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roit celle de ce mélange d'imperfections, qui les défigure & qui affoiblit l'impreffion qu'elles devroient naturellement faire. Il est de notre repos d'y réfléchir fouvent, parce que l'excès d'eftime que nous prenons pour ce que nous fommes, eft la fource de nos plus vives impatiences. L'injustice, ou la violence qui nous ravit nos biens, la calomnie qui s'efforce de ternir notre honneur, nous eft moins fenfible que le mépris. Nous pardonnons prefque à ceux qui nous haïffent, tandis qu'ils ne ceffent pas de nous eftimer. Mais nous attaquer dans l'opinion que nous avons de nousmême; montrer par fa conduite qu'on ne fent pas affez ce que nous croyons valoir, c'est nous faire une plaie que rien ne peut plus guérir. Le reméde ne peut venir que de notre propre fond; & ce reméde, c'eft la modération de nos fentimens.

Apprenez à renfermer vos penfées dans vos propres bornes, & vous coupez la racine à cet excès d'amour-propre qui produit toutes les paffions qui nous divifent; à l'orgueil, qui s'attribue tout; à la vanité, qui fe croit digne de tout; à l'ambition, qui veut s'élever au-deffus de tout à la fierté, qui dédaigne tout; à la délicateffe, qui s'offenfe de tout. Ne vous mettez point en tête que vous favez tout ce qu'on peut favoir, & que vous faites tout ce que vous entreprenez de la maniére la plus parfaite fouffrez qu'on réduife vos talens à leur médiocre penfez équitablement & modeftement de tout votre mérite perfonnel: vous aurez toutes les difpofitions qui lient les hommes, & qui font trouver de la douceur, ou moins de défagrément dans leur fociété.

Songez toujours, qu'à le bien prendre, ils n'ont de devoirs à remplir les uns envers les autres, que ceux que la charité prefcrit, & que ces devoirs font indépendans de leurs bonnes & de leurs mauvaifes qualités.

Ne perdez point de vue ce qui fait comme le fond de leur caractére, qu'ils s'aiment eux-mêmes aveuglément; que ce n'eft point par panchant qu'ils s'eftiment; qu'ils n'approuvent communément les autres que par le rapport qu'ils fe fentent avec eux; que ce n'eft alors qu'une espéce d'égalité qu'ils donnent; & que rien ne leur coute tant à reconnoître, qu'une fupériorité de mérite.

Jugez de la juftice que vous devez en attendre par celle que vous leur rendez, ou par le déplaifir peut-être que vous fentez de la leur voir rendre. Avec ces attentions, fi vous avez quelque fentiment d'équité, vous aurez bien de l'impatience & des dépits de refte. Plus on eft froid fur le mérite d'autrui, moins on doit exiger d'égards pour celui qu'on croit avoir.

V. LEÇON.

Le fort des envieux & des jaloux eft de fouffrir plus des bonnes que des mauvaifes qualités des autres. Leur impatience paroit d'autant plus incurable, qu'elle eft plus injufte. Mais la refource de leur paffion, c'eft de chercher fon grand reméde dans fa grande injuftice.

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'Homme qui penfe fi fuperbement de luimême. ne penfe ou ne voudroit penfer ainfi que de lui feul. L'amour & l'eftime effré

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née que nous avons de ce que nous fommes, nous fait afpirer à tenir au moins le premier rang dans les efprits & dans l'ordre du monde. Les concurrens & les rivaux nos déplaifent. Nous ne fouffrons le parallèle que dans les fujets où l'héroïfme nous paroit tellement fixé par l'opinion, qu'il ne peut être porté plus haut. Du refte toute comparaifon nous choque. Trouver à d'autres autant ou plus d'efprit qu'à nous, autant ou plus d'agrémens, de perfections, de favoir & d'habileté, c'eft nous dégrader à nos yeux. Nous ne confentons, ni qu'on nous les préfére, ni qu'on nous les égale.

Par où faudroit-il prendre notre vanité pour ne la point bleffer? C'est à notre gout une injure prefque pareille de louer devant nous des qualités que nous n'avons pas, ou de louer dans les autres celles que nous avons. Les louanges qu'on nous donne, font toujours exceffives, & cet excès ne nous paroit excufable que dans les éloges que nous recevons.

