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NOTICE

SUR

MADAME DE STAAL,

ET SUR SES OUVRAGES.

MADAME de Launay, baronne de Staal, ne peut, sous aucun rapport, être classée parmi les personnages historiques. Elle ne fut point étrangère aux intrigues de la duchesse du Maine contre le Régent, mais elle n'y figura que comme confidente de cette princesse; et les écrits du temps font à peine mention du dévouement qu'elle montra dans les circonstances les plus difficiles. L'histoire de sa vie n'est connue que par ses Mémoires; et comme ils font partie de notre Collection, nous nous bornerons, dans cette Notice, à présenter quelques observations sur sa position, sur son caractère, et sur ses ouvrages.

Il lui arriva, ainsi qu'elle le dit elle-même, précisément le contraire de ce que l'on voit dans les romans, où l'héroïne, élevée comme une simple bergère, se trouve être une illustre princesse. Mademoiselle de Launay, après avoir été traitée en personnage de distinction dans son enfance, découvrit par la suite qu'elle n'étoit rien, et qu'elle ne possédoit rien dans le monde. Bien qu'elle fût née sans fortune, elle avoit été, jusqu'à l'âge de dix-sept ans, entourée de

personnes qui l'aimoient avec une sorte d'idolâtrie, qui mettoient tous leurs soins à prévenir ses désirs, à aller au devant de ses fantaisies. La mort de sa protectrice l'ayant laissée dans le dénûment le plus absolu, elle refusa courageusement les secours d'argent qui lui furent offerts, et résolut de se soutenir par son travail, en tirant parti de la brillante éducation qu'elle avoit reçue. Non-seulement elle avoit appris tout ce qu'on enseignoit alors aux jeunes personnes les mieux élevées, mais elle avoit lu de bons livres, et avoit profité de ses lectures : elle avoit même étudié la philosophie de Descartes, et la géométrie, et s'étoit exercée de bonne heure à écrire sur différens sujets. La variété de ses connoissances, les grâces et la vivacité de son esprit, ses premiers essais en prose et en vers, lui avoient déjà fait une certaine réputation parmi les personnes qui l'avoient connue chez sa bienfaitrice.

Son ambition auroit été d'être chargée d'une éducation dans une grande famille; mais, après un an d'attente et de démarches, elle fut obligée d'accepter une place de simple femme de chambre chez madame la duchesse du Maine, et logée à l'entresol, dans un réduit où il n'y avoit ni cheminée ni fenêtre. Condamnée à un service si nouveau pour elle, si opposé à son éducation et à ses habitudes, et auquel elle étoit d'autant moins propre qu'elle avoit la vue basse, et qu'elle étoit très-maladroite; confondue avec les autres domestiques, qui, loin de soupçonner son mérite, n'étoient frappés que de sa gaucherie, et se croyoient fort au-dessus d'elle; sans cesse exposée à des humiliations que lui rendoient plus sensibles en

core les souvenirs de son enfance, il lui étoit impossible de se faire à sa nouvelle condition.

On a remarqué, avec raison, que les personnes qui ont de l'élévation dans l'ame et des talens supérieurs sont beaucoup plus malheureuses que les autres, lorsqu'elles sont jetées sans fortune dans le monde; qu'il leur est plus difficile de se plier au joug; et que si elles parviennent à faire connoître et apprécier leur mérite, elles ont payé bien cher la considération qu'on finit par leur accorder.

Mademoiselle de Launay, abreuvée de dégoûts, s'abandonnoit au désespoir, lorsqu'une circonstance imprévue attira sur elle l'attention. Une lettre qu'elle avoit été chargée d'écrire à Fontenelle, et à laquelle elle n'avoit attaché aucune importance, courut dans le public, et eut un succès prodigieux : il n'en fallut pas davantage pour la mettre à la mode : les hommes de lettres admis à la cour de la duchesse du Maine recherchèrent sa société. La princesse, qui faisoit cas des gens d'esprit parce qu'elle en avoit beaucoup ellemême, prit plaisir à sa conversation, la dispensa du service de femme de chambre, l'employa comme lectrice, et la fit travailler pour les fêtes qu'elle donnoit à Sceaux. Mademoiselle de Launay composa des divertissemens qui n'ont point été conservés, mais dont elle indique les canevas dans ses Mémoires, et y prit des rôles. Elle ne pouvoit vaincre sa timidité, jouoit fort mal, chantoit faux; ce qui ne l'empêchoit pas d'être fort applaudie. Mais, quoiqu'elle fût en grande faveur, elle étoit toujours logée dans son obscur réduit; et les égards qu'on avoit pour elle ne la mettoient pas à l'abri de certains désagrémens qui lui fai

