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et chercher, ailleurs que dans la tête, la réfutation des haches d'armes et des glaives qu'on leur opposait.

Cette ardeur de réforme gagna de proche en proche: après avoir inondé, sous deux aspects différens, les Alpes et les Pays-Bas, le Rhin et le Rhône, elle atteignit un vaste déploiement dans le Languedoc, et il n'est pas étrange qu'elle y soit apparue compliquée, et mêlée de mysticisme et de rationalisme.

« Le Languedoc, selon M. Michelet, était le vrai » mélange des peuples, la vraie Babel. Placé au coude » de la grande route de France, d'Espagne et d'Italie, » il présentait une singulière fusion de sang ibérien, » gallique et romain, sarrasin et gothique. Ces élémens » divers y formaient de dures oppositions. Là devait >> avoir lieu le grand combat des croyances et des races. >> Quelles croyances? Je dirais volontiers toutes. Ceux >> même qui les combattirent n'y surent rien distinguer » et ne trouvèrent d'autre moyen de distinguer ces >> fils de la confusion, que par le nom d'une ville: Al» bigeois. »

Les Albigeois, les plus fougueux hérétiques qui se soient jamais levés contre Rome, s'agitaient au milieu d'un grand pêle-mêle, d'une cohue immense d'opinions religieuses d'abord éparses, variées, hostiles, et qui avaient fini néanmoins par se fondre dans un même jet, s'identifier dans une même action, se concentrer dans une même attaque. Pour quiconque a soumis l'histoire à une exploration intelligente, c'est une vérité incontestablement acquise que les plus contraires élémens se fortifient par leurs oppositions, lorsque, après avoir long-temps tourbillonné dans une même sphère, ils rencontrent enfin le moment de leur juxtaposition, le point précis de leur contact. Cela est frappant chez les Albigeois. Leurs hétérogènes croyances furent long-temps l'inverse du cercle de Pascal: la circonférence en était partout et le centre nulle part.

Cependant, condensées comme elles l'étaient, sur un espace restreint, elles en vinrent à se mêler, et le dualisme persan christianisé, le manichéisme finit par les absorber, et par les convertir toutes à sa substance. Le manichéisme croyait avoir résolu le grand problême de l'effroyable contradiction des deux mondes, matériel et moral, de l'esprit et de la chair, éternels contraires soudés dans une éternelle union, et faussés tous les deux, par l'étroitesse de leur embrassement. Niant l'unité du principe ontologique, ils reconnaissaient deux puissances absolues, deux infinis toujours en lutte, et contrebalancés à jamais, l'un par l'autre dans la plénitude de leur exercice. L'un c'était le Dieu bon, l'autre le Dieu mauvais; à celui-ci revenait la matière, à celui-là l'esprit, deux choses que le manichéisme tenait sous un même niveau, et qui, malgré leurs rivalités, n'en devaient pas moins rester dans un équilibre parfait.

L'hérésie de Manès, l'église l'abhorrait, entre toutes, d'une haine spéciale, car elle ruinait radicalement les dogmes conservateurs du monde chrétien. Par le manichéisme, l'homme placé au milieu de ce conflit de deux puissances, l'une infiniment bonne, l'autre infiniment mauvaise, dominé d'une influence égale, et neutralisé par deux penchans irrésistibles, devenait incapable de bien et de mal, et n'était plus qu'un insignifiant appareil, jeté entre la vertu et le vice, sans

moralité pour choisir. Et dès-lors que devenaient les doctrines de la déchéance et de la réhabilitation? Que devenait le libre arbitre ?

