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lui disoit, alloit jusqu'au fond du cœur, et en développoit les replis les plus cachés. La sagesse de ses conseils, sa manière de les faire goûter, ajoutoit l'utilité aux charmes de la confiance qu'on avoit en elle.

La perte irréparable d'une telle amie, jointe aux chagrins que j'éprouvois d'ailleurs, me jeta dans un accablement qui acheva ma disgrâce. Je fis un voyage à Anet, où je n'essuyai que des désagrémens. J'en rapportai l'unique satisfaction de voir en passant, à mon retour, l'agréable ermitage qui m'avoit été donné, peu écarté de la route que nous faisions; mais je ne pus m'y arrêter qu'une demi-heure. Ce simple coup d'oeil me laissa un grand désir de vivre dans cette paisible retraite. De nouveaux malheurs traversèrent mon dessein. M. le duc du Maine, qui jusqu'alors avoit joui d'une santé parfaite, fut attaqué d'un mal qui d'abord ne paroissoit rien, et qui fut bientôt déclaré incurable. Madame la duchesse du Maine, agitée des plus vives inquiétudes, me ramena toute à elle. Les soins et l'assiduité qu'exigeoit l'état du prince son mari la tinrent une année entière à Sceaux dans une cruelle attente, pendant laquelle, sans être rebutée par les horreurs d'une affreuse maladie, elle remplit auprès de lui tous les devoirs qu'il pouvoit attendre de sa part. Elle alloit perdre un prince le soutien de sa maison, qui, malgré sa chute, par son propre mérite, et par l'habitude où l'on étoit de le respecter, s'étoit conservé une grande considération dans le monde et à la cour: prince soumis, par un ascendant invincible, à toutes ses volontés, dont elle retiroit de grands avantages, sans perdre celui d'une entière liberté.

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MÉMOIRES DE MADAME DE STAAL.

Après d'inexprimables souffrances, le cancer qu'il avoit au visage lui ôta l'une après l'autre toutes les fonctions de la vie, enfin la vie même.

Sa mort fut aussi chrétienne que douloureuse. J'y vis la perte de toutes les espérances de fortune qui m'avoient séduites. Elles eurent pourtant moins de part à mes regrets que sa personne, digne de beaucoup d'estime.

M. le duc du Maine avoit l'esprit éclairé, fin et cultivé; toutes les connoissances d'usage, spécialement celles du monde au souverain degré; un caractère noble et sérieux. La religion, peut-être plus que la nature, avoit mis en lui toutes les vertus, et le rendoit fidèle à les pratiquer. Il aimoit l'ordre, respectoit la justice, et ne s'écartoit jamais des bienséances. Son goût le portoit à la retraite, à l'étude et au travail. Doué de tout ce qui rend aimable dans la société, il ne s'y prêtoit qu'avec répugnance. On l'y voyoit pourtant gai, facile, complaisant, et toujours égal. Sa conversation solide et enjouée étoit remplie d'agrémens, d'un tour aisé et léger; ses récits amusans, ses manières noblement familières et polies, son air assez ouvert. Le fond de son cœur ne se découvroit pas : la défiance en défendoit l'entrée, et peu de sentimens faisoient effort pour en sortir.

FIN DES MÉMOIRES DE MADAME DE STAAL.

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FIN DU TOME SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME.

Paris, imprimerie de A. BELIN, rue des Mathurins S.-J., no. 14.

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