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NOTRE-DAME-DE-GRACE OU DU BOUT-DU-PONT.

LÉGENDE VILLENEUVAISE.

On porte, avec respect, dans le temple voisin
Ce don mystérieux empreint d'un sceau divin :

Le jour suivant on vient, on s'approche... ô surprise!
On cherche la Madone... elle a quitté l'église !
On la retrouve, enfin, debout, au même lieu
Où s'est manifesté le miracle de Dieu !!

C'était, dit la trad...on populaire, par une belle et tiède journée du mois de septembre de l'an 1289; trois bateaux de transport, venant du Quercy, descendaient rapidement la rivière du Lot, favorisés par les eaux, qui se trouvaient alors plus hautes que de coutume, grossies qu'elles étaient par quelques orages d'été.

-Quelques bateliers, plus pieux que leurs camarades, proposaient d'implorer l'assistance de la TrèsSainte Vierge, leur auguste patrone, quand le maître du premier bateau, homme violent et emporté, s'élançant au gouvernail, s'écria, avec des juremens effroyables, qu'il passerait en dépit de l'enfer et du ciel même. Le châtiment dû à son impiété ne se fit bienfaisans attendre: pas Un éclair sillonna tout à coup l'espace et foudroya le blasphémateur à l'instant même où sa main s'emparait de la barre.

Couchés, sur des barriques, aux rayons d'un soleil qui leur promettait une heureuse et tranquille navigation, les mariniers s'abandonnaient au courant, chantant, les uns, quelques joyeuses chansons patoises; les autres, devisant ensemble du magnifique pont de Villeneuve, qui venait d'être achevé, et dont les trois (1) tours se dressaient, à leurs yeux, superbes et majestueuses, lorsque tout à coup, arrivés non loin d'un énorme rocher qui s'élevait à la place même où s'élève aujourd'hui la chapelle de Notre-Dame de Grace, les trois bateaux s'arrêtèrent, immobiles et inébranlables, comme s'ils eussent été retenus par une puissance magique et surnaturelle.

-Aussitôt, pour sortir de ce mauvais pas, tout l'équipage se mit à faire force de rames; vains efforts! à peine les matelots y touchaient-ils, qu'elles se brisaient dans leurs mains et qu'ils sentaient se glisser, dans tous leurs membres, une lassitude et un abattement dont ils ne pouvaient se rendre compte. Frappés d'un tel prodige, ils se regardaient avec surprise, se demandant, les uns aux autres, s'ils n'étaient pas le jouet de quelque maléfice, lorsque les marins des deux autres bateaux, lassés enfin d'attendre, après les avoir accablés de plaisanteries et de quolibets, se décidèrent à monter à leur bord pour leur aider à franchir ce maudit passage.

- Trente hommes au moins, tous robustes et tous pleins de bonne volonté, c'était plus qu'il n'en fallait pour dégager le bateau !... mais que pouvait la force de trente hommes contre celle qui avait dit: Ils ne passeront pas ! Cette fois, comme la première, les rames volèrent en éclats et le bateau ne bougea point!...

(1) Le pont de Villeneuve, construit en 1289, par l'ordre du roi d'Angleterre, Edouard Ier, était surmonté de trois tours, dont une à chaque extrémité et la troisième au milieu.

-Plus de doute! c'est le ciel qui s'oppose à leur passage; c'est donc à lui qu'il faut avoir recours... Le patron du deuxieme bateau le comprit; il se mit à genoux, ordonna à l'équipage d'en faire autant; puis, se signant dévotement, il se jeta à la rivière, plongea, et revint bientôt après, annonçant aux matelots inquiets et tremblans, qu'il avait vu, sous l'eau, entre deux rochers, comme une espèce de statue, tenant un petit enfant dans ses bras.....