on

Les Albigeois étaient fiers de ces doctrines: ils ne se contentaient pas de les précher, ils en gravaient les principes à la pointe du fer sur la poitrine de leurs adversaires. S'ils avaient leurs conciles, ils avaient aussi leurs armées; et leur organisation militaire était d'une belle ordonnance et d'une sage économie. Le raisonnement qui se fait soldat est une chose terrible; quand on marche résolu à mourir pour une idée, est bien fort. Aussi l'église était en danger; cette formidable anarchie d'idées qui se déclarait autour d'elle, l'impétueux débordement de l'esprit humain que l'autorité ne dominait plus, tout ce qui faisait irruption sur la surface du monde semblait la faire pencher au bord d'un abîme qui l'absorbait de plus en plus, abime sombre, ardent, immense où tournoyaient tant de doctrines, tant d'opinions, toutes armées, toutes menaçantes. Quand Rome vit tout cela, elle se prit à languir et à désespérer; mais au chevet de son agonie veillait un homme qui ne désespérait pas, lui; couronné de l'église, il portait sur sa tête la responsabilité de son avenir; et, si noires que fussent à tous les horizons les tempêtes, il promettait de se présenter de front partout; et il affirmait qu'après la victoire le manteau de la papauté ne se trouverait pas dans les dépouilles du vaincu. Toutefois, les hérésies foisonnaient étrangement, leurs forces s'amoncelaient de plus en plus, elles montaient, montaient, il allait en être débordé; alors contre tous il se lève, seul; seul il soutient le choc universel; il multiplie son bras; il est terrible; chacune de ses pensées est un éclair, chaque geste un coup de foudre. Cet homme, on le nommait Lothaire Conty, avant que l'église ne l'appelât Innocent III. Tête profonde où était descendue toute science; prudences divine et humaine, droit, théologie; politique, éloquence sacrée, il avait tout médité, il avait étagé dans son esprit toutes les choses de l'intelligence; aussi son front était vaste, et remplissait merveilleusement la thiare. Sous le pontife il y avait l'homme, et quel homme! un Romain, mais un Romain des vieux temps, dur, orgueilleux, avec la morgue du patricien et la fougue du tribun; inconciliable dans ses haines, d'une colère froide au-dehors, mais qui l'inondait audedans, noire, brûlante comme une lave qui bouillonne; certes, se heurter à cet homme, c'était vouloir tomber à la renverse.

Et à présent que l'on voie la magnifique position où il se trouvait pour déployer dans leur plus vaste exercice l'appareil si formidable de son énergie, et les trésors de sa science. De toutes parts l'esprit humain le harcelait et le pressait dans un cercle de plus en plus étroit; l'indépendance religieuse augmentait ses recrues; elle décimait l'orthodoxie de toutes les défections qu'elle y provoquait. Encore une année de cette anarchie, et c'eût été peut-être un grand sauve-quipeut dans l'église, une désertion générale de toutes les croyances entraînées et perdues dans la pente du raisonnement. La lutte guerrière dans laquelle Grégoire VII était descendu armé, non du glaive invisible de la parole, mais du glaive réel qui ensanglante et qui tue, de la hache qui pourfend; cette guerre d'ex

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termination où l'empereur et le pape s'avançaient l'un le pape s'avançaient l'un contre l'autre, tête baissée, chacun leur globe en main, deux mondes portés par deux hommes, ce duel immense s'était transformé : de temporelle qu'elle était sous Grégoire VII, la question était devenue spirituelle sous Innocent III. Ce n'était plus le fait contre le fait, c'était le droit nouveau contre le droit ancien, l'idée d'aujourd'hui contre l'idée d'hier.

Dans ce temps, le pape devait mener les esprits; conducteur des âmes, régulateur des idées, interprète de Dieu parmi les hommes, conservateur de l'unité hors de laquelle toute religion n'est plus qu'une théorie philosophique sans règle et dépourvue de toute sanction, le pape n'était et ne devait être que l'incarnation de l'autorité, la suprématie de la volonté au service de la

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suprématie de l'intelligence. Or, Innocent II fut de taille pour ce rôle gigantesque, et voici, quand le moment fut venu, comme il s'y prit pour l'accomplir:

Voyant à la tête des Albigeois le comte de Toulouse, Raymond VI, c'est lui d'abord qu'il voulut frapper. Le pape le détestait; il avait horreur de ses débauches monstrueuses où tombaient tour-à-tour sa propre sœur et les concubines de son père. Sa couche se peuplait d'ailleurs d'une étrange variété de mariages; quatre femmes s'y étaient succédé, dont il ne voulait plus au premier dégoût, et qu'il renvoyait avec opprobre comme des courtisanes où l'on s'est blasé. Le comte déchaînait encore dans tout le Languedoc d'innombrables routiers, qui se précipitaient comme autant de vautours à la curée des monastères et des églises; et

onze siècles. Tout-à-coup l'édifice se prit à trembler sous l'homme qui en occupait le falte; il penchait déjà, et les saints, et les apôtres, et les docteurs se couvraient la face des mains, la ruine était imminente, et voilà que le pape avise un grand arbre qui s'élève, comme par enchantement, du côté où s'incline la cathédrale, et qui lui prête un point d'appui. Mais cet arbre est rouge à toutes ses feuilles d'une sueur de sang qui inonde en rosée la tête d'un homme vêtu de noir, et prosterné sous son mystérieux ombrage.

