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Ensuite, le célébrant entonnait les vêpres. Il chantait Deus

s'éloigne complètement du caractère gothique des trois autres galeries.

Retenus par tant de merveilles, que l'on ne se lasse pas d'admirer, notre séjour à Cadouin s'était prolongé au-delà du terme que nous avions fixés. Il fallait songer au retour. Aussi, pressés par le temps, c'est à peine si nos explorations s'étendirent à quelque distance du monastère; nous ne pûmes cependant résister au désir d'examiner, un chemin que l'on nous avait signalé dans le pays comme une voie romaine. Nous nous rendimes sur les lieux; mais nos espérances furent déçues : c'était tout simplement un ancien chemin ferré, une voie seigneuriale, qui porte le nom de chemin de la Reine Blanche. Peut-être la tradition lui a-t-elle conservé ce nom comme un souvenir éloigné de la visite de saint Louis au monastère de Cadouin. Le jour du départ arrivé, nous tinmes conseil, et il fut décidé que nous rentrerions à Périgueux par Limeuil et le Bugue. Suivis d'un guide, nous traversames donc, sous sa direction, des gorges tortueuses et des vallées profondes et stériles, au pied desquelles s'élevaient des masses de brouillards epais dont les flocons légers, balancés par les vents, laissaient apercevoir ou voilaient tour à tour les sommets des collines plus éloignées, lorsque arrivés, presque sans nous en douter, sur les rives de la Dordogne, nous aperçùmes en face la petite ville de Limeuil. Le paysage qui l'environne est magnifique; et de quelque point qu'on le

in adjutorium, et le chœur le terminait par un alleluia coupé considere, il fait tableau avec la position pittoresque

de la manière suivante :

ALLE.-Resonnent omnes ecclesiæ

Cum dulci melo simphoniæ,

Filium Marie,

Genitricis piæ,

Ut nos septiformis gratiæ,
Repleat donis et gloriæ,

Unde deo dicamus LUYA.

Alors deux chantres annonçaient à haute voix le commencement de l'office par les trois vers suivans:

Hæc est clara dies, clararum clara dierum ; Hæc est festa dies, festarum festa dierum. Nobile nobilium, rutilans diadema dierum.

Pour diminuer la durée de cet office, qui devait être très long, les chantres et les assistans l'interrompaient de temps â autre pour se désaltérer, et pour faire manger l'âne qui était le héros de la fête. Enfin on le menait dans la nef, et là tout le peuple, mêlé avec le clergé, dansait autour de lui en essayant d'imiter sa voix, et l'on terminait la cérémonie par chanter le morceau suivant :

Nalus est, natus est, hodiè Dominus Qui mundi diluit facinus,

Quem pater factor omnium

In hoc misit exilium,

Ut facturam redimeret,

Et paradiso redderet.

Nec, nec, nec minuit quod erat,
Assumens quod non erat,
Sed carnis sumpto pallio,

In virginis palatio, 0,
Ut sponsus è thalamo, O,
Processit ex utero, O;

de la ville, qui s'élève comme un gracieux amphithéâtre sur une colline, au pied de laquelle roulent ensemble la Dordogne et la Vézère, qui, dans cet endroit même, réunissent leurs flots. Au-dessous du Li

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Enfin pour mettre le complément à cette pieuse folie, la bande joyeuse se rendait à un théâtre dressé à cet effet devant l'église; et, en présence du peuple, on y exécutait les scènes les plus indécentes. On les terminait par des seaux d'eau que l'on versait avec profusion sur la tête du préchantre et sur plusieurs hommes nus qui trouvaient à cela un passetemps agréable.

Maurice, évêque de Paris, qui mourut dans les dernières années du XIIe siècle, fit d'inutiles efforts pour détruire une pareille fête, triste résultat de la plus étrange folie. Odon, évêque de Sens, parvint, en 1245, à prohiber les travestissemens que l'on employait dans cette misérable farce, et à réprimer les scènes scandaleuses qui en fesaient le principal mérite; mais il ne fut pas assez puissant pour la détruire entièrement. Sa suppression n'eut lieu qu'à la fin du XVIe siècle, après avoir éprouvé, de la part des conciles, plusieurs modifications qui tendaient toutes à la réforme des obscénités dont elle était remplie.

