeux, ampoulé, diffus, incorrect.

Mais c'est surtout par le caractère que Delpech et Dupuytren se ressemblent le moins le premier, habituellement doux, affable, expansif, eut des amis; le second, méfiant, inabordable, presque toujours sérieux, occupé, sombre, sévère, fit dire à ses ennemis qu'il était un homme difficile et fâcheux; celui-ci fut jaloux même de ses élèves, celui-là leur tendit une main protectrice et bienveillante.

Tous deux furent dévorés par l'ambition et l'orgueil; mais Dupuytren connut plus d'une voie pour arriver à la célébrité. Très intriguant, il fit servir sa fortune à sa réputation et sa réputation à sa fortune. Les moyens dont Delpech se servit pour acquérir de la gloire furent toujours honorables; il aima la science, et ne travailla que pour elle et par elle.

Tous deux publièrent leurs succès avec complaisance, et mirent un soin extrême à cacher leurs re

vers.

Dupuytren ne rechercha la fortune que par ostentation et par vanité: très riche, mais avare, il fit rarement le bien. Delpech se servit de l'argent en homme désintéressé, généreux, humain.

Sans renoncer aux jouissances que procurent les hommages de ceux au milieu desquels on vit, Delpech fut moins avide de rechercher les suffrages qui pouvaient flatter son amour-propre, que de ménager à sa mémoire des honneurs mérités. Dupuytren ambitionna la gloire du moment; il vécut du jour au jour à la recherche des flatteurs et de la fortune.

Heureux dans son ménage, heureux de tout le bien qu'il avait fait, Delpech fut emporté violemment sans recevoir les adieux de ses proches et de ses amis. Dupuytren, accablé sous le poids des soucis domestiques, vit approcher la mort avec calme et résignation; son dernier mot fut pour l'art, qu'il ne voulut point déprécier en se soumettant à une opération qu'il regardait comme inutile.

Delpech aurait d'autant plus brillé qu'il se serait trouvé dans un champ plus vaste, Dupuytren se serait difficilement fait jour sur un petit théâtre.

Plus nous irons, plus l'étoile de Dupuytren s'éloignera et s'obscurcira, plus celle de Delpech s'avancera croissant en grandeur et en lumière.

Ne dites pas, je préfère Delpech à Dupuytren, on Dupuytren à Delpech; mais dites, c'étaient deux hommes de génie, que nous devons également ho

norer.

Ant. ESPEZEL, D.-M.

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LE FILS DE LA VENDÉENNE.

I.

LA BACHELETTE DE CHATILLON.

Egaillez-vous bacheliers et bachelettes.
(Vieill: ballade poitevine.)

tes de toutes les maisons de rameaux de verdure et de guirlandes de fleurs. (1)

Les anciens du pays se souviennent encore de la bachelette célébrée en 1769, en présence du duc et de la duchesse de Châtillon; cette fête populaire attira, cette année, dans la petite ville de Châtillon, plusieurs seigneurs du voisinage et quelques dames de la cour qui s'y rendirent sur l'invitation de la duchesse. Les courses, les danses, les chants durèrent plusieurs jours, et le duc voulut régaler lui-même les bacheliers et les jeunes filles. On choisit pour ce joyeux festin, limmense cloître du couvent des Génovéfins, et les bons

Les Poitevins ont été de tout temps passionnés pour les danses dont les fêtes locales sont le prétexte. Avant la révolution, ils conservaient encore, dans toute leur simplicité, les antiques usages: Leurs fêtes populaires les plus joyeuses étaient connues sous le nom de bachelettes ou bachéleries, et parmi celles-ci, la bache-pères ne se firent pas scrupule de convertir momentalette de Châtillon occupait le premier rang.

Elle commençait le dernier vendredi du mois d'avril, à midi précis. Les jeunes gens de la ville et de la petite paroisse de Saint-Jouin, qui est le faubourg, séparés en deux compagnies; bacheliers de la ville et bacheliers de Saint-Jouin, l'épée au côté, la cocarde au chapeau, suivis de nombreux musiciens, rendaient visite à toutes les mariées de l'année, donnaient à chacune un bouquet d'oranger et les fesaient danser.