Nuit de l'enfer où Innocent III avait rencontré un songe pareil! Certes, si les hérétiques eussent soupçonné les conséquences qu'il en devait déduire, ils eussent aimé mieux sans doute se trouver perdus parmi les horreurs d'une guerre de cent ans, face à face avec les fulminantes légions du duc de Montfort, dévastés, mutilés et massacrés par hécatombes. Car il sortit de ce songe une réalité, une épouvantable réalité où toutes les terreurs abondaient, où l'échafaud jetait partout son ombre, où la braise des bûchers ne se refroidissait jamais sous la cendre, où l'agonie était en permanence, et les sanglots éternels. Quand le pape eut médité son rêve, et qu'il en eut cherché l'explication, il trouva ceci : l'édifice ébranlé dont son pied avait tenu le sommet, c'était l'église de Latran altaquée par l'hérésie, et qui chancelait sur sa base; le grand arbre qui l'appuyait et la sauvait de sa ruine, ce devait être un ordre religieux, inébranlable dans sa tige, d'une sève prodigieuse d'énergie; grand arbre planté et cultivé par un grand homme, et dont le feuillage distillait le sang pour l'effort terrible qu'il devait prendre à soutenir l'église. Dès ce moment l'inquisition fut résolue.

en remplacement des vases sacrés, des tabernacles d'or et des lampes d'argent, ils laissaient les restes honteux de leurs orgies. Une longue traînée de sang accompagnait leurs pas; car dans leurs chemins ils massacraient quiconque hasardait contre eux la moindre résistance. Il n'y avait pas une seule action honteuse qui ne se couvrit du nom de Raymond VI, pas un seul assassin dont il n'inspirât le poignard. Le pape couvait des yeux ce prince damné; il le dévorait de sa haine, et il se réservait une telle vengeance, qu'une fois tombé entre ses mains, le comte Raymond ne serait plus, devant le monde, qu'un exemple de l'humiliation la plus abjecte, un rebelle flagellé de la main des prêtres, un lâche déserteur de la cause, achetant par la trahison le misérable avantage de vivre un jour de plus. Innocent lui ordonna d'abord d'éteindre jusqu'à sa dernière étincelle, cette guerre terrible dont il embrasait le Midi de la France; il lui démontra ensuite toute l'insolence de ses ambitions, et ses projets furieux, et ses sacriléges tentatives pour échafauder sa puissance plus haut que celle de l'église; il lui recommanda enfin de ne pas oublier qui lui parle, que c'est, il est vrai, le dernier des serviteurs de Dieu, mais que ce dernier des serviteurs n'en est pas moins le maître et le juge des ennemis de la foi, le prètre souverain, l'homme infaillible, le pape. La réponse de Raymond ne se fait pas attendre; elle est aussi effroyable que rapide: il fait poignarder le moine Pierre de Castelnau qui lui avait porté les paroles menaçantes. Alors Innocent Il se recueille dans une sombre méditation; l'ange exterminateur passe au plein vol dans chacune de ses pensées; il se prend aux résolutions les plus sinistres; il prépare dans sa tête des moyens affreux, des châtimens inouïs; il convoque dans son imagination comme un concile de bourreaux dont il absorbe les suggestions, suggestions terribles qui font sa colère sanglante, et toute peuplée des buchers et des tortures qu'il prépare aux héréti-point de vue; ce mot, loin de le rétracter, il le conques. Il a commencé par faire prêcher la croisade contre les Albigeois; mais ce n'est point assez les armées qu'il a ameutées contre eux sont vaillantes; elles ont rapporté de la terre sainte des traditions guerrières qu'elles ne peuvent avoir oubliées; elles promettent bon nombre de coups d'épée, et de charpenter avec la hache, et de faire pleuvoir du sang, et rouler des têtes; mais cela ne suffit pas encore: si outrée qu'elle soit, la guerre ne peut être jamais qu'un long enchaînement de batailles; il faut du temps; et puis en supposant les croisés rapides pour la victoire, c'est ici une guerre de religion, l'hérésie pour être tranchée dans sa tige n'en subsistera pas moins dans sa racine. Dans une guerre d'opinions et de croyances, la répression à la surface importe peu, il faut encore extirper et cautériser.