Telle était cette fête extravagante et bizarre dont on a beaucoup parlé, et dont on n'a pu découvrir l'origine. Mais tout étonnement doit cesser lorsque, sur les monumens même consacrés au culte, le ciseau des artistes reproduisait des sculptures, images obscènes des mœurs et des cérémonies de l'époque !....

meuil, et sur la rive droite de la Vézère, existe une plaine digne de quelques souvenirs, puisque ce fut en 1224, dans ces mêmes lieux, que le maréchal de France Jean d'Argental s'empara de Limeuil, en présence et malgré les efforts de Richard, frère du roi des Anglais. Parvenus au sommet d'une masse de rochers granitiques qui bordent la Vézère à une lieue environ de Limeuil, et sur lesquels on a frayé un chemin glissant et étroit, élevé perpendiculairement au-dessus de la rivière de quatre-vingts pieds environ, de sorte que le moindre faux pas pourrait vous précipiter dans le gouffre, nous arrivȧmes au Bugue (1). Cette ville eut

(1) L'abbaye du Bugue, ordre de saint Benoit, située dans une vallée agréable, sur la Vézère, près de Limeuil, à six lieues de Périgueux, doit son origine aux seigneurs de Limeuil. L'église est dédiée sous le titre de saint Sauveur. Ce monastère fut ruiné, en 1573, par MM. de Florac, seigneurs de Limeuil, qui le pillèrent, en détruisirent les titres, et anéantirent ainsi ce que d'autres seigneurs de Limeuil avaient

aussi ses époques de renversement et de ruines. Detée d'une riche abbaye sous le titre de Saint-Sauveur, on sait qu'en 1575 ce monastère fut envahi par les seigneurs de Limeuil, qui, après l'avoir pillé, lui enleverent tous les titres qui constataient sa fondation. Le Bugue semble renaître aujourd'qui pour un heureux avenir, alors que son administration fut confiée en des mains habiles, et que les citoyens retrouvent, chaque jour, dans leur pasteurs, l'exemple de la sagesse et des vertus. Après avoir payé notre tribut à l'amitié, nous éprouvâmes le bonheur du retour dans la famille, et sur la terre d'une patrie chérie qu'il est si doux de revoir, même après la plus courte absence!...

A.-C. CHARRIERE, avocat.

fondé. Il y cut treize abbesses; la première. Marie I, en 1264, et la dernière, N d'Aubusson, elue en 1739. Aujourd'hui, le Bugue a pour curé M. le chanoine honoraire Beyney, et pour maire M Alphonse Limoges.

LA GROTTE DE SAINT-DOMINIQUE.

Le souvenir de saint Dominique a laissé de profondes traces dans les régions méridionales, et, dans le beaux pays de Languedoc plus qu'ailleurs, son nom est devenu en quelque sorte populaire. Etrange et inaltérable tradition de la guerre des Albigeois, qui bouleversa la moitié de la France.

A une lieue de Castres, dans un site sauvage et pittoresque, au pied de la montagne qui soutient le rocher tremblant, se trouve une grotte, connue dans le pays sous le nom de grotte de Saint-Dominique. On dit que ce saint, avant d'établir l'inquisition, resida longtemps dans cette caverne, qui lui servit de retraite contre la vengeance des Albigeois.

L'entrée de la grotte est une ouverture irrégulière de quatre à cinq pieds de haut, de trois ou quatre de large; un homme ne peut y entrer debout, et on est obligé de se coucher, tant l'ouverture est étroite et resserrée mais, dès qu'on a franchi ce premier passage, on trouve une voûte, qui permet de quitter cette position pénible, et s'élargit à mesure qu'elle avance. La première salle offre un aspect mystérieux; elle est assez vaste; sa voûte s'élargit en arceau, dont la forme est très élégante. Deux petites ouvertures y laissent à peine pénétrer le jour, qui s'y dissémine en une lumiere douce et tremblante; des rochers amoncelés forment un pavé irrégulier et raboteux, sur lequel on marche avec peine.

Un ruisseau coule au milieu; l'eau qui tombe de la voute remplit un petit bassin, auquel on a donné le

nom de bénitier. Au fond de cette salle se trouve une ouverture étroite comme celle qui sert d'entrée; elle conduit à d'autres salles d'une vaste étendue, mais qui ne sont pas éclairées comme la première; on se munit de flambeaux avant d'y pénétrer, et, sans cette précaution, on s'exposerait à de grands accidens. Parmi les objets entassés dans ces cavernes, on remarque d'énormes rochers de forme ovoïde, dont quelques-uns ont jusqu'à deux toises de diamètre. Placés de manière à former une voùte, qui paraît plutôt une combinaison de l'art qu'un effet de la nature, ils ne se soutiennent que par leur contact et leur poids, et sont dégarnis de terre de tous côtés. Le ruisseau qui sort de la grotte de Saint-Dominique, quoique peu considérable, coule avec assez de rapidité pour faire tourner plusieurs moulins disséminés dans le vallon.