soient péniblement sentir qu'elle n'étoit pas sortie de l'état de domesticité.

Elle fut arrêtée en même temps que la duchesse du Maine, au mois de décembre 1718, et montra, pendant sa longue captivité, un courage à toute épreuve. Sa présence d'esprit et son dévouement furent très-utiles à la princesse. En sortant de la Bastille, elle obtint, pour première récompense, une fenêtre et une cheminée dans le logement qu'elle occupa. On la traitoit avec quelque distinction; mais l'état de sujétion dans lequel elle vivoit lui étoit devenu insupportable. On peut en juger par le passage suivant de ses Mémoires : « A la Bastille, je trouvois plus de liberté que je n'en avois perdu. Il est vrai

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qu'en prison on ne fait pas sa volonté; mais aussi « on n'y fait point celle des autres. » Elle chercha à se faire une existence indépendante : la duchesse du Maine, qui ne vouloit pas se priver d'elle, fit échouer tous ses projets. Comme il falloit qu'elle eût un rang ou un titre pour pouvoir accompagner la princesse, pour être admise à sa table, pour monter dans ses carrosses, on lui fit épouser malgré elle, en 1735, à plus de quarante ans, le baron de Staal, officier suisse, auquel on promit de l'avancement, pour le décider à ce mariage. Elle continua de résider à Sceaux : à peine lui étoit-il permis d'aller, de loin en loin, passer quelques jours dans une campagne que le baron possédoit à quelques lieues de Paris.

Madame de Staal ne put donc jamais recouvrer sa liberté, qui étoit l'unique objet de ses voeux. Ayant été, pendant sa vie entière, condamnée à la dépendance, et soumise aux volontés et aux caprices des

grands, il ne seroit pas étonnant qu'elle se fût attachée, dans ses Mémoires, à rabaisser ceux dont elle avoit si long-temps essuyé les dédains. Elle ne dissimule pas ce qu'elle a eu à souffrir; mais elle en parle sans amertume, et souvent avec gaieté. Lorsqu'elle peint la morgue ou les travers de quelques hauts personnages, elle ne cherche point à tirer vengeance des chagrins qu'ils ont pu lui causer; et, tout en retraçant leurs ridicules, elle fait valoir ce qu'il y a d'estimable dans leur caractère. Ses Mémoires ne contiennent jamais rien d'offensant, même pour les personnes dont elle a eu le plus à se plaindre. Si on les compare, sous ce rapport, à ceux de plusieurs écrivains qui, ayant été admis chez les grands, et comblés par eux de faveur, les ont ensuite outragés dans leurs ouvrages, on lui saura gré de la juste mesure dans laquelle elle s'est tenue.

Madame de Staal parle beaucoup, et même beaucoup trop, de ses amours. Est-il vrai que quelqu'un lui ayant témoigné de l'inquiétude sur cette partie de ses Mémoires, qu'elle sembloit avoir rendue difficile à traiter convenablement, elle ait répondu qu'elle ne s'y étoit peinte qu'en buste? Il n'entre pas dans notre plan d'examiner cette question délicate : nous prendrons les choses telles que madame de Staal les présente dans ses Mémoires. On y voit que, par une fatalité bizarre, elle a toujours aimé des hommes qui ne l'aimoient point, et qu'elle n'a jamais pu se décider à aimer ceux qui ont été le plus amoureux d'elle.

Parmi ses amans, on remarque l'abbé de Chaulieu, qui la connut en 1713: elle avoit dix-neuf ou vingt ans. L'abbé, qui étoit dans sa soixante-quator

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