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des raifons de les eftimer, de les révérer, de leur céder, & jamais de les haïr. Quand vous ne les haïrez point, ne craignez plus d'avoir de la peine à les fupporter.

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Perfonne ne fe plaint avec plus de hauteur & moins de raifon que ceux qui s'entétent de leur naissance ou de leur fortune. Leur impatience eft le fruit de leur erreur. Les grands noms & les grands biens ne font que des engagemens à de plus grandes vertus. On ne doit exiger pour ces avantages que ce qui peut s'accorder à la vertu même.

Ne réflexion qui devroit achever de nous prévenir contre les impatiences de l'amour-propre, c'eft que les titres par lefquels il fe fait le plus valoir, font précisément les plus imaginaires & les plus vains. Il faut donc en effet que les maux que nous fouffrons de la part des hommes, foient bien petits, puifque les plus grands font mefurés fur un préjugé qui n'a pour objet que des chimères. Les plaintes fondées fur le mérite des perfonnes, font -fpécieuses. Il eft des dons naturels & des talens aquis qu'on ne peut méconnoître. Ces avantages ont du réel, ils font à nous, ils font du moins en nous, & fe confondent avec nous. Si j'ai des lumiéres, fi je fuis favant, ce n'eft pas de la fcience d'un autre; & fi ma fcience doit être comptée pour quelque chofe, c'est à moi qu'on en doit tenir compte.

Mais la folie des hommes eft de chercher leur grandeur hors d'eux-mêmes. Ils établiffent leurs prééminences fur des avantages qui ne leur font point propres, qui ne feront pas toujours, ou qui ne font déja plus. Ils fe font valoir par des biens qui n'en ont pas même l'apparence, qui ne doivent qu'à leur imagination ce qu'ils font, c'est-à-dire, des fantômes, des idées pures, des dénominations vaines, des prérogatives enfin qui n'ont fouvent rien que de comique & de rifible, qui ne font propres qu'à montrer toute leur petiteffe & leur puérilité.

Toujours auffi vains qu'imparfaits, ils ne peuvent fouffrir d'origines obfcures & de commencemens bas. Ils aiment mieux s'illuftrer par des contes & par des généalogies fauffes. On en a vu, qui honteux de l'extraction de leurs peres, ont cherché la gloire d'un autre fang dans les crimes de leurs meres; d'autres fe font fait defcendre de quelques Divinités fabuleuses, ou fe font perfuadés férieufement qu'ils en étoient defcendus. L'opinion préfomptueufe qu'ils avoient de leurs grandes qualités, & le mépris qu'ils faifoient du refte des hommes, leur apprenoit à fe croire fortis d'une race plus qu'humaine.

L'abondance & la pauvreté mettent entre ceux qui compofent les fociétés, mille différences qui les divifent. La fierté que les richeffes & la puiffance infpirent, ont introduit des diftinctions qui femblent former des hommes de plufieurs efpéces. Les uns font nobles, grands, illuftres; les autres petits & méprifables. Mais par qui ces jugemens ont-ils été prononcés? Sont-ils de celui qui connoit feul le prix des chofes, & devant qui celles qui font,

n'ont pas plus de réalité que celles qui ne font pas? Ces différences que les hommes mettent entre eux, font-elles elles-mêmes bien conftantes dans leur estimation propre ? Un malheur commun les fait difparoître, & l'égalité fe rétablit.

Que conclurre delà? Qu'il faudroit rendre tous les hommes malheureux pour les rendre équitables? Non. Mais que rien ne doit leur faire oublier cette égalité que la nature a mife entre eux, & que mille accidens peuvent y remettre malgré leur orgueil; que la fierté ne leur eft jamais permife; que l'opulence & la difette ne mettent entre les uns & les autres aucune distance réelle; que tous les autres titres par lefquels ils affectent de fe diftinguer, font vains; que de quelque rang qu'ils foient dans les idées du monde ; que dans quelque fortune qu'ils fe trouvent, ils ne doivent jamais ceffer de fe confidérer comme égaux, & de fe traiter en freres; que tout homme peut avoir befoin d'un autre homme; & que cette dépendance mutuelle doit être la régle de leurs fentimens & de leurs devoirs réciproques; qu'il en faut toujours revenir à cette grande maxime, que nous ne fommes rien que ce que nous fommes aux yeux de celui qui nous juge par le cœur ; & que le feul titre qui mérite quelque diftinction, c'eft la vertu.