- Quelle était cette statue! Il n'avait pas eu le temps de l'examiner, ébloui qu'il avait été par les rayons lumineux qui formaient comme une auréole de flamme autour de sa tète et de cellc de l'enfant : quant au bateau, il n'avait rien vu qui pût le retenir; aussi les marins se réunirent-ils de nouveau à l'œuvre, mais toujours immobile et inébranlable, le bateau ne fit pas le moindre mouvement: on eût dit que sa quille était clouéc

sur les flots.

-«Par la bonne Sainte Vierge, notre benoîte patrone, dit un vieux marin, qui jouissait parmi les siens d'une grande réputation de sainteté, il y a quelque chose là-dessous et j'irai moi-même chercher cette statue....... Priez Dieu et la Sainte Vierge qu'ils me soient en aide!!... » A ces mots, on le vit disparaître sous l'eau, et, quelques secondes après, il reparut, portant entre ses bras une petite statue de pierre grise et grossièrement sculptée... C'était l'image de la Sainte Vierge !!!...

- A peine cette image miraculeuse eut-elle été déposée dans le bateau, qu'il reprit aussitôt sa course rapide, aux chants joyeux des matelots, dont les cantiques sacrés s'élevaient vers le ciel, louant et bénissant celle

qui a voulu être appelée la Blanche Etoile de la mer ; mais cette course ne fut pas longue. Lorsque les bateaux furent arrivés en face du couvent des Filles de NotreDame (1), ils s'arrêtèrent de nouveau, et les cloches du monastère se mirent à sonner d'elles-mêmes.

A ce nouveau prodige, les pieux mariniers, saisis de crainte, ne savaient comment interprêter ce nouvel avertissement, quand le vieux matelot, qui avait plongé sous l'eau pour aller chercher la statue, se prit à dire que madame la Vierge voulait être déposée dans l'église du couvent, et que les cloches qu'on venait d'entendre sonnaient ainsi pour saluer et fêter sa bienvenue. Ils amarrèrent donc leurs bateaux, descendirent sur la rive et là, après avoir, pieds nus et mains jointes, adoré dévotement la statue, ils la transportèrent au couvent, ainsi que le corps du patron impie qui avait été frappé de la foudre du ciel, pour que le chapelain lui donnât la sépulture en terre sainte.

Ce fut une grande et bien douce joie dans tout le couvent :-Heureuses de la haute faveur que la Vierge leur octroyait de prendre leur maison pour asyle, les bonnes sœurs délibéraient déja pour lui choisir une place dans leur église, lorsque, le miracle s'étant répandu tout-à-coup par la ville, le curé de Sainte-Catherine, accompagné du curé de Saint-Etienne (2), vint réclamer l'image merveilleuse, alléguant qu'elle avait été trouvée sur le domaine de sa paroisse.

Les bonnes religieuses cédèrent, non sans peine et sans regrets, aux désirs de leur vénérable pasteur, et la Vierge fut transférée, en grande pompe et cérémonie, à la nouvelle demeure que le pieux curé avait fait préparer et décorer pour la recevoir. On était alors au 7 de septembre, veille de la Nativité de la Vierge. Le lendemain, au matin, quand la foule pieuse, attirée et par la solennité de la fète et par la curiosité, accoururent pour déposer ses vœux et ses hommages aux pieds de la statue... O surprise! elle ne trouva plus que la place où le curé l'avait déposée ! La Vierge était retournée sur son rocher! Trois fois on la rapporta dans la même chapelle, et trois fois elle disparut sans que personne pût savoir par où ni

comment.

Figurez-vous alors la peine et la douleur du pauvre curé de Sainte-Catherine; la malédiction de Dieu avait donc frappé son église, puisque la Vierge sainte refusait d'y résider?... Dans son désespoir, il résolut d'implorer les lumières de l'Esprit-Saint: à cet effet, il célébra une messe solennelle, à laquelle assistèrent tous les ecclésiastiques et les religieux des divers ordres de la cité et des environs; ensuite, dans un chapitre assemblé tout exprès, il fut décidé et arrêté que

(1) Le couvent des Filles de Notre-Dame est occupé maintenant par la gendarmerie, la sous-préfecture, les tribunaux et la prison.

