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SCENE VII.

Madame DUROCHER, madame BERTRAND.

EN

Madame DURO CHE R.

N vérité, ma niece, votre petite a raifon de fe plaindre de la frifure que vous lui faites fouffrir. Quoiqu'elle n'ait que fix ans, je n'ai pas voulu dire cela devant elle, car il ne faut jamais blâmer une mere en présence de fon enfant.

Madame BERTRAN D.

Mais, ma tante, c'eft qu'elle eft fi gentille comme cela!

Madame DUROCHER.

Point du tout; fes cheveux fans frifure font beaucoup plus jolis à voir que ce retapé ferré, & ce placage de pommade & de poudre, qui la fait paroître noire comme une taupe. D'ail leurs, ce qui eft beaucoup plus important, en lui faifant prendre de fi bonne heure l'habitude d'être fi long-tems à fe coeffer, vous l'accoutumerez à perdre fon tems, & vous en ferez une coquette, une dépenfiere & une fainéante.

Madame BERTRAN D.

Le ciel m'en préferve! J'efpere, ma chere tante, que vos bons confeils me garantiront d'un pareil malheur.

Madame DURO CHE R.

Ma niece, puifque mes avis ne vous déplaifent pas, j'ai encore quelques petites chofes à vous dire touchant votre enfant. Vous lui faites des contes bleus qui ne riment à rien. A quoi bon lui perfuader qu'un petit doigt parle, & vous dit tout ce qu'elle fait ? Cela ne fert qu'à la rendre niaife & enfant plus long-tems, & à diminuer fa confiance en vous, quand elle faura que vous inventiez toutes ces balivernes là. Elle fe fouviendra que vous lui faifiez des menfonges fans néceffité, & elle ne vous croira plus quand vous lui direz la vérité. Il ne faut jamais tromper les enfans, & l'on doit toujours leur parler raison, fuivant leur portée. D'ail leurs, ne vaut-il pas mieux lui dire tout bonnement que vous favez ce qu'elle fait, parce que vous la veillez, vous l'obfervez; & que vous la devinez, parce que vous avez de la raifon & plus d'efprit qu'elle?... L'enfant, de cette maniere, vous confidérera davantage, & s'ac

coutumera à porter respect à l'âge & à l'expérience: ce qui eft une bonne chofe, & qui préferve les jeunes gens de bien des folies. Enfin, dès que nous caufons ici à cœur ouvert, il y a encore une minutie dont il faut que je vous reprenne; votre petite fille vous tutoie, & je vous avoue que cela me choque beaucoup...

Madame BERTRAN D.

Ah, ma tante! c'est un vrai plaifir pour moi, j'en conviens; je veux accoutumer mon enfant à m'aimer....

Madame DU ROCHER.

Vous avez raifon, mais vous vous y prenez mal. Une fille ne doit pas traiter fa mere comme une camarade; c'eft contre l'ordre. En vous ravalant, vous perdrez de votre prix, par conféquent vous ferez moins faite pour être aimée & l'on vous aimera moins, cela eft für: croyez que fi l'on ôtoit du coeur d'une bonne fille le refpect qu'elle a pour fa mere, on en ôteroit la moitié de fon amitié. Je ne vous dis pas qu'il faille ètre févere, & garder fon quant-à-foi avec fes enfans; tant s'en faut, nous devons gagner leur confiance, & ne leur montrer que de la condefcendance & de la cordialité. N'infpirons

pas de crainte, mais fachons mériter le respect: la familiarité engendre le mépris ; c'est bien vrai, elle n'a jamais fervi qu'à cela, fur-tout de la part des peres & meres.

Madame BERTRAN D.

Je comprends cela, ma tante, & j'en ferai mon' profit, je vous affure. Je voudrois bien que ma fille fût un jour auffi bien élevée que Silvie ; je n'épargnerai rien pour lui donner de réducation.

Madame

DUROCHER.

C'est le plus grand préfent que nous pui fions laiffer à nos enfans. Que comptez-vous faire apprendre à Gogo?

Madame BERTRAN D.

J'aurois quelqu'envie de lui donner un maître de mufique pour le chant,

Madame

DUROCHER.

Je ne vous le confeille pas. Le chant & la danfe font deux talens fort inutiles par euxmêmes, & très-dangereux dans notre état.

Madame BERTRAN D.

J'entends bien ce que vous voulez dire, ma tante; mais nous fommes d'une affez bonne famille, & affez à notre aife pour ne devoir pas

craindre de pareils inconvéniens.

Madame DURO CHE R. Avec tout cela, nous ne fommes que des bourgeois & des marchands, & malheureufement on a vu plus d'une fois entrer à l'opéra des filles de parens qui nous valoient (*). Je fais bien que, Dieu merci, il est très - rare de trouver. des jeunes perfonnes affez folles & affez dénaturées pour s'échapper de la maison

(*) On ne veut faire dans cet ouvrage la critique d'aucun état, & l'on croit que dans tous on peut trouver des vertus. On ne parle ici que des jeunes filles féduites, qui entrent au fpectacle contre le gré de leurs parens. Celles-là certainement méritent d'éprouver tout le poids du mépris & de l'exécration publique; on doit même penser avec plaifir que l'excès de leur infamie, leurs remords & la perte de leur jeunesse ne peuvent manquer tôt ou tard de venger leurs parens infortunés. Elles ont renoncé à toutes les vertus de leur fexe, trahi tous les devoirs facrés de la nature; elles feront à jamais les objets de l'indignation & de l'horreur des ames fenfibles. Pourfuivies par la juftice divine & par la malédiction paternelle, elles éprouveront l'inévitable châtiment des enfans pervers & dénaturés, & recueilleront les fruits affreux du

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vice, l'opprobre, le repentir & le désespoir.

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