Que de prétentions néanmoins qui n'en ont point d'autre que celui que la vanité trouve en elle-même ? C'est le prétexte des plaintes les plus hautes & des impatiences les moins capables de modération. J'entens un grand éclater. Il fulmine contre des gens qui ne lui font point de mal & qui ne lui doivent rien.

Je cherche la raifon de tout ce fracas, & je trouve que fes emportemens ne viennent que de la fauffe idée qu'il s'eft formée de lui-même & de ceux dont il fe plaint: il les confidére du haut de fon élévation comme des hommes d'un ordre inférieur. Le mépris qu'il a pour eux, les lui repréfente comme des créatures viles, abandonnées à fes ufages, & livrées à tous fes caprices. Il fe perfuade qu'il a droit de difpofer de leurs biens, de leurs fervices, de leurs travaux, de leur fanté, de leur vie même; qu'il peut en faire à fon gré les inftrumens & les miniftres de fes paffions. Il veut qu'ils le devinent & qu'ils le refpectent partout, fans même le connoître; qu'ils le diftinguent où perfonne n'a droit de fe faire diftinguer; qu'ils lui épargnent des démarches & des peines dont perfonne n'est dispensé. Il veut que l'homme public quitte fon miniftére, fes fonctions, fon emploi, fon bureau, fon tribunal, fon étude, & qu'il le prévienne en tout pour fes propres affaires. Il veut qu'on aille le trouver chez lui pour lui rendre des fervices qui mériteroient au moins qu'il vînt les demander; que l'artifan le ferve mieux que les autres, afin d'en être plus mal payé; que le marchand lui faffe des avances, & qu'il fe ruine; que chacun lui confacre un tems dont il ne tiendra point de compte.

Telle eft l'étendue du domaine qu'il s'attribue il femble qu'on lui doive tribut de l'air même qu'on refpire. Exiger de lui ce qu'il doit, c'eft lui faire injure. Il ne fe croit que redevable à lui-même de tout exiger des fiens & des étrangers, à condition qu'il fera pour eux incommode, fâcheux, bizarre, impatient,

emporté, fier fur-tout, & méprifant, & qu'il ne traitera pas même les hommes comme des hommes.

Ces idées font énormes, fans être de beaucoup trop exagérées. Qu'eft-ce en effet pour les grands qu'un homme du peuple? Un vil infecte, un chien mort, dit l'Ecriture. C'est à peu près ce qu'ils entendent par le terme de canaille, dont ils font fi prodigues. D'autant plus plaindre eux-mêmes, qu'ils fe croient plus autorisés à maltraiter ceux dont ils fe plaignent; leur impatience est égale à leur erreur. Les offenfes les plus légères fe groffiffent dans leur efprit. Des traitemens que d'autres recevoient avec indifférence, deviennent pour eux des outrages. Que Mardochée ne fléchiffe point le genou devant Aman; ce feroit moins que rien fi cet infolent favori s'étoit moins enyvré de fa fauffe grandeur. Mais avec la haute opinion qu'il a de fa perfonne, il n'est plus flatté ni de fes richeffes, ni de fa faveur, tandis qu'il verra le Juif demeurer affis quand il paffe. Il fe croit fi fort offenfé, que pour le fatisfaire, c'eft trop peu d'immoler un feul homme à fa vengeance. Il ne tiendra donc pas à fon reffentiment que Mardochée ne périffe avec toute fa nation. Naboth s'excufe de céder l'héritage de fes peres; il en est le maître & ne le doit à perfonne. Son refus pourtant irrite Achab, & le défefpére jufqu'à lui faire perdre le foin de fa vie. L'indignation de l'orgueilleufe Jézabel eft plus furieufe encore, & Naboth en devient la victime.

Le préjugé produit l'emportement, & l'emportement conduit aux vengeances outrées. Les foibles font opprimés, les familles font

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