(2) Villeneuve n'a que deux paroisses, dont l'une, SainteCatherine, sur la rive droite du Lot, et l'autre, Saint-Etienne, sur la rive gauche.

la Vierge, voulant être honorée dans le lieu même où elle avait été recueillie par les mariniers du Quercy, une quête serait faite dans les deux paroisses de Villeneuve en Agenais pour lui bâtir une chapelle.

Pendant qu'on la construisait, ajoute la tradition, un certain bourgeois, d'un caractère difficile et demeurant alors dans une maison qui se trouvait en face de la chapelle, ayant juré et maugréé contre la bonne NotreDame, dont le pieux édifice allait désormais cacher à ses regards la vue du magnifique côteau de Pujols (1), la Vierge le frappa immédiatement de cécité, et ce ne fut qu'après force oraisons et maintes neuvaines qu'il obtint enfin de cette mère de miséricorde le bonheur de revoir la lumière.

Depuis ce temps debout, la petite chapelle,
Toujours ouverte aux pas du pélerin fidèle,
Reçoit sa prière et ses vœux;

La mère, en pleurs, y vient redemander sa fille,
L'épouse son époux, l'orphelin sa famille,

L'aveugle la clarté des cieux...

Il ne faut pas croire pourtant que le divin monument n'ait eu rien à souffrir des outrages du temps ou des hommes, et que la miraculeuse statue soit demeurée toujours immuable à sa place; vendue au profit de la nation, à l'époque de 93, la sainte chapelle se trouva tout-à-coup changée en corps-de-garde, et le ça-ira retentit dans la chaste et pieuse enceinte consacrée à la Vierge d'innocence et d'amour, qui fut obligée de s'exiler de son temple pour se dérober à la fureur des révolutionnaires.

Déja même on parlait d'abattre le divin sanctuaire et d'en vendre les débris, lorsque de pieuses dames l'achetèrent, dans l'espoir de la rendre plus tard à sa véritable maîtresse. Enfin, le calme a succédé aux orages; la Vierge miraculeuse est rentrée en possession de sa demeure; espérons que de nouvelles profanations ne viendront plus l'en arracher!

Telle est la légende de Notre-Dame-de-Grâce ou du Bout-du-Pont (Nostro-Damo-de-Gaou, ou du Capdel-Pount); telle est l'origine que la tradition populaire donne à la petite et modeste chapelle que l'on voit encore aujourd'hui à la tête du pont de Villeneuve-surLot; origine que nous nous sommes empressé de recueillir, avant que le temps en ait emporté le souvenir sur ses ailes, ou que la mort ait glacé la langue conteuse du bon vieillard qui nous l'a redite pour la transmellre à ses concitoyens, et pour en éterniser la miraculeuse histoire.

Th. WAINS-DES-FONTAINES.

D'Alençon (Orne ).

(1) Le côteau de Pujols est un des plus jolis points-de-vuc des alentours de Villeneuve.

LA MONTAGNE DE LA SARRASINE.

L'an de l'hégire 99, les provinces de la Gaule gothique furent inondées de Sarrasins, que l'amour du pillage, encore plus que l'enthousiasme religieux, poussait à de nouvelles conquêtes. Le peuple des campagnes, serfs et colons, fuyait aux villes pour chercher un asile; les hommes puissans se retiraient dans leurs châteaux, avec les gens de guerre qui étaient à leur solde. Jamais les enfans d'u prophète n'avaient franchi les monts des Pyrénées avec plus d'ardeur, jamais en plus grand nombre: Zama, leur général, avait promis de les établir dans des contrées fertiles, où ils trouveraient le paradis de Mahomet; et la valeur des Maures avait toute la fougue des instincts grossiers qu'il leur promettait de satisfaire. Comme les eaux d'un torrent qui déborde s' anchent au hasard loin de son lit, les innombrables bataillons de ce peuple armé inondaient les plaines de la Septimanie et de l'Aquitaine. Partont où leur soif du butin pouvait être satisfaite, ils y étaient naturellement poussés par l'esprit de la religion qui les animait : Eudes, duc de Toulouse, quoique privé du secours qu'aurait dù lui porter Charles-Martel, son rival, concentrait ses forces sur sa ville capitale, et se préparait à la victoire plutôt qu'à la guerre.

