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ÉVÉNEMENS REMARQUABLES fous LOUIS XV.

teaux, à force de bras, fur la glace, pour les mettre à l'eau. L'armée, forte de dix mille hommes, fe précipite, le 20 avril, dans le courant du fleuve, avec une ardeur inconcevable. Les Anglois croyoient les François encore paifiblement dans leurs quartiers d'hiver, lorfque leurs troupes, déjà débarquées, touchoient à une garde avancée de quinze cents hommes, qu'ils avoient placée à trois lieues de Quebec. Ce gros détachement alloit être taillé en pieces fans un de ces hafards finguliers qu'il n'eft pas donné à la prudence humaine de prévoir. Un canonier, en fortant de fa chaloupe, étoit tombé dans l'eau ; un glaçon fe rencontre auprès de lui, il s'y place & fe laiffe aller au courant. Le glaçon, en defcendant, rafe la rive de Quebec. La fentinelle angloife placée à ce pofte voit un homme près de périr & crie au fecours; on vole au malheureux que le courant emportoit, & on le trouve fans mouvement. Son uniforme, qui le fait reconnoître pour foldat françois, détermine à le porter chez le gouverneur, où la force des liqueurs fpiritueufes le rappelle un moment à la vie. Il meurt bientôt après, mais les Anglois, à quelques mots inarticulés qu'il avoit prononcés, comprennent qu'une armée françoise étoit aux portes de la ville. Auffi-tôt on expédie un ordre à la garde avancée de rentrer dans Quebec en toute diligence. Malgré la célérité de fa retraite, on eut le temps d'entamer fon arriere-garde; quelques momens plus tard, la défaite de ce corps eût entraîné fans doute la perte de la place.

L'affaillant y marche cependant avec une intrépidité qui fembloit tout attendre de la valeur, & rien d'une furprise. Il n'en étoit plus qu'à une lieue lorfqu'il rencontra un corps de quatre mille hommes fortis de Quebec

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pour l'arrêter. L'attaque fut vive, la réfiftance opiniâtre. Les Anglois furent repouffés dans leurs murailles après avoir laiffé dix-huit cents de leurs foldats fur la place, & leur artillerie entre les mains du vainqueur.

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La tranchée fut auffi-tôt ouverte devant Quebec, mais comme les affiégeans n'avoient que des pieces de campagne, qu'il ne vint point de fecours de France, & qu'une forte escadre angloife parut fur le fleuve, il fallut lever le fiége & fe retirer à Montréal. Deux armées I dont une remontoit le fleuve Saint-Laurent, & l'autre Evenoit à Montréal par la route des lacs, entourerent ces troupes, qui, peu nombreuses dans l'origine, exceffivement diminuées par des combats fréquens & des fatigues continuelles, manquoient tout-à-la-fois de provifions de bouche & de guerre, & fe trouvoient enfermées dans un lieu fans défenfe. Ces miférables reftes d'un corps de fept mille hommes qui n'avoit jamais été recruté, & qui, aidés de quelques miliciens & de quelques Sauvages avoient fait de fi grandes chofes, furent enfin réduits à capituler pour la colonie entiere, le 8 feptembre. Au milieu des tranfports de joie que firent éclater les Anglois à cette nouvelle, ils ne purent refufer le jufte tribut d'éloges dû au marquis de Vaudreuil & aux autres braves défenfeurs du Canada, qui avoient réfifté fi long-temps. aux efforts de leurs ennemis, & furent plutôt vaincus par leur propre détreffe que par le courage des Anglois.

Toutes les nouvelles qu'on recevoit de l'Inde depuis celle de la prife de Divicôté, de Goudelour, & de SaintDavid, étoient alarmantes. Le comte d'Aché avoit foutenu, contre l'amiral Pocok, trois combats indécis, le premier le 29 avril 1758, le deuxieme le 3 août de

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la même année, & le troifieme le 10 feptembre 1759; après ce troifieme combat, le confeil & les habitans de Pondichéri ne peuvent pas le déterminer à refter dans la rade de cette ville auffi long-temps que l'efcadre anglaife n'abandonnera pas la côte. Il appareille pour retourner aux îles de France & de Bourbon, fous prétexte qu'il eft informé que Pondichéri manquoit de tout ce qui étoit néceffaire pour les réparations de fon efcadre; cependant on voit, dans les mémoires produits au procès du comte de Lally, une proteftation folemnelle faite par la nation affemblée dans la falle du gouvernement, & fignifiée à M. d'Aché le 17 septembre 1759, dans laquelle, après avoir offert à cet amiral de lui fournir tout ce qu'il faut pour réparer les vaiffeaux, des troupes & des vivres, on déclare qu'on le rendra refponfable de la perte de la colonie, s'il quitte la côte avant le temps où le changement de la mouffon en chafferoit l'efcadre angloife. Malgré cet acte national, le comte d'Aché s'éloigne de Pondichéri. Réfugié à l'Ifle de France, il ne revint pas fur la côte de Coromandel à la mouffon de 1760, foit qu'il crût fa préfence néceffaire à l'Ile de France pour la garantir d'une invafion dont les Anglois la menaçoient, dit-on, & peut-être auffi à cause de fon éloignement pour le comte de Lally, qui, au rapport de fes accusateurs, s'étoit rendu redoutable à tout le monde dans l'Inde, excepté aux Anglois.