Le samedi au soir, les bacheliers et ces nouvelles mariées fesaient le mouton. On avait un tonneau debout et couvert d'une nappe, sur lequel on servait du pain et du vin, pour le repas d'un mouton qu'on emmenait. Quand l'animal avait mangé et bû, la dernière mariée de l'année, armée d'une baguette ornée de rubans, lui fesait faire trois fois le tour du tonneau. Ensuite, chaque bachelier le mettait sur son dos et le faisait tourner trois fois autour de sa tête; la journée se terminait par des danses.

Le dimanche, après la messe, les bacheliers prenaient à la porte des deux églises paroissiales, les deux premières paysannes qui sortaient, et leur fesaient danser la ronde de la bergère. Ensuite ils s'habillaient en blanc et montaient à cheval. Les deux premiers et les deux derniers mariés de l'année, vêtus de leurs habits de noces, portant deux drapeaux et deux épées nues, ayant chacune une orange à la pointe, montaient aussi à cheval et les accompagnaient. Le cortège parcourait toutes les rues de Châtillon, et se réunissait dans une prairie voisine; là, ils mettaient pied à terre pour danser, puis, remontant à cheval, buvaient chacun un coup de vin, jetaient les verres en l'air, et partant à bride abattue, galoppaient dans la campagne, rentraient en ville et se réunissaient devant le château. Les deux premiers arrivés étaient proclamés rois de la bachéleric, et couronnés par la main de leurs fiancées ou de leurs jeunes épouses. Les jeunes épouses avaient grand soin de se trouver à cette réjouissance annuelle, et c'étaient toujours elles qui donnaient les couronnes. On dansait toute la soirée, et le reste du mois se passait en visites et en danses. Enfin, le dernier jour d'avril, pendant la nuit, les bacheliers plantaient le mai tant à Châtillon qu'à Saint-Jouin, ornaient les por

nément leur monastère en une vaste salle de bal. Ils savaient que dans les fêtes poitevines tout se passait avec décence, et que les bacheliers terminaient ordinairement leurs réjouissances par des prières publi

ques.

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Mme la duchesse, dit le prieur des Génovéfins dont la vieille téte sentait déja les premières vapeurs du vin de Périgord, le travail est pour le pauvre le préservateur des bonnes mœurs et de l'innocence; c'est par lui que la vertu s'est conservée dans notre Poitou. Daigne le ciel qui nous protége, détourner de cette terre

les malheurs dont elle est menacée!

Le visage du vieux prieur devint tout à coup triste et sombre; il resta long-temps immobile, les yeux fermés, et sa poitrine paraissait fortement oppressée.

- Vous souffrez, mon père? lui dit la duchesse alarmée de son silence...

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-Je viendrai, Mme la duchesse, répondit le vieux prieur; j'éprouverais un vif regret si un autre que moi donnait la bénédiction nuptiale à la mère du héros de Châtillon.

Le vieux prieur quitta la table, suivi du duc et de la duchesse; les bacheliers et les bachelettes ne prolongèrent pas le festin. Lorsqu'ils sortirent du couvent, on n'entendit aucun cri de joie, on se réunit à l'église pour prier; ensuite chacun rentra dans sa chaumière, oubliant les plaisirs, les danses, les chansons de la bachelerie.

II.

- Oui, je souffre, Mme de Châtillon, s'écria le prieur dont les traits prirent subitement l'empreinte d'une exaltation fébrile! je souffre, je sue sang et eau comme le Sauveur dans le jardin des Oliviers, en songeant aux malheurs qui accableront bientôt ce pays. Je vois partout du sang, des villes livrées au pillage, des châteaux démolis de fond en comble, des monastères violés, des enfans égorgés entre les bras de leurs mères! Le canon gronde... Paris a vomi une armée invincible... la terreur marche devant elle... en vain les héros du Poitou prennent leurs bannières pour défendre le trône et l'autel..... la tête royale tombe sous le couteau... nos temples sont sans prètres et sans prières... O vous qui m'environnez, qui entendez mes paroles, gardez-riage était définitivement conclu, le fiancé, accompaen le souvenir, car, le temps où elles s'accompliront n'est pas éloigné!