Sa prudence parut être de la crainte, surtout aux yeux d'un ennemi qui ne pouvait compter ses forces; il en était fier, au lieu de se trouver inquiet d'avoir tant de peine à les diriger, et le désordre était dans son armée, qui partageait la confiance aveugle de son général. Les lieutenans de Zama ne se préoccupaient nullement du succès de leurs armes, tant ils le croyaient assuré; chacun d'eux était jaloux de saisir les fruits de la victoire avant que d'avoir engagé le combat. On commençait à peine à battre les murailles de Toulouse, qu'ils faisaient déja des excursions dans les grandes plaines voisines dont ils étaient jaloux de prendre possession. Les uns descendaient vers les rives du Tarn, dans les lieux où devaient s'élever plus tard Montauban, qui n'était alors qu'un obscur monastère; les autres s'étendaient à l'orient dans les champs Albigeois; ceux-ci remontaient vers les sources de la Garonne; ceux-là suivaient son cours vers Bordeaux ; partout enfin le croissant flottait sur cette terre déja foulée par les Visigoths et les Francs; mais de même que dans une inondation les parties basses du sol sont seules couvertes, tandis que les points élevés restent inaccessibles aux grandes eaux, ainsi les villes et les châteaux-forts établis sur le sommet des montagnes, échappaient aux bandes infidèles qui ravageaient dans les plaines les villages et leurs moissons.

Ceux des chefs Musulmans qui n'avaient pu trouver un poste autour des murs de Toulouse, couraient le pays en attendant, et chacun d'eux choisissait une forteresse, un couvent, un château pour en faire le siége. Les premiers arrivés sous les remparts de l'ancienne capitale des Visigoths, avaient formé la ligne MOSAIQUE DU MIDI. 5o Année.

de circonvallation, et devaient recueillir la plus belle part du pillage; les autres, pour réparer les malheurs du retard, choisissaient dans ses riches campagnes la proie qui tentait le plus leur cupidité. Mais si le courage des Sarrasins était impétueux, si leur avidité se montrait implacable, la valeur des Chrétiens n'était pas moins ferme, leur constance moins obstinée; dans chaque maison fortifiée, dans chaque couvent, on se défendait jusqu'à la dernière extrémité, et ceux qui combattaient dans leur pays pour leur famille, leur liberte, leur Dieu! étaient des hommes forts, dont on ne pouvait triompher que par l'extermination.

Les habitans de Montesquieu de Volvestre se distinguèrent en co temps par une défense héroïque. Leur valeur, dont les témoignages sont enfouis dans des chroniques ignorées, mérite de recevoir un éclatant hommage. Cette ville, aujourd'hui considérable par son commerce et le nombre de ses habitans, n'était alors qu'une simple forteresse de structure romaine : elle ait dù servir de station aux postes avancés que les Romains avaient échelonnés sur toute la ligne des Pyrénées. Au premier bruit de l'invasion sarrasine, les habitans du voisinage s'y étaient renfermés avec leurs troupeaux; ils étaient résolus à périr avant que de se rendre, et le spectacle des cruautés que les Sarrasins mettaient devant leurs yeux redoublaient encore leur énergie le désespoir venait en aide au courage. Là commandait le comte Euric, goth d'origine: sa famille s'était maintenue dans les terres et châteaux qu'elle occupait dans ces contrées alors un peu sauvages, et l'invasion des Francs ne l'avait pas dépossédée. Euric avait une sœur, qu'il élevait comme son enfant, parce qu'elle était de beaucoup plus jeune que lui; son autorité, son âge et les soins assidus dont il l'avait entourée, inspiraient au jeune comte pour sa sœur un sentiment qui avait quelque chose de la gravité d'un père, et à la fois de l'amour fraternel: Isabelle, de son côté, chérissait Euric avec le respect d'une fille et le dévouement d'une sœur.