Innocent III s'arrêta avec prédilection aux moyens de cette double nécessité. On dit qu'une nuit, en proie au sommeil convulsif, dont il avait habitué de dormir, il eut un rêve: il se voyait, debout, sur la flèche d'une prodigieuse cathédrale toute de pierre, cimentée du sang des martyrs, et habitée d'étages en étages d'un concours innombrable de tous les saints, de tous les apôtres, de tous les docteurs qui avaient fait au christianisme une glorieuse escorte, dans sa marche de

Dans un fragment, qui ne mérite pas d'ailleurs d'être mentionné, l'auteur de ces lignes a déjà hasardé un mot qu'on lui a demandé de rétracter, comme favorable peut-être à l'inquisition, considérée sous un

firme aujourd'hui. A son avis, l'inquisition fut dans son principe un établissement politique, justifié par les circonstances, et qui, pour impliquer fort peu la mansuétude d'Innocent III, n'en fait pas moins honneur à son génie gouvernemental. Sans doute, comme nous en sommes convenus une fois, au milieu de ses tortures et de ses bûchers, l'inquisition semblait tenir son mandat d'un tout autre commettant que l'évangile; sans doute il y avait dans l'allure de ses ministres moins de l'apôtre que du bourreau; sans doute d'avares cachots furent creusés par elle, où nul rayon ne descendait, ni du jour ni de l'espérance, sépulcres vivans qui dévoraient des chairs que la mort n'avait pas touchées, mornes habitacles où l'on roulait incessamment dans un infini de désespoir; sans doute l'inscription dont Alighieri s'est épouvanté aux portes de son Inferno revenait de droit à ces cavernes noires où les inquisiteurs distribuaient leur ténébreuse justice; mais avec l'historien dont nous nous sommes édifiés pour notre travail, nous croyons que « les préjugés du » peuple, l'ivresse sanguinaire des haines et des ter>> reurs, tout cela remontait par tous les rangs du >> clergé jusqu'au pape. Ce serait aussi faire trop grande » injure à la nature humaine que de croire que l'é» goïsme ou l'intérêt du corps anima seul les chefs de

» l'église; non, tout indique qu'au douzième siècle » ils étaient encore convaincus de leur droit. Ce droit >> admis, tous les moyens leur furent bons pour le » défendre. Ce n'était pas pour un intérêt humain que » saint Dominique parcourait les compagnes du Midi, » seul et sans armes, au milieu des sectaires qu'il en» voyait à la mort, cherchant et donnant le martyre » avec la même avidité. Et quelle qu'ait été, dans ce » grand et terrible Innocent III, la tentation de l'or» gueil et de la vengeance, d'autres motifs encore l'animèrent dans la croisade des Albigeois et la fon»dation de l'inquisition. »>

>>

Nous avons nommé saint Dominique; si le pape en fit son premier licteur, s'il lui remit entre les mains les trésors de sa colère pour les répandre sur la tête des hérétiques, c'est qu'il avait deviné dans cet homme une énergie de bronze sous une chair débile, un dur soldat sous un prêtre mélancolique. Malgré son illustre naissance, tout noble castillan qu'il était, nul ne fut plus humble que saint Dominique. D'une austérité de mœurs à déconcerter les anachorètes de la Thébaïde, savant comme un Père de l'Eglise, prodigue d'aumônes, et éloquent de cette éloquence de l'âme où les pleurs coulent dans les paroles; incessamment perdu dans des visions ineffables où il prenait conseil de Dieu, et où sa nature d'homme se retrempait à toute heure dans l'essence des anges, il eût mérité de figurer dans

les premiers temps de l'Eglise, et de marcher avec saint Paul à la conquête religieuse du monde. C'était en tout l'homme qu'il fallait à Innocent III. Ille manda auprès de lui à Rome, et quand ils furent tous deux en présence, ils s'entendirent merveilleusement, et le programme de l'inquisition fut dressé.

Ce serait une scène magnifique et digne d'être tracée par un grand poète que nous savons, si de cette audacieuse main dont il a touché Cromwell et Richelieu, il osait encore se prendre à ces deux formidables figures, Innocent III et saint Dominique. Si du sein de cette anarchie dévorante où les idées tourbillonnaient alors, il leur faisait résoudre l'inquisition, comme le moyen le plus sûr de fixer et de rectifier l'esprit humain dans ces déviations, quelle poésie sublime éclaterait dans cette tête! comme ce front serait illuminé d'inspirations étincelantes!

Voyez à quel moment de l'histoire nous sommes. Voyez ici les Albigeois au plus effervescent degré de leur crise religieuse; avec eux le comte de Toulouse, Raymond VI, prince damné, fils de Satan ; là, Simon de Montfort, avec ses tumultueux chevaliers et ses féroces évêques; puis, entre les deux armées, Innocent III et saint Dominique.... Et maintenant vienne le poète; son génie eut-il jamais une plus belle proie?

Eug. BAICHERE.