Nous avons déjà dit que le site et les environs de la grotte de Saint-Dominique sont pittoresques et sauvages; à peu de distance, on voit les ruines de l'église et du château de Burlats, si célèbre par le séjour de la belle Adélaïde, dont le nom fut chanté par plusieurs troubadours. Pour dissiper les tristes idées qui assaillent ordinairement l'imagination quand on visite un souterrain, on revient au rocher tremblant, et on lit sur ses flancs déchirés les inscriptions suivantes : Puissé-je ainsi émouvoir ton cœur, cruelle! Ainsi donc le plus élevé tremble aussi.

J. MOUNIÉ.

DAGUESSEAU.

Il est des noms que la gloire a consacrés, et qui semblent néanmoins négligés ou condamnés, si nous pouvous dire, à un glorienx oubli. Non seulement dans la carrière qu'ils illustrèrent, mais dans une sphère plus étendue, on leur assigne une place illustre, on cite leur exemple, on note avec bonheur une pensée d'eux, trouvée dans quelque ouvrage de notre temps, et cependant on ne les lit plus. Au sein de cette diversité d'occupations que notre époque a créées; de cette absence de direction générale remplacée par la direction propre et isolée que l'on se fait, les retours vers le passé sont rares. Après un certain travail de tous les jours, travail brisé, sans suite, presque sans but, l'on se croit quitte envers soi-même, envers la profession cultivée, envers l'avenir surtout le reste est livré aux circonstances heureuses ou contraires que des chances diverses ouvrent ou refusent. Les modèles des temps antérieurs, on les sait ou par tradition, ou par quelques vagues et rapides lectures faites pour connaître plutôt que pour approfondir et surtout pour pratiquer. Ainsi, et presque dans tous les rangs, avec une bonne foi entière, l'on se persuade n'avoir guère plus qu'à attendre. Cependant, les événemens de chaque jour se succèdent et nous emportent, avec nos années, jusqu'à l'âge du travail actif ou du déclin, sans que nous ayons eu le temps, au milieu de cette activité stérile, d'arrêter notre pensée sur les grands, sur les salutaires effets du travail réglé, et peut-être plus encore de l'observation: Tous ces maîtres de la parole, avocats, magistrats, hommes publics que notre chancelier confondait dans une commune et si vive affection, ne songent aux maitres plus grands qui les ont précédés, que pour rappeler la différence des temps et finutilité de préceptes surannés. Néanmoins, lorsqu'on s'y trouve ramené, soit par goût, soit plutôt par quelque hasard heureux, l'on s'aperçoit, avec une sorte de surprise, que ce vague qui nous enveloppe et nous agite se pourrait dissiper par la pratique si fructueuse de leurs enseignemens. A chacun de leurs préceptes on regarde autour de soi; et combien ne découvre-t-on pas, méme parmi les plus admirés, de points négligés et inaperçus! Dans notre époque, de si fine et minutieuse analyse sur toutes choses, l'ensemble nous échappe trop souvent; et nous trouvons que, parmi les hommes des derniers siècles, hauts de ton et d'allure, réputés peu propres dans notre pensée à la flexibilité d'observation qui nous distingue, aucun détail ne leur est cependant resté étranger. A notre encontre, au lieu de s'égarer dans les détours, ils ont su parcourir tous les mystères de ce labyrinthe obscur de l'intelligence, sans perdre le fil conducteur. Après leurs études, ils se retrouvaient plus confians, plus véritablement instruits; et, au lieu de rapporter de leurs explorations le découragement et le doute, ils en rapportaient la confiance et l'ardeur. Ne dédaignons pas trop ces incursions vers le passé. Quand on considère quelques contemporains parvenus, MOSAIQUE DU MIDI. 5 Année.

dans des positions diverses, à ce qu'ils se persuadent être le dernier degré, on s'aperçoit que ce qui leur manque et les rend défectueux, c'est souvent l'ignorance d'une méthode salutaire, qu'ils auraient pu aisément apprendre et à laquelle on n'avait pas songé soi-même; c'est une fausse direction de l'esprit, une application insuffisante, une distribution vicieuse du travail, ou de fausses idées de conduite leur regard ne s'est point éveillé sur une multitude de maximes, dont la connaissance les aurait rapprochés des véritables et si difficiles conditions d'une supériorité véritable. L'homme, arrivé au milieu de la vie, n'a que trop de penchant à dédaigner ce qu'il n'a point acquis jusque-là. Il faut cependant, à tout âge, et dans la jeunesse surtout, combattre, a fin de la prévenir, cette tendance qui produit la médiocrité, et qui la consacre par une trop complaisante approbation, nous pourrions même ajouter, par une trop facile admiration de soimême. Cela a lieu surtout en notre temps; l'on va, l'on épuise ses forces, l'on en néglige l'emploi, l'on se trouve satisfait de peu, l'on se pardonne beaucoup; et, quand on croit avoir fondé quelque chose dans les souvenirs même des générations présentes, l'on s'aperçoit à la fin de la carrière que l'on s'était nourri de chimères, que le vain bruit d'éloges, entendu autour de soi au jour du succès, a cessé entièrement pour ne laisser place qu'à l'oubli, et trop souvent à la compassion indulgente de ceux qui succèdent.