Tous deux, renfermés avec leurs plus dévoués serviteurs, leurs serfs et leurs soldats les plus fidèles, dans le château de Volvestre, observaient avec horreur du haut des murs les ravages que faisaient les Sarrasins dans les champs qu'ils parcouraient ensemt ble. Isabelle voyait brûler les cabanes où elle allait secourir de pauvres serfs malades qui ne pouvaientravailler; plus loin, c'était l'oratoire dont elle avait orné l'autel, que les infidèles allaient renverser sur tous les points de l'horizon, où son œil s'arrêtait. si souvent pour considérer les clochers aigus des églises et les hautes tours du couvent, des colonnes de fumée s'élevaient noires et lugubres comme des fantômes; la jeune fille alors tombait à genoux, et, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes et ses mains innocentes, elle priait Dieu pour son frère et pour son pays.

Son frère, immobile à ses côtés, frémissait de rage

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en voyant la désolation sur ses vastes domaines. Il était pâle et muet; quelquefois il prenait avec transport son épée, comme dans l'impatience de se mesurer avec l'ennemi; puis il retombait dans l'abattement lorsqu'il comparait le petit nombre d'hommes qui l'entouraient à la multitude dont les flots venaient battre ses remparts. Souvent il tournait vers sa sœur des regards pleins d'une tristesse profonde, et l'on pouvait aisément se convaincre alors qu'une pensée fatale le possédait. Il déplorait la beauté d'Isabelle, dont il était si fier autrefois; il jetait vers le ciel des regards supplians, comme pour solliciter son Dieu d'appeler à lui cet ange, et de le soustraire aux mains impures des ennemis.

Ce qui rendait encore plus vive la crainte du comte Euric, c'est que le chef sarrasin qui le tenait assiégé s'était déja fait dans le pays un renom de barbarie et de brutalité qui le lui rendait encore plus terrible. On le nommait Adelkam; sa tente et celles de ses soldats s'élevaient sur les bords de la Rise: on reconnaissait aisément celle de l'émir à l'étendard qui flottait audessus, à l'éclat des étoffes dont elle était couverte. Les beaux coursiers du général paissaient en liberté dans une plaine qu'il avait fermée par des palissades, et de vastes écuries s'élevaient au milieu. Souvent, on le voyait lui-même, du haut des tours du château de Montesquieu, s'asseoir sur des tapis dorés, aux bords de la rivière; ses femmes l'entouraient, attentives à lui plaire, et tandis que les parfums de l'Orient brûlaient autour de lui dans des brasiers d'or, des eunuques noirs le servaient. On reconnaissait sans peine Adelkam au respect dont il était entouré, à ses riches habits, et surtout au turban vert qu'il avait le droit de porter comme descendant de Mahomet.

