LE PRIEUR. Oui, ce font les noms des Rofieres. MONIQUE. M. le prieur, vous qui connoiffez tout ça comme vot pater, montrez à madame la rose de Marie-Jeanne Bocard: c'eft la pus ancienne, à ce que je crois. Oui, je la tiens. Voyons la date.... (Il lit.) 1520. Madame DU MOND, tenant cette rofe Mil cinq cent vingt!... MONIQUE. Vlà une riche piece, pas vrai?... MIMI, regardant la rofe. Quoi! c'étoit là une rofe? Comme ça change!... MONIQUE. Hélene, montre un peu celle de Catherine Javelle, qu'eft là en - bas...... Catherine Javelle étoit la fœur de ma mere, & a mourut toute jeune; fon hiftoire eft drôle... LE PRIEUR. Contez-nous-la, mere Monique. MONIQUE. Faut donc qu'ous fachiez qu'a lavoit fon linge au grand étang; a n'avoit avec elle qu'un petiot garçon de fept ans d'âge, pour porter le linge; vlà que tout d'un coup Jeannot... (y s'appelloit Jeannot, c'étoit le fils de la pauvre Michelle.) LE PRIEUR. Et il vit encore, ce Jeannot? c'eft le bonhomme Rouffel?... MONIQUE. Tout jufte.... Mais, monfieur le prieur, vous favez l'hiftoire!... LE PRIEUR. N'importe, allez toujours. . . . Madame DUMON D. Oh, je vous en prie, madame Monique. MONIQUE. Eh ben donc!... j'ai perdu le fil.... HELEN E. Ma mere, vous en étiez à Vlà que tout d'un & au bord de l'étang. coup, MONIQUE. Ah.... Vlà que tout d'un coup Jeannot tombe dans l'étang la tête la premiere; floque, le vlà dans l'eau.... Ma fine là-deffus ma tante Catherine Javelle n'en fait pas à deux, a s'y jette auffi à corps perdu, puis a repèche Jeannot comme un goujon, & revient avec lui fur le bord. Madame DUMON D. Il eft bon de favoir que cet étang eft trèsprofond. MONIQUE. Oh, c'est une abyme!.. Enfin les vlà donc fur le gazon; mais Jeannot avoit tant bu d'eau, tant bu d'eau, qu'il étoit comme pamé... Ma tante fe prit à dire : qu'est-ce que je vas faire de cet enfant, & puis de mon linge?... Y fe fefoit tard, y falloit revenir à la maison, y falloit faire une demi-lieue, a n'avoi d'aide, al étoit toute tremblante, tou int oul 1 verfée; malgré ça, a prend Jeannot à califourchon fur fes épaules, al abandonne tout fon linge, & al revient comme ça au village. Madame DU MOND. Et j'efpere qu'elle fut Rofiere dans l'année ? Oh, mon dieu, oui. Il n'y a qu'heur & malheur, comme on dit: c'eft ben heureux pour une jeune fille de trouver des occafions comme ça. Dame, ça n'arrive pas tous les jours. Madame DUM ON D. Ah! monfieur le prieur, le plus curieux de Salency, ce n'eft pas le fpectacle de la fête ; c'eft de voir, c'eft d'entendre tout cela. LE PRIEUR. Je vous l'avois bien dit.... (Il regarde à fe montre.) Mais il est midi, il faut nous en aller. Madame DUM ON D. Je ne peux pas ôter les yeux de deffus cette armoire. En effet, ces titres refpectables, ces preuves de vertu valent bien ces vieux morceaux de parchemin, dont certaines gens tirent tant de vanité. 1 Madame DU MON D. Ma foi, je verrois tous les parchemins du monde d'un oeil feg; & quoi que j'en aie, en regardant ces rofes defféchées, je fens les larmes me rouler dans les yeux.... Ah, combien je fuis fachée que Mimi n'ait pas cinq ou fix ans de plus!.... Elle auroit fenti cela. MIMI. Maman, faudra me ramener quand je ferai plus grande. Elle a raison, c'est un bon air à respirer pour une jeune fille que celui de Salency.... Adieu › mere Monique.... MONIQUE. Mon dieu, monfieur le prieur, Genevieve fera bien fachée.... Monfieur le prieur, la déclaration fera toujours à cinq heures?.... LE PRIEUR. Oui, mere Monique. ( Il lui prend la main.) Ma bonne, tranquillifez-vous, je vous en prie. |