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CLEANT E.

Quoi? foupçonneriez-vous Verceil d'éprouver pour Delphine un fentiment trop tendre? OPHÉM O N.

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Vous-même, qu'en pensez-vous?

CLEAN T E.

Mais, depuis quelque tems, depuis trois mois fur-tout, il eft bien trifte & bien rêveur !... & Delphine eft fi intéreffante, elle a tant de vertus, de graces, de talens!.... Cependant votre fils pourroit-il fe réfoudre à devenir le rival du marquis de Limours, de fon ami intime?....

OPHÉM O N.

Cette paffion, indigne de celle qui l'infpiroit, ne fut qu'un égarement coupable.... CLEANT E.

Il est vrai ; le marquis, fenfible & généreux, mais impérieux & violent, ofa d'abord concevoir d'injurieufes efpérances: il outragea le vertueux objet qu'il adoroit; il s'attira fon mépris & fa haine, & l'accès de cette maison lui fut interdit. Enfuite il crut long-tems que le dépit, les préjugés & l'orgueil pourroient triompher de l'amour; cependant vous favez que,

dégoûté de la diffipation & des plaisirs, plongé dans la plus profonde mélancolie, il fuit le monde, & ne fe plaît qu'avec Verceil: cette conduite femble prouver qu'il aime encore Delphine. La réflexion & le tems guériffent d'une fantaisie, mais rendent plus profonde encore la vive impreffion d'une paffion véritable; & Verceil, le confident du marquis, Verceil, fon unique ami depuis cinq ans, Verceil enfin, fi généreux, fi noble, fi délicat, le trahiroit en fecret, & feroit fon rival?.... Non, je ne puis le croire....

OPHÉM O N.

Il m'eft doux, mon cher Cléante, de vous voir une telle opinion de mon fils, & je me flatte qu'en effet il la justifie. Malgré la distance extrême qui féparoit Verceil (le fils d'un marchand retiré & le marquis de Limours, la conformité d'efprit & d'éducation a fu former entr'eux une amitié d'autant plus folide, qu'elle ne fut l'effet ni du hafard, ni des frivoles convenances de la fociété, mais de l'eftime & de la sympathie. Mon fils a pour le marquis l'attachement le plus fincere & le plus tendre, il n'y a point de facrifices qu'il ne lui fit fans hési

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ter; mais enfin, Delphine ne peut jamais être unie au marquis. Mon fils, pour la gloire même de fon ami, doit l'exhorter à triompher d'une paffion que la raifon condamne, & que tôt ou tard elle éteindra. Avec cette opinion, Verceil ne feroit-il pas excufable, fi, malgré lui fans doute, il aimoit Delphine en fecret? Ce fentiment n'eft qu'une foibleffe dans le marquis; mais mon fils peut s'y livrer fans bleffer ni les bienféances, ni les préjugés. . .

CLEANT E.

Vous m'étonnez, je l'avoue. Delphine, il eft vrai, doit le jour à d'honnêtes parens; elle étoit même née pour jouir d'un fort plus heureux; elle a reçu l'éducation la plus diftinguée; cependant de funeftes revers l'ont plongée dans la mifere, elle n'a rien fon talent pour la peinture eft devenu fon unique reffource; & votre fils aura cent mille livres de rente!...

OPHÉM O N.

En pourra-t-il mieux jouir qu'en les offrant à la vertueufe indigence, à la beauté ornée encore par tout le charme des talens?... C'est au hafard que je dois la grande partie d'une fortúne dont la moitié auroit été plus que fuffi

fante pour fatisfaire tous mes defirs. Il y a vingt ans que j'ai renoncé au négoce, aux entreprises; j'ai fu m'arrêter & borner mon ambition, de tous les mérites, le plus rare peutêtre dans les gens de mon état favorisés de la fortune. Si les richeffes euffent ouvert mon ame aux defirs infatiables, elles m'auroient enlevé ce bonheur fi pur dont je jouis, la paix intérieure, doux & précieux fruit de la modération, inestimable bien qui nous préferve à ja-" mais des égaremens honteux de la cupidité, & de l'humiliante ivreffe que peut caufer un fort brillant & profpere. J'ai cent mille livres de rentes que me refte-t-il donc à fouhaiter pour Verceil? Une alliance? Un riche bourgeois, en époufant une fille de qualité, hafarde fon bonheur, & n'ajoute rien à sa confidération perfonnelle... Ainfi la femme qu'au fond du cœur je defirerois à mon fils, feroit une jeune perfonne d'une naiffance affortie à la fienne, diftinguée par fes vertus, fes graces, fes talens, & qu'une fituation malheureuse rendroit plus intéreffante encore... Quelle félicité, de pouvoir à la fois tirer de l'obfcurité le mérite inconnu, fouftraire l'innocence aux

entreprises du vice, & récompenfer les vertus en uniffant fa destinée à celle d'une compagne aimable, dont la jufte reconnoiffance feroit le fûr garant d'une tendreffe vive & durable !... CLEANT E.

De tels fentimens vous rendent bien digne de cette confidération & de cette eftime univerfelle qui vous font accordées! ...... .............. Ah! Delphine en effet est la femme que vous cherchez; & fans doute elle vous intérefferoit encore mille fois davantage, fi vous la connoiffiez comme moi....

OPHÉM O N.

fa

Depuis un an je l'étudie avec foin, & je fuis également charmé de fon caractere & de fon efprit; la noblesse, la sensibilité qui la diftinguent, fon tendre respect pour fa mere, douceur, fon égalité, toutes fes vertus enfin me font connues; une feule chofe m'arrête dans mes projets....

CLEANT E.

Quoi? la paffion du marquis?....

O PHÉM O N.

Non, car je fuis fûr qu'il y renoncera: mais je voudrois, avant de me déclarer, avoir la

certitude

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