Če spectacle causait des chagrins profonds, de terribles appréhensions au comte Euric; et quand il s'imaginait que, s'il était forcé dans son château, sa sœur serait esclave d'un infidèle, comme les femmes qu'il voyait du haut de ses tours, des pensées étranges fermentaient dans son cœur. Le malheur qu'il pressentait vint le frapper, l'émir s'empara de sa forteresse. Ce fut par une nuit obscure qu'Adelkam, profitant des ténèbres et du bruit causé par un violent orage, escalada les murs avec les siens. Un esclave du comte Euric favorisa l'entreprise et trahit son maître. Cet homme, fils des Bagaudes des Pyrénées, et, depuis sa jeunesse, secrètement adonné à l'idolatrie, saisit avec empressement l'occasion de satisfaire la haine que lui avaient inspirée le comte Euric et sa sœur. Euric était son maître, Isabelle croyait à Jésus-Christ, qu'elle servait avec ardeur, et l'esclave n'hésita pas à les livrer aux mains des ennemis. Le prix de la trahison convenu, le jour fixé, on n'attendit que le moment. Tout favorisa la trahison: Euric, fatigué d'une sortie vigoureuse qu'il avait faite pour enlever aux ennemis des bestiaux et des vivres dont il avait besoin pour nourrir ses gens, Euric avait été surpris par le sommeil, après avoir fait sa ronde de nuit; l'esclave, qui l'observait, alluma un flambeau dès qu'il vit son maître endormi, et le posa un instant sur les remparts, pour indiquer à l'émir la place où ses soldats devaient dresser l'échelle. Les Sarrazins attendaient avec impatience ce signal convenu; à peine ils l'eurent vu

qu'ils se mirent en marche : l'obscurité, le bruit de l'orage, tout les secondait, et les murailles furent escaladées, par Adelkam et ses plus braves, avant que l'alarme ne fût donnée. L'esclave avait fait au général sarrazin un pompeux éloge de la beauté d'Isabelle, assuré par ce moyen d'entraîner l'infidèle à tenter l'entreprise. L'émir, en effet, céda plus au désir de tenir en son pouvoir une femme céleste, dont la beauté pure devait contraster avec les charmes de ses concubines, qu'à l'amour du butin et de la gloire; dès qu'il se vit avec ses gardes arrivé sur les remparts, et maître de la principale tour, il somma l'esclave de le conduire vers Isabelle. Pendant que ses soldats se répandaient dans la place, les uns pour aller en ouvrir les portes à leurs camarades, les autres pour égorger les sentinelles, Adelkam suivit le traître qui allait lui livrer Isabelle, après lui avoir ouvert l'entrée du château.

En ce moment, la jeune fille, éveillée par l'orage, était allée, tandis que tout reposait auprès d'elle, prier à l'oratoire pour la vie de son frère et pour la délivrance du peuple Chrétien. A peine, à la lueur de la lampe qui brille auprès du sanctuaire, elle apparaissait, immobile dans l'attitude de la prière. Un voile blanc couvrait sa tête; une longue robe, blanche comme son voile, l'enveloppait toute entière et tombait sur ses pieds on eût dit une sainte apparition. Tandis qu'lsabelle se retirait dans son recueillement, et cherchait dans son ame les plus pures pensées d'amour pour les offrir à Dieu, des clartés éclatantes déchirèrent l'obscurité qui l'entourait, des cris aigus vinrent tout à coup briser le silence; la porte de l'oratoire s'ouvrit avec fracas, et l'émir parut, conduit par l'esclave qui portait un flambeau. Isabelle s'était levée; dans son épouvante, elle s'était renversée sur l'autel. Elle avait compris tout son malheur. Par Mahomet! dit Adelkam, que cette femme est belle! voici ma part du butin.