Un intérêt caché nous fait rabaisser en mille occafions les genres de vie différens du nôtre, les talens qui nous font étrangers, & les occupations qui procurent quelque gloire, où nous ne pouvons prétendre. Si nous difons quelque bien de ceux qui concourent avec nous dans les mêmes emplois, n'est-ce pas moins pour leur rendre juftice que pour relever notre propre mérite par un air de difcernement & d'équité? N'eft-ce pas le plus fouvent pour couvrir notre jaloufie fous le voile d'une modeftie feinte, ou par le fentiment fecret de notre fupériorité ?

Ne nous le diffimulons pas. Voilà le fond de notre cœur & fes injuftices. Il fe décéle par

trop d'endroits pour fe laiffer méconnoître. La beauté, la vertu, les bonnes actions, les beaux ouvrages, les fuccès brillans n'ont prefque point d'effet plus naturel & plus fûr, que de nous rendre envieux ou jaloux. Les tentations en font générales, & d'autant plus dangereufes, qu'elles naiffent de la vertu même que nous avons, & de celle que nous découvrons dans nos freres. Il entre de la vanité jufques dans l'humilité même, & la vanité ne veut point être effacée.

L'expérience de notre médiocrité peut nous forcer à la reconnoître; mais en confeffant que nous fommes peu de chofe, nous fouffrons impatienment que les autres paroiffent autant ou plus que nous. Nous nous affligeons de voir que les biens que nous avons, leur font communs, & c'eft jaloufie. Nous nous affligeons de ce qu'ils en ont que nous n'avons pas, & c'est envie. Pleins de ces injuftes fentimens, nous leur faifons des crimes des dons de la nature & des faveurs de la fortune, des fruits de leur travail & des recompenfes de leurs fervices, des bontés qu'on a pour eux & de la juftice qu'on leur rend, de leur zéle, de leurs bonnes œuvres, de leur défintéreffement, de leur humilité même & de la gloire qui la fuit. S'ils ont de l'extérieur & d'heureufes difpofitions; s'ils font nés riches; s'ils profperent; s'ils fe diftinguent par la fcience ou par la fageffe; ce font autant de titres qui nous les rendent odieux. Nous les haïffons par tout ce qu'ils ont d'eftimable & par tout ce qui les fait eftimer.

Ces fentimens font trop humilians pour n'êtré pas défavoués en public & condamnés mê

me en fecret. En convenir, ce feroit reconnoître fon indigence & publier fon injustice; ce feroit ajuger aux autres une fupériorité dont l'amour-propre ne veut point fe défaifir; ce feroit leur accorder des avantages avec lefquels on fe croiroit foi-même plus eftimable, & ne pouvoir fe diffimuler la malignité qui s'en trouveroit affligée; ce feroit fe convaincre enfin d'un excès de vanité qui voudroit ufurper toute la gloire qui leur eft dûe. Plus on a d'ufage du monde qui condamne ces baffeffes, plus on affecte d'en être incapable; plus on eft environné des dehors de la piété, plus on fe croit inacceffible à de fi honteufes tentations.

Mais l'horreur qu'on a pour les vices, ne prouve pas toujours qu'on en foit exempt. Nous fouffrons en nous-mêmes ceux que nous condamnons ailleurs, parce que nous ne les yoyons pas des mêmes yeux; & dans le fond il n'eft rien dont on foit moins convaincu que de la rareté de ceux dont nous parlons ici. Cha cun ne s'en défend que pour en accufer tous les autres. On juge des caufes par leurs effets. On ne doute point qu'une infinité de médifances, de calomnies, de noirceurs, de haines fecrétes & d'inimitiés déclarées ne foient les fruits amers des envies & des jaloufies qui regnent dans toutes les conditions. Il n'eft point en effet de fureurs où ces paffions aveugles ne fe portent, & point de tourmens qu'elles ne caufent aux cœurs dont elles fe font emparées, quand elles y font impuiffantes.

Ce fut de la main de l'envie que la mort reçut fa premiére victime. Cette paffion divifa les deux premiers freres. Ceux de Jofeph

en

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