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qu'elle fut à Soyon, elle fe détermina à quitter le monde, & à en voir le moins qu'il lui feroit poffible. Il feroit difficile d'exprimer le défespoir du Marquis de Crémieux, lorfqu'il apprit la résolution de Mademoiselle de la Charce; il avoit pour elle une véritable paffion; il courut chez Monfieur de la Charce, lui demander le retour de fa fille; & lui dit qu'il renonceroit plûtôt pour jamais au bonheur dont il s'étoit flatté, que de la voir fouffrir à fon occafion; qu'il l'aimoit fi parfaitement, qu'il oublieroit entièrement fes interêts, pour lui rendre fa tranquilité, enfin il ajoûta tout ce qu'un honnête homme, très amoureux, pouvoit dire, en faveur de la perfonne qu'il aimoit ; mais plus fon procedé paroiffoit raisonnable à Monfieur de la Charce plus il l'animoit contre fa fille

dont le Marquis prenoit le parti autant qu'il le pouvoir. Elle eft indigne, interrompit Monfieur de la Charce, des fentimens que vous avez pour elle, mais elle aura le tems de fe repentir de fes mauvaises manieres. Plus le Marquis l'excufoit, plus le pere étoit irrité: ainfi il prit le parti de fe taire, craignant de faire plus de mal que de bien à cette aimable fille. Le Marquis lui fit demander la permiffion de l'aller voir à Soyon. Elle répondit qu'après ce qui s'étoit paffé, elle ne croyoit pas que la chose fût à propos, qu'elle étoit bien fâchée que fon cœur ne pût lui rendre toute la juftice qu'il méritoit, qu'il devoit connoître par luimême, qu'il ne dépendoit pas de nous d'en régler les mouvemens, qu'elle conferveroit toujours une estime infinie pour lui; mais qu'elle le prioit de la laisser

jouir du repos de fa retraite, & de ne plus penfer à elle. Quoique cette réponse dût achever de rebuter le Marquis, il fit encore plufieurs tentatives, qui lui atti-. rerent des refus fi fiers, de la part de Mademoiselle de la Charce, qu'il réfolut de porter fon désespoir fi loin, qu'il ne pût rien trouver qui lui rappellât l'idée de cette cruelle perfonne. La Province lui en renouvelloit fans ceffe le fouvenir; le Royaume même lui parut trop peu étendu pour l'effacer de la mémoire Il prit donc le parti de former à la hâte un équipage, & de mettre fes Terres entre les mains de gens qui puffent en avoir foin, enfuite il alla s'embarquer à Toulon, pour Venise. Quand il fut dans cette belle Ville, il fe fit préfenter à Morofiny, Généraliffime des Armées de la Republique, & au

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Général Konifmare. On lui donna de l'emploi dans les Troupes, qui étoient deftinées à combattre les Turcs; il s'acquit beaucoup de réputation & beaucoup d'amis; mais fon amour le perfecutoit toûjours. Au milieu des Mers, au milieu des Combats, l'image de l'ingrate Mademoifelle de la Charce le fuivoit continuellement; bien loin de trouver fa guérifon dans l'éloignement, fon mal en devenoit plus vif. Il écrivit à un de fes amis, qui étoit confident de fa paffion, qu'il le prioit de faire enforte de lui envoyer le Portrait de Mademoiselle de la Charce, efperant que cette vûë pourroit adoucir fes peines. L'ami fe trouva très-embaraffé d'une pareille commiffion. Mademoiselle de la Charce vivoit dans une grande retraite, & voyoit très-peu de monde; lorfqu'elle alloit à l'E

glife, elle fe mettoit aux places les plus obfcures & les moins en vûe; ainfi il n'étoit pas aifé de la peindre malgré elle: Enfin après avoir bien rêvé par quel moyen il pourroit fatisfaire le Marquis, il alla trouver un Peintre de Grenoble qui étoit affez fameux, & lui demanda combien il voudroit de tems pour apprendre à peindre au naturel à une fille. Le Peintre répondit qu'il chargeroit fa fille de ce foin, qu'elle étoit auffi habile que lui, & qu'elle inftruiroit celle qui vouloit être fon Ecoliere, plus promptement, parce qu'elle y donneroit plus de tems, étant obligé d'aller fouvent de côtez & d'autres dehors. Le Commissionnaire trouva cette propofition plus agréable, que celui à qui il la fit ne s'imaginoit Il lui dit que s'il vouloit lui accorder ce qu'il alloit lui demander, il le paye

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