Il marchait à l'autel pour la saisir, et ses gardes le suivaient pour admirer la jeune captive, quand, par une porte latérale, et poussant des cris de rage, Euric se précipite pour défendre sa sœur. Le comte n'avait pas eu le temps de prendre sa cuirasse: nu tête, l'épée à la main, il se jette devant Isabelle; ni ses efforts héroïques, ni les prières de la jeune fille ne purent les sauver; Euric, accablé sous le nombre, fut chargé de chaînes, et livré à des soldats qui le porterent sous la tente de l'émir. Isabelle, que Dieu ne secourait point, s'évanouit, et tomba comme morte sur les marches de l'autel : elle avait vu son frère au milieu des Sarrasins armés, et leur général qui levait la main sur elle pour la saisir. Pendant que les vainqueurs pillaient la forteresse, et que les cris des femmes et des enfans s'élevaient dans la nuit avec les flammes, Adelkam ne prenait aucune part au massacre ni au pillage, et sans attendre que les assiégés fussent chassés des postes où quelques-uns se défendaient encore, emportait dans sa tente sa jeune captive, il éprouvait le besoin d'admirer une beauté si nouvelle pour lui; une émotion secrète lui disait que les faits les plus étranges dans sa destinée allaient s'accomplir par cette captive. Dans sa tente, ses femmes l'attendaient inquiètes d'apprendre le résultat de l'attaque, tremblantes qu'il n'eût été blessé dans le combat. Sans faire

il

attention à la douleur de son absence ni à la joie de son retour, l'émir déposa sur un lit magnifique sa captive qui n'avait pas encore repris ses sens; il fit appeler ses médecins, et leur ordonna de prodiguer tous leurs soins à la jeune chrétienne. Isabelle parut se ranimer; l'émir se réjouit en sengeant qu'il pourrait bientôt admirer ses beaux yeux et fixer ses regards; enfin elle revint à elle-même, et considéra long-temps les objets qui l'entouraient avant que de se rendre compte de sa position les soins des médecins, les respects de l'émir, qui pressait sa main, le silence de ses femmes, rangées autour d'elle et dévorées de jalousie, tout la trompait. Elle se crut long-temps sous le charme d'un reve; mais les cris d'une voix déchirante vinrent lui révéler l'horreur de sa position: Euric, qu'on avait chargé de chaînes, et renfermé sous la tente d'Adelkam, ne pouvait maîtriser son désespoir en songeant aux dangers qu'allait courir sa sœur Grand Dieu ! s'écriait-il, veille sur Isabelle, préserve-la de toute insulte, fais qu'elle meure, mon Dieu, avant que d'être outragée. La jeune fille entendit ses paroles, elle se leva de dessus le lit où on l'avait couchée, repoussa la main de l'émir, et tendant les mains vers cette Voix qui venait de se faire entendre: Rassure-toi, mon frère, s'écria-t-elle, je mourrai digne de toi.

Il y avait dans sa voix une si noble assurance, tant de majesté dans son maintien, et sur son front tant de candeur, que le général sarrazin se prit à l'admirer et commanda que chacun se soumit à ses ordres. Sur un geste qu'il leur fit, ses femmes s'éloignèrent, ses gardes regagnèrent leurs postes; après eux les eunuques disparurent derrière les tapisseries qui cachaient les portes l'émir resta seul avec Isabelle.

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Elle était assise immobile et pâle, les mains jointes et posées sur ses genoux: ses traits, quoique altérés par la douleur, exprimaient le courage que donne la vertu; ses yeux, baissés à terre, ne se levaient que pour invoquer le ciel. Adelkam fut long-temps à la considérer sans lui adresser une parole, sans se rapprocher d'elle il se trouvait heureux de l'admirer, il voulait lui inspirer de la confiance; après qu'il l'eut long-temps considérée, comme il était pénétré de respect et de bienveillance pour elle, il lui sembla qu'elle devait comprendre l'état de son cœur, et ne voir en lui qu'un protecteur. Il se rapprocha d'elle afin de lui parler; un léger frisson parcourut Isabelle, dont les yeux restèrent baissés, et l'émir comprit avec un déplaisir secret qu'il n'était qu'un maître pour elle. Cependant, les illusions montaient à son front; et, à mesure qu'il considérait Isabelle, il sentait naître en lui comme une ame nouvelle. I maudissait en silence ses victoires sanglantes, qui le rendaient odieux à la jeune chrétienne; il lui semblait que toute sa vie, les invasions des Sarrazins dans les Gaules, le siége du château de Montesquieu, sa victoire enfin, que tout son passé n'avait d'autre but que de le rapprocher d'elle. Il croyait avoir rêvé une compagne pure et sainte comme Isabelle; il se créait un avenir qu'elle remplissait de bonheur; ce n'était plus un descendant du prophète: il aimait sa captive; sou imagination orientale, amoureuse des féeries de l'extase, et déja charmée par tant de récits merveilleux, était en ce moment excitée par les parfums enivrans qui brùlaient toujours dans sa

