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furprennent dans des méprifes, qui vous défabufent fur les illufions que vous aimez à vous faire? Que fentez-vous pour ceux qui fe plaignent de vous les premiers, & qui s'en plaignent avec raifon? Vous ne pardonnez point à tous ces Lynx d'avoir les regards fi perçans. Leur difcernement vous choque; c'eft là leur grand crime à votre égard. Votre fierté s'en irrite, & ne s'adoucit que quand vous pouvez reprendre vos avantages & les mettre dans leur tort.

Le défespoir de ceux dont vous êtes mécontent, contre qui vous vous récriez, c'est que cet amour aveugle, qui produit en vous les défauts, d'où votre injuftice nait, vous les cache tous. Vous avez toujours raifon; jamais vous n'avez rien à vous reprocher; & c'eft affez de ne pas vous fatisfaire au gré de vos préventions, pour être à vos yeux fans excufe. Comment vous réduire à confeffer que vous êtes vous-même injufte? Les torts prétendus qu'on vous fait, n'ont point d'autre juge que l'exceffive fenfibilité qui vous les exagére. Une parole qui bleffe votre vanité, un défaut d'égard & de complaifance, une réfistance à vos volontés les plus déraisonnables, vous paroit digne de toutes vos vengeances.

Le dépit de l'amour-propre ne va-t'il pas même quelquefois jufqu'à haïr le plus violenment ceux qu'il a le plus fenfiblement offenfés? Ses propres remords l'accufent & les juftifient dans fon efprit. On eft défespéré de n'avoir point de raifon de les haïr, & on les en hait encore plus.

Redefcendons du plus au moins, Vous con

tredire, ne pas penfer comme vous, n'être pas de votre avis fur les fujets les plus indifférens, c'est encore un titre pour être mis au rang de ceux qui vous rendent la vie amére. Vous avez vos préjugés, vos caprices, vos gouts, vos humeurs; & malgré ces principes des erreurs humaines vous croyez que la nature vous a donné le privilége de l'infaillibilité. Vous avez feul tout le bon fens du monde. Auffi n'abandonnez-vous jamais vos propres fentimens pour céder aux raifons des autres. Jaloux de vos opinions, parce qu'elles font à On vous voit vous divifer à tous momens pour les chofes les plus frivoles.

vous,

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Qui eft-ce donc qui fe plait à troubler votre paix? Si vous l'aimez, pourquoi ne lui pas facrifier des entêtemens inutiles? Que perdez-vous à diffimuler les travers que vous appercevez, ou que vous croyez appercevoir dans certains efprits? Que perdez-vous même à préférer leurs penfées aux vôtres, quand elles n'ont rien de déraisonnable?

Je le conçois; les confeils les plus fages ont dequoi vous déplaire, quand ils ne viennent pas de vous. C'en eft affez pour les rejetter par humeur, ou pour ne les fuivre que par néceffité. Vous gémiffez de cette contrainte, & vous trouvez qu'il eft bien trifte d'avoir à traiter avec des gens fi pleins d'eux-mêmes; c'est-à-dire, que pour vous venger de ceux dont l'avis a prévalu fur le vôtre, vous leur prêtez le défaut qui vous les rend haïffables. Ce font eux qui font opiniâtres, entêtés, préfomptueux, qui prétendent feuls à la gloire de bien penfer, & qui veulent que tout rende hommage à leur prudence. C'est à peu près

en donnant ainfi le change, que tant de gens vous paroiffent d'un caractére à ne pouvoir être fupportés. Votre amour-propre vous fait fupporter que ce font eux qui s'aiment plus qu'ils ne doivent; & vous ne les haïffez que parce que vous vous aimez vous-même à l'excès.

A cet interêt commun, qui divife tous les hommes par des conteftations inévitables, l'amour-propre joint un interêt perfonnel qui réduit celui qu'il poffède à n'être plus ni parent, ni ami, ni citoyen, ni homme. On ne vit que pour foi-même : tous les autres font comme s'ils n'étoient pas. On ne fe fouvient prefque d'eux que pour les haïr, quand ils déplaifent. On aime feulement ceux qui font utiles, ou plutôt on ne les aime point, on les ménage. L'intérêt change, & dès ce moment on les méprise.