Nous avons voulu reprendre aujourd'hui cette belle, cette longue vie de Daguesseau, qui appartient aussi à notre Midi, et nous efforcer d'en extraire ce qui pourrait s'appliquer à nous. Mais, en avançant dans ce travail, nous nous sommes aperçus qu'il y avait beaucoup à recueillir, comme il arrive toujours pour les grands esprits, et que bien peu de choses sont passées. Daguesseau, et c'est là sans doute la cause de cette survivance inattaquée, est et sera de tous les temps. Aussi notre époque, si difficile, presque si dedaigneuse, y pourrait trouver de précieux conseils, et s'enrichir de richesses que son ambition va chercher dans des contrées lointaines, tandis qu'elles gisent ici en or pur et par lingots.

Henry-François Daguesseau (c'est ainsi qu'il signait lui-même son nom, s'abstenant de rappeler, comme le rapporte M. Dupin, le signe nobilier de sa famille) naquit à Limoges, le 27 novembre 1668, d'une famille de magistrats. Son père, conseiller d'état au conseil royal, et gouverneur du Languedoc, s'était fait distinguer, dans sa charge, par son amour du travail, et, dans les malheurs publics, par l'élévation de son âme. Le père de celui-ci avait été premier président au parlement de Bordeaux, et y avait laissé des souvenirs profonds de sa supériorité d'esprit et de ses vertus. M. Dupin enseigne quelque part, mais peut-être, par un adroit retour sur ses ancêtres et sur lui-même, combien c'est une chose remarquable que cette lignée

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M. Daguesseau le père, qui se distinguait surtout | par un grand sens, avait préparé un plan d'études et de conduite pour son fils; il voulut lui-même diriger son éducation. Comme ses fonctions de gouverneur du Languedoc et de la Guienne l'obligeaient à de fréquens voyages dans ces contrées, il emmenait son fils même dès son enfance, et emportait des livres, qui servaient à ses études. M. de Morlhon, premier président au présidial de Toulouse, et qui prononça, lors de l'installation des vigueries, un excellent et l'un des plus complets éloges du chancelier, disait que le père se faisait accompagner de plusieurs savans, et que son carrosse devenait une école ambulante, et, pour ainsi dire, le sanctuaire des muses. Le jeune Daguesseau s'instruisit dans la connaissance non seulement des langues classiques, mais encore, et en cela devançant son époque, dans les langues étrangères. Cependant, ainsi qu'il le disait plus tard en termes si sobres, et comme pour prémunir contre ce goût qu'il est si dangereux de laisser prédominer, la poésie était la passion la plus tendre de sa jeunesse. Il connut et fréquenta beaucoup Boileau et Racine, que M. Daguesseau le père voyait à Paris dans une sorte d'intimité. Intimité heureuse ! qui rattache ainsi notre chancelier au grand siècle, moins par ses premières mercuriales que par un glorieux lien, et qui pourrait expliquer les points de ressemblance qu'il eut, à quelques égards, avec les deux poètes, tous les deux si purs, si corrects, et l'un surtout si chaste, si doux de sentimens et de mœurs. Après la lecture préférée des poètes de son temps, il lisait Homère, et, parmi les orateurs, Démosthènes. Peut-être faudrait-il attribuer au père cette préférence sur le poète et l'orateur romains, Virgile et Cicéron? Le jeune Daguesseau avait l'imagination vive; aussi était-il plus sage en lui offrant une forte pâture, de la livrer plutôt aux impressions de la grandeur, qu'à la rèveuse délicatesse de Virgile, et au goût trop littéraire de Cicéron. Il apprit en même temps les mathématiques, et poussa même cette étude un peu loin et avec succès. C'était toujours le goût austère du père qui dominait. Dans la première jeunesse, l'on est déjà bien assez porté vers les lettres; il faut se garder de trop encourager ce penchant, qui excite l'esprit plus qu'il ne l'exerce, qui l'amollit et le rebute des choses abstraites. Une direction ferme, en fixant le caractère de Daguesseau, servit à tempérer son goût, qui l'eût entraîné peut-être sans mesure vers les lettres, et le rapprocha de l'étude des lois et de l'éloquence.

