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vez. C'est pour cela même, dit faint Paul, que vous avez reçu des forces.

Vous vous applaudiffez d'avoir la fageffe & le bon efprit en partage. Je vous croirois, fi vous faviez épargner ceux qui font nés avec des caprices & des lumiéres bornées. Si vous êtes capable de vous contraindre & de diffimuler; fi vous avez de la douceur, de la difcrétion, de la prudence; à quel ufage vous ont-elles été données, fi ce n'eft pour conferver la paix avec ceux qui ne font pas fi parfaits, & pour leur paffer ce que la fragilité leur fait commettre contre vous? Avez-vous quelque autre affurance des bonnes qualités dont vous vous félicitez? Les forces ne fe connoiffent que quand elles font éprouvées. Que la vanité ne vous féduife point: c'est l'occafion de fouffrir qui doit vous apprendre fi vous avez de la vertu. La tolérance eft un de fes premiers caractéres : elle diffimule, elle pardonne tout ce qui peut fe pardonner, elle fe confidére, elle ne perd point de vue le fond de fa fragilité naturelle, & ne fe trouve jamais affez parfaite pour être contente d'elle-même & mécontente des autres; elle fent que les hommes ont befoin qu'on leur faffe grace fur une infinité de chofes. C'eft par ce fentiment qu'elle eft ce qu'elle eft, & qu'elle s'affure de l'être.

Ce ne peut être affurément qu'une illufion de fe perfuader qu'on eft fans défauts avec des envies d'impatience. Eft-ce, en effet, une fi bonne qualité de ne favoir pas s'accommoder aux défauts des autres, de pouvoir les ménager & de ne le vouloir pas ? Quand ceux qui ne font point de faute dans le commerce de

Ta vie, feroient les feuls à s'offenfer de cellesqu'on feroit contre eux, n'auroit-on pas raifon de trouver leur délicateffe très-incommode & très-ennemie de la paix de la fociété ?* N'auroit-on pas droit de les traiter d'injuftes?

L'équité veut que chacun foit pris pour ce qui eft, & que les foibles trouvent dans les forts de l'indulgence pour leurs foibleffes. Eftee une bonne qualité d'en triompher & d'infulter à leur malheur? Eft-ce une bonne qualité de n'avoir jamais pour eux que des airs de mépris, que des maniéres dédaigneufes ? Ce font là des espéces de vengeances rafinées qui ne font que trop communes; ce font de grands défauts dans ceux qui fe flattent de n'en avoir point, des abus qui font voir que dans la préfomption de nos bonnes qualités il y a toujours plus d'oftentation que de vertu fincére. On fent l'injuftice qu'il y auroit à maltraiter des perfonnes plus malheureufes que coupables: on a fur elles trop de fupériorité pour se rabaiffer jufqu'aux petites conteftations: on ne veut pas fe dégrader jufqu'à fe fâcher ouvertement de leurs méprifes, ou de leurs fauffes démarches; mais l'amour-propre fe dédommage par une affectation de dédain plus cruelle que les reproches & les mauvais traitemens. On fe fait un plaifir de leur donner du ridicule, ou de relever celui qu'elles fe donnent d'elles-mêmes..

Eft-ce ainfi que de fragiles mortels doivent traiter leurs femblables? L'humanité feule neveut-elle pas que nous foyons plus touchés des fautes de nos freres que des défagrémens que nous en recevons; que nous fongions à compatir à ce qui les humilie plutôt qu'à les