Le prieur des Génovéfins glaça de frayeur tous les assistans; on le vénérait comme un saint dans le pays; on le croyait doué du don de prophétie ou de seconde vue, et il avait prédit à plusieurs personnes ce qui leur était advenu bien long-temps après. Aussi les paroles qu'il fit entendre à la bachelette de 1769 furent recueillies comme une prophétie, et malgré les sollicitations du duc et de la duchesse, les nombreux convives ne purent recouvrer leur gaîté auparavant si bruyante, si expansive.

-Mon père, s'écria M. de Châtillon, vous avez attristé bacheliers et bachelettes; "vos prédictions ont effrayé tous les convives, et je commence à croire qu'on ne dansera pas ce soir.

UNE NOCE EN POITOU.

Iouh! iouh! voici la mariée. (Cri poitevin.)

Dans l'ancienne province du Poitou, lorsque le magné d'un de ses parens et d'un parent de sa prétendue, allait faire les invitations. Il avait grand soin de régler l'ordre des visites d'après les différens degrés de parenté c'était une étiquette à laquelle on tenait beaucoup; il attachait, dans chaque maison, au lit du maître, un petit bouquet de laurier orné de rubans, et faisait son invitation par un compliment très long, qui, de temps immémorial, était le même pour tous. lage par des coups de pistolet. Le jour fixé pour le mariage était annoncé au vil

Les jeunes filles faisaient la toilette de la mariée; ses habits étaient propres, mais dans la forme ordinaire; seulement les longues barbes de la coiffe étaient rabattues, et le fond en était orné de clinquant ou de brillans. Chaque jeune fille avait soin d'y piquer une épingle, dans l'espérance d'être mariée plus tôt.

La mariée, bien parée, s'asseyait au milieu des in

Je suis fàché d'avoir interrompu les jeux et les plaisirs de nos bons paysans, répondit le prieur. J'au-vités pour distribuer ses livrées. En échange d'un bout rais dù garder le silence; mais une puissance irrésistible m'a forcé de parler. -Sérieusement, mon père, dit M. de Châtillon, vous vous croyez prophète...

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de son ruban, elle recevait de chaque convive un baiser et quelque argent. On déjeûnait; puis on allait à l'église. Le plus proche parent du marié donnait la main à la mariée. Après la bénédiction nuptiale, jeunes filles attachaient au corset de la jeune épouse l'énorme bouquet qu'elles avaient préparé pour elle, et chantaient en choeur une vieille chanson, qui retraçait toutes les peines du mariage. Ce bouquet était composé d'une branche de laurier, chargée de pommes, de raisins, et décoré de rubans ; il avait l'aspect d'une

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corne d'abondance. En retournant chez la mariée, on portait devant elle une quenouille garnie de lin, symbole des travaux domestiques.

On criait plusieurs fois iouh! iouh! on tirait de nombreux coups de pistolet; puis on se mettait à table. La mariée avait tous les honneurs; son gros bouquet était fiché dans la muraille au dessus de sa tête : le marié restait debout, et servait les convives. On chantait, on s'enivrait, et les danses commençaient. La mariée devait, sans distinction aucune, danser avec tous les hommes, et être embrassée par tous.

Dans quelques cantons, on lui prenait adroitement un soulier, et on le remplaçait par un sabot; elle devait le racheter. La nuit venue, de nouvelles chansons et le choc des verres annonçaient à la mariée qu'elle devait se retirer; elle quittait la danse; ses compagnes la suivaient; elle allait coucher dans une maison étrangère. Les jeunes filles avaient grand soin de reprendre les épingles qu'elles avaient attachées à son chaperon, et les conservaient précieusement. Elles détachaient ensuite la jarretière, qui, le lendemain, devait être coupée et distribuée entr'elles; puis elles cédaient la place au marié.

Trois heures après le coucher des deux époux, on préparait la soupe à l'ognon. Le vase qui la contenait était porté, par deux hommes vigoureux, sur un brancard couvert d'une nappe bien blanche. Tous les convives se présentaient à la porte de la chambre nuptiale, on en demandait l'entrée par une chanson. La porte s'ouvrait dès que la chanson était finie; la soupe était posée sur le lit des mariés; on recommençait à danser, à chanter, à boire, et la fète ne finissait qu'à l'au

rore.

La matinée du lendemain était employée aux farces et aux mascarades. Après le déjeûner, on commençait la journée du traîne-balai; chacun s'affublait de déguisemens ridicules : l'un se munissait d'une broche à laquelle tenait un pain ou un morceau de rôti; un autre portait un baril; un troisième, une quenouille et des fuseaux.

