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rive que ce qu'on laiffe échapper à fa plume avec le plus de répugnance, n'en eft ordinairement que plus favorablement reçu de ceux qui le lifent. Ce n'eft pas que je me fois négligé dans la compofition. J'ai fait tout ce qui dépendoit de moi dans les momens où j'écrivois, pour y mettre autant de perfection qu'un Lecteur équitable en peut exiger. Je n'ai point pérmis à mon imagination de fe décharger confufément du fujet dont elle étoit pleine, & je n'ai laiffé venir les matiéres qu'autant qu'il m'a paru qu'elles naiffoient les unes des autres. Que fi quelquefois on trouve que dans l'expofition je n'ai pas été fi fcrupuleux fur l'arrangement des penfées, c'eft que j'ai craint la féchereffe d'un difcours trop méthodique ; & j'ai tâché d'y fubftituer autant que j'ai pu, les agrémens de la variété. La lecture de chaque Leçon fera convenir qu'il n'y manque rien de ce que le Sommaire annonce, & j'ai cru que c'en étoit affez pour m'aquitter. J'ai placé par-tout des caractéres: ils étoient effentiels à celui de l'Ouvrage. Mais pour prévenir l'ennui de les voir reparoître en différens lieux, j'ai pris foin de ne les point faire trop reffemblans. Si quelqu'un fe reconnoit dans les peintures des vices, je le fupplie de ne point prendre le change dans l'application pour les attribuer à d'autres. Qu'il fe perfuade que c'eft lui-même qu'on a voulu peindre, & qu'aux difformités d'un portrait qui pourra mortifier fon amour-propre, il n'ait point d'autre penfée que celle de fe réformer.

LES LEÇONS

DE

LA SAGESSE

SUR LES

DÉFAUTS DES HOMMES.

PREMIERE PARTIE.

PREMIERE LEÇON..

Ce font nos préjugés qui caufent nos plus vives fenfibilites fur ce que nous fouffrons de la part des hommes. Source de ces préjugés. Idée générale de la néceffité de les approfondir & de l'utilité de ces premiéres confidérations.

Ous les maux de cette vie font de fi petits maux, que l'homme en fouffriroit infiniment moins, s'il favoit les prendre pour ce qu'ils font; mais fouvent il n'eft malheureux que parce qu'il croit l'être, & prefque toujours qu'autant qu'il le croit. Il fe fait des peines, qui n'ont de réalité que celle qu'il

leur donne : il ajoute aux chagrins qui lui viennent d'ailleurs. Sa fenfibilité les mefure fur elle-même, & fa fenfibilité dépend de fes opinions, ou de fes foibleffes.

Ce font là les vraies fources des larmes qui ne tariffent point, des douleurs défefpérées, des afflictions fans confolation, des plaintes éternelles. Il n'eft point de pertes médiocres pour l'avarice; point de légères humiliations pour la vanité; point de travaux, qui ne foient accablans pour la pareffe; point d'incommodités, que la molleffe ne trouve infupporta bles; point de tourmens modérés pour une délicateffe qui s'eft portée jufqu'à l'excès; point de dangers, où la pufillanimité ne fuccombe; point de maladies qui ne deviennent mortelles avec une imagination frappée des terreurs de la mort. Il ne faut qu'un fil d'araignée pour achever d'étrangler ceux que la crainte fuffoque. La peur en tue plus que la fiévre.

Que de déplaifirs qui s'évanouiroient, fi nous en réduifions les fujets à leur jufte valeur! Les fens nous féduifent; la méprife de la raifon va jufqu'à nous plonger dans la trifteffe la plus profonde à la vue de ce qui devroit nous mettre au comble de la joie. Il paroit donc que pour modérer nos impatiences, il n'y auroit qu'à nous dire d'en démasquer les objets, de les placer dans leur vrai jour, & de les confidérer nous-mêmes avec des yeux plus fains.

Mais cette leçon générale a fon application particuliére à ce que nous fouffrons de ceux avec qui nous avons à vivre. Rarement on nous méne au delà de ces maux, qui ne fe fen

tent que par l'efprit, & qui ne font en effet que ce que l'efprit les fait, ou ce qu'il en pense. Ce ne font, dans le train commun de la vie, que des défauts fuppofés de conduite, ou de maniéres; que des difcours peu mefurés, ou peu convenables; que des reproches, ou des confeils à contretems; que des traitemens enfin qui nous femblent injuftes, ou déraifonnables; & toutes ces préfomptions ne se forment en nous que fur une double fauffeté de jugemens. Nous penfons de nous-mêmes trop favorablement, & trop défavantageufement du refte des hommes.

Ecartons tous les préjugés qui groffiffent à nos yeux les torts qu'on nous fait, qui changent la nature des injures, qui nous font croire que nous fommes outragés quand nous ne le fommes point; il ne nous restera de tous nos reffentimens qu'une forte conviction de nous être fouvent plaints, tandis qu'on avoit à se plaindre de nous.

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Les caufes de ces faux jugemens font infinies dans un cœur dont la raison ne dirige point les mouvemens, ou dont la piété n'a point réformé les affections. Un défintéreffement parfait nous perfuaderoit qu'on ne nous offense jamais. Il n'eft perfonne qui n'ait des reproches à fe faire. Les fujets en font plus ou moins graves; mais, à fe rendre une exacte juftice, le moins coupable trouveroit qu'il n'a plus de droit aux ménagemens des hommes; qu'il n'eft point de mauvais traitemens dont il ne foit digne, & cette pensée devroit étouffer en nous jufqu'aux moindres murmures.

Mais nous nous aimons avec trop d'aveuglement pour reconnoître au vrai ce que nous

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méritons ou pour en convenir. Nous ne comptons qu'avec nous feuls, & nous difons en fecret à tout ce qui nous approche: Rensmoi ce que tu me dois. Or, ce qu'on nous doit eft apprécié fur l'eftime que nous avons pour nous-mêmes, & fur les idées que nous nous en fommes formées. Voilà nos titres & le fon-> dement de toutes nos prétentions. C'eft delà que nous puifons le droit de tout exiger des hommes, & celui de leur faire des crimes des imperfections que la nature leur a laiffées," ou des oppofitions que nous nous fentons pour eux.

Tout ce qui fait fur nos fens des impreffions défagréables, tout ce qui ne fimpatife pas avec nos inclinations, tout ce qui nous eft contraire, tout ce qui ne nous convient pas, tout ce qui nous déplait, fût-il d'ailleurs irrépréhensible, eft coupable à nos yeux de quelque injustice.

Pour ne nous en point faire, il faudroit à notre grẻ nous aimer autant que nous nous aimons; il faudroit nous estimer, nous approuver, nous louer, nous admirer en tout; il faudroit n'être occupé que de nous, s'empreffer à nous fervir, prévenir nos désirs, négliger fes propres befoins pour les nôtres, abandonner fes intérêts, s'oublier foi-même, & fe livrer fans réferve à nos vues, à nos ufages, à nos caprices. Nous aurions peine à nous répondre fur le pourquoi; mais il eft certain que c'est à tout ce dévouement que nous prétendons.

Ainfi, déja trop pleins de ce que nous fommes, fi quelque mérite vient mettre le comble à la complaifance que nous avons fi gratuitement en nous-mêmes, notre vanité ne

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