infulter? Vous avez affaire aux efprits les plus fâcheux & les plus intraitables: on ne fait par où les prendre; tout leur fait ombrage, tout les offenfe. On vous fait un crime de vos foins. Vos bienfaits font payés par des injures. On ne cherche qu'à vous attirer des chagrins, qu'à vous faire tomber dans quelque confufion. On rit de vos confeils; on fe joue de vos corrections. Rien ne peut vous garantir des infultes & des brufqueries de ceux qui vous doivent le plus d'égards. Ils font, fi vous voulez, fiers, impérieux, emportés, jaloux, incapables de revenir de leurs entêtemens. Voilà de grands défauts; mais telle eft la trifte condition de la nature qui donne à chacun fes foibleffes. Si vous en avez de moindres que les autres, fongez que vous pouviez en avoir, & que c'en feroit une impardonnable de ne pas vouloir tolérer ceux qui font plus foibles; fongez, dis-je, qu'à quelque prix que ce foit, vous êtes trop heureux de n'avoir pas les défauts dont vous auriez à vous plaindre, fi vous ne confultiez que ce fentiment confus qui voudroit en nous ne rien fouffrir.

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XV. LE CO N.

Il feroit injufte de ne pas fupporter les défauts d'autrui, quand on en a foi-même. Personne n'en eft exempt. L'impatience en eft la preuve. C'eft le caractère du vice d'être offenfe du vice. On fouffre plus de ceux qu'on a que de ceux qu'on n'a pas; mais il y auroit jouvent une double injuftice à s'en plaindre.

TE nous porter à la modération que par

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favorablement. Une juftice rigoureufe nous défend de nous plaindre, parce qu'on peut fe plaindre de nous. La premiére loi de la fociété veut que les hommes fe traitent mutuellement comme ils fouhaitent d'être traités. Si tous font foibles, fi tous ont déquoi faire fouffrir ceux qui les approchent, tous doivent leur permettre l'impatience, ou fe l'interdire. Or, quel doute à propofer que celui-ci? Faut-il pour le décider, revenir fans ceffè à la peinture générale des fragilités humaines? Que chacun fe connoiffe, il trouvera que les poids font égaux entre nous & ceux avec qui nous vivons; que les vices & les peines fe compenfent, & que nous leur donnons autant de fujets de s'offenfer que nous en recevons d'eux. La paroit la fageffe de la Loi qui nous commande de porter les fardeaux les uns des autres; Loi réciproque qui fuppofe en effet que ceux qui tolérent, ont befoin d'être tolérés, & qu'ils doivent devenir indulgens par un intérêt mefuré fur l'équité.

Les plus juftes en conviennent : ils ne font jamais fans quelques défauts qui les préparent à fouffrir patienment par la néceffité de fe fouffrir eux-mêmes & d'être foufferts. Leurs propres befoins les rendent attentifs aux befoins des autres; mais les plus malades font toujours ceux qui fentent le moins leur mal: ils ne veulent rien fouffrir de qui que ce foit, & par ce refus même ils fe convainquent de leur injuftice; ils prétendent qu'on les offenfe fans fujet, & cela peut être. On prétend, au contraire, qu'ils fe plaignent fans fujet, & cela peut être encore. Mais quelque fujet qu'ils puiffent avoir, leurs plaintes prouvent toujours qu'ils ont tort de fe plaindre.

S'il y avoit des hommes fans défauts, ils feroient fans impatience. Une vertu folide & pure fouffriroit tout des vices d'autrui, parce qu'elle n'y verroit rien à perdre, & qu'elle fauroit en tirer avantage pour augmenter fes forces & fon mérite. Il n'eft que les paffions à qui les paffions nuifent; quiconque en fouffre, n'en eft pas exempt. Une paffion n'eft qu'un amour-propre déterminé, qui ne veut rien que pour lui-même, & qui ne fouffre ni contrainte dans fes défirs, ni concurrence dans la poffeffion de fes objets. Avec cet efprit on ne voit rien de jufte que de fe contenter aux dépens du monde entier. On croit pouvoir troubler impunément le repos des autres, & on le trouble en effet en mille maniéres. Mais fi les autres fe plaignent, s'ils réfiftent, s'ils attaquent, ils ont tort, & delà les fenfibilités exceffives & les injuftes vivacités. Ainfi dans les chagrins mutuels que les hommes fe caufent, ce font les paffions qui tourmentent les

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