Ce cortége était fermé par deux hommes armés : l'un, d'un fouet dont il touchait tout le monde devant lui; le second, d'un balai dont il se servait pour balayer les rues. On faisait boire tous ceux qu'on rencontrait, et on leur essuyait la bouche avec un plumeau garni de poivre. Le baril, à chaque instant vidé, se remplissait dans chaque maison; c'était une joie, une allégresse bruyante, une fète folle, que terminaient des vœux pour le bonheur des époux (1).

Ainsi fut célébré le mariage de Jean de Parthenay et de Suzanne-la-Belle. Les réjouissances durèrent plusieurs jours, parce que le duc et la duchesse de Châtillon, faisant les honneurs de la fête, témoignèrent le désir d'y voir tous les garçons et toutes les jeunes filles des hameaux voisins.

-Heureuse Suzanne! disaient les bachelettes; elle épouse le plus beau garçon du pays, et M. le duc de Châtillon lui a donné de quoi acheter une ferme.

Ne lui portons pas envie, disaient les plus jeunes; Suzanne n'est point fière, et nous prenons notre part de son bonheur.

(1) Mémoires déjà cités.

Les jeunes gars, de leur côté, jalousaient un peu Jean de Parthenay; de malicieux propos circulaient sur le compte de l'orphelin.

Avouez, mes amis, disaient les plus jeunes avec une fausse bienveillance, que Jean de Parthenay est plus heureux qu'un fils de roi; il a obtenu le cœur et la main de Suzanne-la-Belle, de Suzanne, la fleur de nos bachelettes, qui n'a pas voulu nous écouter, nous, fils des plus riches fermiers du pays.

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C'est étrange, disaient les autres; M. le duc et Mme la duchesse se sont déclarés protecteurs de tous les orphelins du pays.

Bah! disaient les plus malins, si nous voulions chercher la cause de cette protection si inouïe, nous la découvririons bientôt. Personne n'ignore que Jeanl'Orphelin passe pour être fils du dernier seigneur de Parthenay.

s deux époux ne songeaient guère à ces petites calomnies, et ne se doutaient pas que leur bonheur leur avait suscité tant de jaloux. Lorsque la nuit fut venue, ils se rendirent au château pour remercier M. de Châtillon de ses bienfaits; ils y trouvèrent le vieux prieur des Génovéfins, qni leur donna les plus sages conseils, et les bénit plusieurs fois de ses deux mains tremblantes.

Suzanne-la-Belle! s'écria-t-il, s'adressant à la jeune épouse, vous serez mère d'un héros; votre fils marchera long-temps au premier rang des guerriers fidèles à leur Dieu et à leur roi.

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Verrons-nous cela, mon père?

C'est le secret de Dieu, répondit le vieux prieur. Allez, mes bons amis, ajouta le duc de Châtillon, jouissez du présent, soyez heureux, et ne craignez pas trop l'avenir.

III.

FONTENAY-LE-COMTE.

A bas les armes! grace aux vaincus ! (Paroles de Bonchamps.)

La petite ville de Fontenay, nommée Fontenay-leComte, en souvenir du long séjour des comtes de Poitiers, qui y firent bâtir un magnifique château, est située dans un vallon très fertile, au point où la Vendée devient navigable. Elle s'élève sur la pente d'une colline, et présente un aspect riant et pittoresque. Elle est en général bien bâtie, mais percée de rues étroites et tortueuses; les faubourgs sont plus considérables et plus agréables que la ville même; la flèche de l'église Notre-Dame est un morceau d'architecture remarquable par sa grande élévation et l'élégance de sa construction; elle est en pierres de taille, et a près de 95 mètres de hauteur.

Au commencement des guerres de la Vendée, Fontenay-le-Comte tomba au pouvoir des républicains, qui lui donnèrent le nom de Fontenay-le-Peuple. Ils restèrent quelque temps maîtres de la ville, et le général Chalbos défiait les Vendéens, commandés par Cathelineau, vainqueur à Chollet, à Chemillé, dont l'armée augmentait de jour en jour. Ce chef, dont le nom était déjà populaire dans le Maine, l'Anjou et la Vendée, et que les soldats appelaient le Saint de l'Anjou,

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