HOMMES POLITIQUES DU MIDI DE LA FRANCE.

BARBAS.

On a dit souvent, à tort ou à raison, que le caractère méridional se plie, avec une grande facilité, aux intrigues, aux ruses et aux coups de main de la politique active. Quoi qu'il en soit des diverses hypothèses émises par les auteurs qui ont écrit sur les mœurs et les penchans des populations de la France, on ne peut nier que le Midi n'ait fourni, dans les temps modernes, un grand nombre d'hommes, qui ont occupé les premiers rangs dans la hiérarchie politique. De ce nombre est le vicomte de Barras, qui joua un rôle si ambigu à la Convention et dans les séances du Directoire.

Il naquit en province, dans la petite ville de Fohemboux, le 20 juin 1755. Sa famille était regardée comme une des plus anciennes et des plus nobles du pays. Quand on voulait parler d'un gentilhomme de haute naissance, on lui appliquait ce proverbe populaire sur les rives du Rhône et de la Durance :

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Le Comte de Barras, qui destinait son fils à la carrière militaire, lui fit donner une éducation analogue à l'état qu'il devait embrasser. En sortant du collége, il entra, grâce à la protection paternelle, comme souslieutenant dans le régiment de Languedoc ; il était à la veille d'obtenir un grade supérieur, lorsque le désir de courir les aventures l'entraîna loin de sa patrie. Il avait un oncle gouverneur de l'Ile-de-France; il se rendit auprès de lui, et entra, quelques mois après son arrivée, dans le régiment de Pondichéri (1775). Les guerres désastreuses de l'Inde commençaient alors. Le jeune Barras se fit remarquer par sa bravoure, et le nom de l'officier provençal devint bientôt célèbre dans tous les comptoirs français. Il reçut ordre de ses chefs de se rendre à la côte de Coromandel. Le petit bâtiment, commandé par un officier inexpérimenté, fut assailli par une violente tempête; il était sur le point de sombrer; Barras s'empara de la manœuvre, la dirigea avec courage et sang-froid, et aborda avec l'équipage et les passagers à une île habitée par les sauvages. Heureu

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sement ils furent bien accueillis par les naturels du pays, qui leur donnèrent bonne et franche hospitalité, et leur fournirent tous les secours nécessaires pour revenir à Pondichéri, Barras, qu'on avait cru mort, fut reçu avec des transports de joie par ses camarades, qui ne purent s'empêcher d'admirer son intrépidité, lorsqu'il leur eut raconté les circonstances de son pénible et périlleux voyage.

Cependant les officiers Français avaient beaucoup de peine à soutenir, dans l'Inde, l'honneur du drapeau national, contre les forces bien supérieures, envoyées par l'Angleterre. Après une lutte aussi longue qu'opiniâtre, le gouverneur de Pondichéry rendit la place: Barras et quelques-uns de ses camarades, voyant qu'il n'y avait plus rien à faire dans l'Inde, s'embarquèrent sur l'escadre commandée par le bailli de Suffren, et firent voile vers l'Ile-de-France. Son oncle n'était plus gouverneur; il revint en Provence, et, à son premier voyage à Paris, il fut promu au grade de capitaine. Il séjourna long-temps dans la capitale maître d'une fortune considérable, il se livra à tous les plaisirs avec l'immodération de son âge; le nom de sa famille, sa réputation d'excellent officier lui valurent, dit-on, de

nombreuses et brillantes conquêtes parmi les dames de la cour (1).

Pendant que l'élite de la noblesse passait follement la vie dans les fêtes et les réjouissances, la tempête politique, amenée par les prédications des philoso phes, grondait déjà de toutes parts; une révolution était imminente; le royaume, plongé dans la misère et l'anarchie, demandait un changement quelconque. Louis XVI, pour subvenir à des besoins si pressans, convoqua les états-généraux. Le vicomte de Barras comprit alors qu'il avait un rôle plus important à jouer; il se rendit en Provence, et, à l'exemple de Mirabeau, son compatriote, il se fit nommer député du tiers-élat: il eut la fermeté de résister aux sollicitations de son père, qui siégeait dans l'assemblée de la noblesse. Lo premier pas fait dans cette nouvelle carrière, il ne pouvait plus reculer; aussi se montra-t-il partisan dévoué des idées révolutionnaires, et se fit-il remarquer dans les journées des 14 et 15 juillet 1789, et du 10

(1) En 1816, on a publié à Bruxelles et à Paris deux volumes de mémoires, intitulés: Amours et Aventures du vicomte de Barras.

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