Il réfulte de l'amas effrayant des mémoires qui ont été publiés pour & contre le comte de Lally, que ce général avoit le commandement dur, defpotique, & que, par conféquent, il étoit peu propre à gouverner une colonie éloignée, où les intérêts étoient extrêmement croisés, &

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dans laquelle les ordres du roi n'arrivant pas toujours à temps, un général défireux de faire le bien devoit déployer ce talent fi rare de conduire les hommes, un efprit conciliateur, ferme fans dureté, fouple fans foibleffe, faifant aimer le fervice à ceux qui doivent le faire, & fa personne à tout le monde.

La compagnie des Indes fe plaignoit amerement des déprédations commifes par fes prépofés à Pondichéri, & il paroît, par les inftructions particulieres données au comte de Lally, que les directeurs de la compagnie avoient envoyé ce général dans les Indes pour la défendre contre fes ennemis domeftiques, en même-temps qu'étendant au dehors l'honneur des armes françoifes il humilieroit les Anglois, dont on le connoiffoit l'ennemi implacable. La commiffion du comte de Lally étoit extrêmement délicate. Les prépofés de la compagnie, enrichis de fes dépouilles, n'ayant plus rien à gagner dans l'état de détreffe où ils l'avoient réduite, ne pouvoient-ils pas défirer intérieurement de tomber entre les mains des Anglois, afin de couvrir leurs malverfations particulieres du défordre général qu'entraîne la conquête ? Et quand ils n'auroient pas eu ce défir fecret, devoit-on s'attendre qu'ils feconderoient avec l'ardeur de l'enthousiasme un général qu'ils favoient avoir ordre d'éclairer leur conduite préfente & paffée. Le comte de Lally eût été le plus doux des hommes qu'on l'auroit haï, mais la dureté de fon caractere provoquoit le fentiment de la haine. A peine étoit-il arrivé à Pondichery qu'il fe brouille avec le chef des armées navales, au fujet des entreprises militaires. M. de Leirit, gouverneur de Pondichéri pour la compagnie, attefte que, lorfque ce général affiégeoit le fort

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Saint-David, il commanda des grenadiers, & donna ordre d'arrêter le comte d'Aché, s'il refufoit de conduire fur le champ fon efcadre devant la place affiégée. Procédé violent, quand même le général auroit eu le droit d'en ufer ainfi. Le comte de Lally, après avoir bravé l'amiral qu'il devoit ménager, révolta contre lui tous les ordres de la ville le confeil, le militaire, la bourgeoifie. Le reproche dur & violent étoit toujours fur fes levres, & dans les lettres fouvent injurieufes qu'il fe permettoit d'écrire. Aigri par les contradictions, il les tournoit quelquefois en crimes; alors, oubliant les égards & même la décence, il devenoit féroce, il outrageoit également l'humanité & la nature, & à toutes les horreurs que lui fuggéroit fa rage, il ajoutoit l'ironie amere, plus infultante encore & plus cruelle. Mais ces procédés, dont la peinture eft répétée jufqu'à la faciété dans les mémoires publiés contre cet infortuné général, difpenfoient-ils le comte d'Aché de revenir à Pondichéri avec fa flotte, auffi-tôt que la mouffon lui permettoit de faire ce voyage? En vain, pour se difculper, il nous fait un tableau pathétique de l'ouragan du mois de janvier 1760, dont la violence réduifit l'Ile de France aux plus tristes extrémités. Ne devoit-il pas réparer fes dommages avec touté la promptitude poffible, & fuivre la route des efcadres angloifes, d'autant plus que la famine qui menaçoit l'Ifle à la fuite de l'ouragan, rendoit fon départ néceffaire? Le gouverneur de l'lfle de France fit valoir cette raifon puiffante pour déterminer l'amiral à faire voile pour la côte de Coromandel, Le comte d'Aché, après avoir vu la nation protester à Pondichéri contre fon départ, qui laiffoit la colonie à la merci des ennemis

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