C'eft fur cette unique vue d'utilité propre qu'on mefure fon eftime, fes complaifances, fes attentions & fon indifférence. Un homme avec qui vous auriez eu de grandes affaires à démêler, & dont vous ne feriez pas mécontent, ce feroit la merveille du monde. Nommez-nous un concurrent, un compétiteur, un cohéritier, un créancier, que vous ne trouviez pas difficile, fâcheux, dur, intrai-table.

De qui me direz-vous du mal encore? De ceux à qui vous êtes obligé de faire du bien. Ce font des enfans qui vous forcent à faire pour eux des dépenfes que vous voudriez ne faire que pour vous. C'eft une fille qui va vous atteindre & vous effacer, & qu'on vous preffe d'établir. C'eft un héritier, dont la

feule vue vous offenfe, parce qu'elle vous annonce que votre tems paffe, & que le fien va venir. Ses affiduités & fes complaifances vous font fufpectes. Vous le foupçonnez de ne vous point aimer, de n'en vouloir qu'à votre héritage, de fouhaiter votre mort, ou d'en anticiper le jour par fes efpérances ou par les avances qu'il croit que vous devriez, ou que vous pourriez lui faire. Vous, au contraire, vous retenez tout avec une prévoyance aveugle. Vous aimez mieux rifquer de laiffer tout perdre, que de vous en défaifir. Vous vous imaginez que vous êtes immortel, ou vous voudriez l'être. Vous laiffez manquer le plus étroit néceffaire à ceux qui ne peuvent l'attendre que de vous. Et voilà ceux que vous accufez de manquer d'affection, qui veulent avancer la fin de vos jours, & qui vous feront mourir de déplaifir. Ils font mécontens; mais ils ont droit de l'être, & tout leur crime eft de le paroître devant vous, qui pensez n'avoir que vous-même à contenter.

Retranchez donc encore une partie des plaintes que trop de prévention pour vousmême vous fait faire; réduifez-les à la valeur de leurs fujets. Vous aurez au moins plus de modération dans les impatiences que les défauts des hommes vous caufent. Vous éclatez fur des offenfes qui méritent à peine ce titre. La colére a pour objet l'injuftice. Elle eft digne en effet de notre indignation. Mais la paffion, dont vous vous aimez, pervertit vos penfées. Vous estimez injufte ce qui ne l'eft pas, ou ce qui l'eft moins qu'il ne vous le paroit. Voilà le mal; appliquez-y le reméde. Apprenez à penfer plus modeftement de ce que

vous êtes, & de ce qui vous eft dû. Refferrezvous dans votre propre mefure, & réglez vos fentimens fur cette jufte idée. Vous n'êtes pas la Divinité de l'univers. Vous n'avez pas tout fait, & tout n'eft pas fait pour vous. Confentez à vous remettre au rang de ceux qui vous valent, & qui font aux mêmes droits. Partagez avec eux les biens & les maux de la vie. Rendez-leur ce que vous leur de vez. N'exigez d'eux que ce qu'ils vous doivent. Ne prétendez point à d'injuftes préférences. Contentez-vous de ce qui vous appartient. Soyez enfin moins amoureux de vous-même, & vous ferez moins impatient.

IV. LEÇON.

Le mérite perfonnel ajoute aux préventions de l'amour-propre. Toutes nos plaintes à ce fujet font fondées fur l'idée d'un faux mérite. Le véritable eft rare & toujours imparfait. Il ne fe plaint de rien, quand il a fu fe bien connoître.

UN

N fecond fentiment qui nait en nous du fond de notre être, c'eft celui de notre propre excellence: fentiment inaltérable, impérieux, invincible, qui tient contre les plus juftes mépris dont nous nous rendons dignes. C'eft, dis-je, un fentiment fi profondément gravé dans tous les cœurs, que rien ne peut l'en effacer. Dieu nous l'a donné pour un deffein digne de fa fageffe. Il veut que nous afpirions à la gloire dont il doit éternellement

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