le Comte, offenfé de plus d'une façon, je rifquerois la perte d'un Empire qu'elle ne me retiendroit pas: en finiffant ces mots, il mit l'épée à la main, le Marquis fut obligé d'en faire autant; ils fe porterent plufieurs coups infructueux, avec toute l'animofité de deux rivaux qui comptent acquerir leur Maîtreffe par la mort de fon ennemi. Le Comte reçutun coup d'épée dans le bras, ce qui redoubla fa fureur à un tel point, qu'il en donna deux au travers du corps de fon ennemi ; lorfque le Comte le vit tomber, il crut l'avoir mis hors d'état de lui nuire davantage, il eut la générofité d'aller dire à fes gens, que leur Maître les attendoit en tel endroit pour lui il avoit pris toutes fes précautions, des chevaux de pofte devoient fe trou ver à la porte faint Denis ; & fon Ecuyer, qui étoit fage & prudent,

auquel il avoit appris la querelle du jeu, fans parler de celle où l'amour avoit part, devoit avoir foin de conduire fon équipage jusqu'à la Ville la plus prochai ne, qui ne feroit pas fous la domination du Roi, où les premiers arrivez attendroient les autres; il ne garda avec lui qu'un Valet de chambre, en qui il avoit une entiere confiance, qui ne devoit point le quitter. Après avoir couru quatre ou cinq poftes, il s'arrêta, & dit à cet homme le deffein qu'il avoit de retourner à Paris en habit déguisé. Le Valet de chambre fut extrêmement furpris d'une pareille résolution; il avoit de l'efprit & fçavoit le danger où fon Maître vouloit s'expofer; il lui dit tout ce qu'il croyoit capable de le détourner d'un projet auffi périlleux;mais il ne put en venir à bout, le cœur l'emporta fur la prudence, le

Comte lui ordonna d'acheter deux habits de Payfans dont ils fe revêtirent, & moitié fur des chevaux convenables à leur habillement, moitié à pied, ils regagnèrent Paris.

Revenons au Marquis. Ses gens ne manquerent pas d'aller où le Comte leur avoit enseigné, & dit qu'il les attendoit; ils le trouverent étendu fur la terre avec beaucoup de fang autour de lui: il est aisé de juger de leur étonnement, en voyant leur Maître dans ce trifte état, & dont la foibleffe étoit fi grande, qu'il avoit peine à prononcer une parole; pendant que les uns le foûtenoient, un autre courut chez le Chirurgien le plus près, qui arrêta le fang le mieux qu'il lui fut poffible, enfuite il le fit remettre dans fon caroffe, s'y plaça auprès de lui, & le conduifit à l'Hôtel de Tours, où il

logeoit fon arrivée caufa un défordre extrême dans toute la maison ; chacun s'empreffa de demander par quel accident le Marquis étoit dans une fi pitoyable fituation, & qui eft-ce qui pouvoit l'y avoir réduit ? Les perfonnes de fa fuite firent un recit naturel de ce qui s'étoit paffé avec le Comte, de la maniere qu'il l'avoit attendu au fortir de chez Monfieur le Maré. chal de Duras, & tout ce qui avoit fuivi cette rencontre : ils ajoûterent, que quoiqu'ils n'euf fent pas été témoins du combat, ils ne pouvoient douter que ce ne fût lui qui eût fi maltraité leur Maître, puifqu'il les avoit averti lui-même de l'endroit où ils le trouveroient; qu'appa. remment lorsqu'il auroit repris un peu de force, il les éclairciroit mieux de cette affaire : pendant ce tems-là on le mettoit au

lit; enfuite on vifita fes bleffures, que l'on reconnut être confiderables. Madame de Clairville qui ne comptoit plus fur la tendreffe du Comte, déclamoit contre lui avec beaucoup d'em portement, & ne demandoit pas moins que de voir la tête fur un échaffaut tout le monde croyoit que le jeu étoit l'unique origine de ce malheur, il n'y avoit que Mefdemoiselles de la Charce qui étoient au fait de la haine du Comte pour le Marquis. Pendant que chacun faifoit des raifonnemens fur ce fujet, Mademoifelle de la Charce emmena fa foeur dans fa chambre, où elle donna un libre cours à fa dous leur: ah ma chere fœur, lui dit-elle en l'embrassant, y a-t'il d'infortune pareille à la mienne? fi le Comte refte à Paris, il court des risques qui me font mourir de frayeur; fi il s'en va, comme