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devoit pas en effet avoir d'ennemis, & n'en eut pas. Il fe flattoit même d'avoir des amis; mais on n'en a point, fi on ne fait l'être; & pour être digne & capable d'aimer, il faut avoir dans le caractere une confiftance & une énergie dont l'Abbé de Choify ne fe piquoit pas. La véritable amitié, dit un Philofophe. eft un fentiment profond & durable, qui ne peut ni être gravé dans un cœur de fable, ni fe conferver dans une ame d'argile.

La maniere de vivre de notre Académicien avoit été trop peu févere,pour qu'il pût ni defirer, ni efpérer les dignités de l'Eglife. Auffi fe confole-t-il dans fes Mémoires de l'efpece d'oubli où les Diftributeurs des graces eccléfiaftiques fembloient l'avoir laiffé. Dieu ne l'a pas permis, difoit-il, je me ferois perdu dans les grandes places; & d'ailleurs à la mort j'aurois eu un plus grand compte à rendre; je n'aurai à répondre que de moi. Peut-être le fentiment religieux que l'Abbé de Choify exprime par ces paroles, étoit-il plus commandé par les circonftances, qu'infpiré par un vrai détachement des honneurs & des biens de ce monde: mais fa réfignation

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eft au moins très-digne d'un Prêtre repentant & modefte; heureux d'avoir accepté dans cette louable difpofition quelques mortifications paffageres, en expiation des fautes qu'il s'eft fi fouvent reprochées. Ne foyons pas plus féveres à fon égard que la Bonté fuprême, qui fans doute aura reçu de lui avec indulgence cette pénible expiation lui pardonnant même les regrets involontaires que pouvoit laiffer dans fon cœur un facrifice fi douloureux.

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en

ÉLOGE

DE

M. DESTOUCHES(1). PHILIPPE NERICAULT DESTOUCHES naquit à Tours en 1680, d'une famille honnête & confidérée dans cette Ville. Quoique nous ignorions le détail de fes premieres années, nous avons lieu de croire qu'elles furent très-orageufes, mais à la vérité par la faute de fes rens bien plus que par la fienne; c'est un reproche que les parens ne fe font guere, quoiqu'ils l'aient plus d'une fois mérité. Ceux du jeune Deftouches vouloient qu'il fût homme de robe, & la Nature ne le vouloit pas. Elle lui avoit donné pour les Lettres des talens dont

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(1) Lu le 25 Août 1776..

elle prétendoit difpofer à fon gré, & dont fes parens exigeoient d'autant plus injuftement le facrifice, qu'ils ne devoient pas regarder le génie de leur fils comme un préfent qu'il eût reçu d'eux. Il aima mieux obéir à la Nature qu'à fes parens; mais ne voulant, ni braver avec fcandale l'autorité refpectable dont ils abufoient, ni s'y foumettre en efclave, il fe fauva en gémiffant de la maifon paternelle, qu'il auroit defiré de ne quitter jamais. C'eft ainfi que la tyrannie des peres a plus d'une fois produit dans les familles le même défordre que le defpotifme dans les Etats, en forçant les victimes de l'oppreffion à rompre même les liens chers & facrés qui les attachoient au pouvoir légitime. M. Deftouches, échappé à fes perfécuteurs, mais déformais fans appui & fans afyle, fentit bientôt tout le poids d'une liberté qui ne lui laiffoit aucune reffource. Preffé par le befoin de vivre, il fe jeta dans une Troupe de Comédiens de Province. Non-feulement nous n'héfitons pas rapporter ce trait bien pardonnable de fa jeuneffe; mais, ce qui pourra furprendre, nous le rapportons pour faire

honneur à fa mémoire. Les fentimens élevés qu'il fit paroître dans une fituation fi trifte, jettent fur fa faute cet intérêt qu'infpire toujours une ame noble qui lutte contre l'injuftice & le malheur. Entraîné par le fort dans une profeffion qu'il voyoit condamnée févérement par des hommes refpectés, & perfuadé que leur auftérité inflexible ne lui fauroit aucun gré d'être à la fois Comédien & vertueux, il eut le courage d'avoir dest mœurs, & d'oppofer au cruel arrêt lancé contre fon état, la décence exemplaire de fa vie, quoiqu'il n'eût à ef pérer d'autre récompenfe d'une conduite honnête & fage que cette conduite même. La vertu n'a jamais plus de droit à nos hommages, que lorfqu'elle fe montre dans toute fa pureté fans ofer même fe flatter d'obtenir un peu d'eftime, feul avantage dont le vice ne l'ait pas encore tout-à-fait privée.

M. Deftouches ayant long-temps traîné de ville en ville fa douleur & fon infortune, fe trouvoit enfin à Soleure Directeur d'une Troupe de Comédiens, lorfque M. le Marquis de Puyfieulx, Ambaffadeur de France en Suiffe, eut occafion de le connoître par

Py

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