tente; le lion était dompté, il n'avait plus ni dieu, ni patrie, il voyait Isabelle. Jamais le paradis de Mahomet ne lui avait montré dans ses rêves des houris aussi parfaites, et l'émir, profondément ému devant cette jeune fille chrétienne, se souvenait d'avoir lu dans le Coran que Jésus était un grand prophète et qu'il avait fait des miracles.

Adelkam, plus troublé qu'Isabelle, lui parla cependant pour la rassurer, pour témoigner de son respect et du dévouement qu'elle lui avait sondainement inspiré. Il ne songeait pas que la jeune chrétienne n'entendait pas une langue étrangère, et pour la persuader il rendait sa voix douce et n'employait que de tendres paroles; mais vainement il s'épuisait à protester de ses nobles sentimens: Isabelle ne comprenait que son amour; et, plus sa voix était douce, plus ses regards passionnés, plus elle s'éloignait de lui avec horreur. Le maure ne s'irritait pas de son silence et de son éloignement, il s'en accusait au contraire; il maudissait ses victoires, il conjurait Isabelle de lui accorder un regard de pitié, et, pour tomber sous ses regards qu'elle ne voulait pas lever sur lui, l'émir se couchait à ses pieds. Alors Isabelle relevait au ciel ses yeux pour ne pas les fixer sur le Sarrazin. Après avoir prié, pleuré, supplié les mains jointes, et sollicité son pardon par Mahomet et par Jésus, après s'être prosterné aux genoux d'Isabelle sans fléchir son silence, l'émir épuisé de fatigue, s'étendit aux pieds de la jeune fille, et dormit, en lui disant de lui percer le cœur pendant son sommeil, puisqu'elle ne voulait point croire à son

amour.

Cet homme, fatigué par le combat et les supplications inutiles adressées à la jeune fille, était pâle et défait jusques dans le sommeil; il avait comme perdu cette fierté farouche qui l'avait jusqu'alors rendu si redoutable, et c'était d'une ame confiante et noble que de s'endormir ainsi aux pieds d'une captive, qui pouvait le poignarder et venger par sa mort le malheur des siens. Quand le bruit réglé de son haleine avertit Isabelle qu'il reposait profondément, elle osa jeter sur lui un premier regard. Adelkam était jeune et beau : la jeune fille se fit un reproche secret de l'avoir admiré, et détournant aussitôt la vue elle s'éloigna pour se mettre à genoux et prier pour son frère.

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Euric en ce moment maudissait Dieu au lieu de l'invoquer: il ne pouvait souffrir l'idée d'une défaite, causée par la trahison; il frémissait de fureur en secouant ses fers, quand il se demandait en quelles mains sa sœur était tombée. Pendant que le comte pleurait et rugissait sur son grabat, il vit une femme s'approcher de lui, une lampe à la main cette femme était remarquable par sa beauté, ainsi que par l'expression énergique de son regard et de son front; sa taille haute et flexible secondait la fierté de son maintien; il y avait en elle, mariées dans une heureuse harmonie, la force qui impose, et la grâce qui séduit. Euric la regarda avec un étonnement mêlé d'admiration. Cette femme s'approcha du comte; elle posa près de lui et la lampe qu'elle portait, et des armes cachées sous ses habits. Le captif, surpris de cette apparition magique, observait tous ses mouvemens, sans oser lui parler et gardait un silence obstiné. Il la vit dénouer sans bruit les liens qui le retenaient attaché, couper avec son

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