plus il s'en éloignoit, fe figurant qu'il auroit pû entretenir quelquefois Mademoiselle de la Charce, fi la veuve n'avoit été un obftacle continuel à fes defirs: il ne lui reftoit donc que le plaifir d'avoir placé fon cœur en affez bon lieu, pour n'avoir jamais fujer de s'en repentir.

Mademoiselle de la Charce ne reconnoiffoit plus le fien, elle fe demandoit compte de fes fentimens à elle même. Je ne fçai ce que je fuis devenue, difoit-elle, je ne pense plus de la façon que je failois, je fuis inquiéte, je fuis réveufe, il me femble que je m'intereffe plus au Comte de Caprara, que je n'ai fait jusqu'ici à aual cun homme: cependant c'eft d'une maniere bien extraordinaire, je souhaite fa présence, lorfque je ne le vois point; quand il pa e roît, je me trouve interdite, & embarraffée : on m'a flaté jufqu'à

prefent, que j'avois de l'efprit, je voudrois qu'il le crût préferablement à tout autre, & c'eft avec lui qu'il ne m'en refte point. Un jour qu'elle étoit enfevelie dans fes reflexions, Mademoifelle d'Aleyrac l'interrompit en lui difant, Qu'avez-vous,ma che re Soeur ? depuis quelques jours je vous trouve fi trifte, que je crains que vous ne foiez incommodée. Non, ma Sour, répondit Mademoifelle de la Charce, ma fanté eft auffi bonne qu'elle a toûjours été. Qui peut donc, repartit Mademoiselled'Aleyrac,caufer cette humeur fombre où je vous vois, dans un lieu où l'on a toûjours des amusemens nouveaux, en attendant les magnifiques Spectacles dont nous efperons d'être témoins, où la politeffe & les agréables converfations fe rencontrent fi aifément? Nous avons même l'avantage de nous être

attiré l'aprobation de mille gens de bon goût, il me femble que vous n'avez à craindre que notre retour en Province: mais comme il est encore éloigné, profitons de l'heureux tems dont nous jouiffons, fans nous tourmenter pour l'avenir. Ah ma foeur, s'écria Mademoiselle de la Charce, je voudrois n'avoir jamais quitté les plus fauvages montagnes de Dauphiné! Vous me furprenez plus que je ne peux vous l'exprimer,reprit Mademoiselle d'Aleyrac; nous avons toûjours eu les mêmes inclinations, mais je vous avouë qu'en ce moment je penfe bien differemment, je fuis char mée d'être ici, je trouve feule. ment les journées trop courtes: fi la vie de ce paiïs vous déplaît, qui pourra donc vous plaire? avez-vous envie de devenir reclufe? voulez-vous vous retirer dans

quelque grotte,

formée par la

nature dans un rocher? Je fuis fi étonnée,continua-t-elle, de ce que je viens de vous entendre dire, que par honneur pour votre bon fens, il faut s'il vous plaît, vous expliquer, & me prouver que votre raifon fubfifte encore. Vous n'avez point de tort, répondit Mademoiselle de la Charce; à votre place je jugerois d'un autre, comme je connois que vous jugez de moi; & je ne fçai s'il ne me feroit pas plus avantageux de vous laiffer l'opinion que vous avez du dérangement de ma tête, que de vous apprendre.... Mademoiselle de la Charce s'arrêta en cet endroit, mais il étoit trop effentiel pour ne pas exciter la curiofité de Mademoiselle d'Aleyrac. Quoi ma fœur, lui dit-elle, vous avez quelques peines, & vous me les cachez; cette défiance m'offense extrémement: ai-je manqué en quelque chofe qui

pût vous faire croire que vos interêts ne me font pas auffi chers que les miens propres ? à qui pouvez-vous confier vos pensées, qui en faffe un meilleur ufage? Ah ma chere foeur! poursuivit elle en l'embraffant, outre la qualité de fœur, regardez - moi comme votre meilleure amie; quand on a l'efprit bien occupé, c'est un grand foulagement de pouvoir en parler avec fûreté; les chagrins diminuent en les communiquant à gens qui prennent part à ce qui nous regarde. Si j'ai obfervé le filence jufqu'à present, répondit Mademoiselle de la Charce, j'ai été retenue par la crainte de perdre votre eftime, en vous avouant mes foibleffes; le Marquis de Cremieux eft bien vengé, j'ai méprifé fon attachement, & j'ai le malheur d'avoir laiffe furprendre mon cœur, fans fçavoir fije trouverai du retour, & quand