Vers sa seizième année sans doute (l'époque précise nous manque), mais l'esprit déjà nourri de littérature et de science, il commença ses études de droit, et s'y livra avec une grande ardeur. Ses travaux, dirigés par le père, produisirent le fruit espéré. A vingt-un ans, Daguesseau fut nommé avocat du roi au Châtelet de Paris. Il ne passa que six mois dans ces fonctions; mais ce temps suffit déjà pour faire présager et assurer son élévation future. M. Daguesseau, magistrat consciencieux, d'un caractère paisible et doux envers son fils, mais juste aussi dans l'opinion qu'il en avait conçue, le jugea digne, dès cet âge même, d'un emploi plus éminent. Une troisième place d'avocat-général fut créée au parlement de Paris. M. Daguesseau crut pouvoir la demander au roi, pour son fils.

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Louis XIV la lui accorda, en accompagnant cette faveur, ou plutôt cette justice, de ces paroles, qui suffisent à faire un complet éloge. « Je connais assez le père pour être assuré qu'il ne voudrait pas me tromper, même dans le témoignage qu'il me rend de son fils. » Daguesseau, en apprenant la nouvelle de sa promotion, éprouva plutôt une impression de crainte que de joie, et ne parut préoccupé que de la nécessité de justifier le choix du roi et la parole de son père. Il se montra dans la première cause avec un grand éclat; le célèbre Denis Talon, qui était venu l'entendre, dit: Qu'il voudrait finir comme ce jeune homme commençait. passa dix années dans cette charge, et prononça plusieurs réquisitoires, qui se distinguent par les qualités que nous trouvons enseignées dans ses mercuriales. Nous le verrons grandir par l'observation et l'étude, et s'élever toujours au-dessus de ses fonctions par le travail. Il faut remarquer ceux qui, arrivés jeunes, ne s'arrêtent pas aux premiers succès et ne se laissent pas aller sans mesure au courant des occupations journalières, mais qui cherchent à réparer tous les jours les forces employées. Les parlemens n'avaient point alors à juger un nombre trop considérable d'affaires, et il restait assez de loisirs aux magistrats pour entretenir et augmenter leur science. Ces dix années furent, pour Daguesseau, les années d'enthousiasme et d'étude. Ce fut durant ce temps qu'il composa ses plus belles mercuriales. C'est là aussi que nous découvrirons combien il avait approfondi toutes les difficultés de la tàche de l'orateur, de l'avocat et du magistrat.

Il faudrait insister beaucoup sur les mercuriales, car c'est là principalement que se trouve tout le fruit qui peut nous revenir aujourd'hui de la lecture de Daguesseau. Nous ne le pourrons faire qu'avec trop de rapidité, et en détachant le moins possible de ces discours, où l'on voudrait tout prendre. Nous essaierons seulement de choisir dans ces pages, où le choix est difficile.

En 1693, Daguesseau était alors âgé de vingtcinq ans; il prononça sa première mercuriale sur l'indépendance de l'avocat. Faut-il signaler sans intérêt cette prédilection de Daguesseau pour l'avocat; cette attention à lui adresser son premier hommage, la première expressica de sa pensée publique, tout en décrivant et en réglant les conditions de son indépendance avec de secrètes et si vives sympathies? Peutêtre regrettait-il déjà, au sein des honneurs, et ce doit être là un grand encouragement pour tous, cette profession qu'il aima tant sans l'avoir exercée : « Les professions les plus élevées, dit-il, sont les plus dépendantes, » et plus loin: « Il semble que la liberté, bannie du commerce du monde, ait quitté le monde, qui la méprisait; qu'elle ait cherché un port et un asile assuré dans la solitude, où elle n'est connue que d'un petit nombre d'adorateurs, qui ont préféré la douceur d'une vie obscure aux peines et aux dégoûts d'une illustre servitude. » Après ces pensées, qu'il faut être déjà bien grand pour se la faire pardonner à cet âge, l'on trouve ce passage, dont le barreau s'est tant de fois, et à si juste titre glorifié : « Dans cet assujétissement presque général de toutes les conditions, un ordre aussi ancien que la magistrature, aussi noble que la vertu, aussi nécessaire que la justice, etc... » Ailleurs, il excite aux efforts ceux-là même qui, trop

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