페이지 이미지
PDF
ePub

fort embarrassé comment il tireroit Orgon de dessous la table. Quand il crut avoir suffisamment préparé les esprits, le 5 d'août 1667, il fait afficher le Tartuffe. Mais il n'eut pas été représenté une fois, que les gens austères se révoltèrent contre cette pièce. On représenta au roi qu'il étoit de conséquence que le ridicule de l'hypocrisie ne parût point sur le théâtre. Molière, disoit-on, n'étoit pas préposé pour reprendre les personnes qui se couvrent du manteau de la dévotion, pour enfreindre les lois les plus saintes, et pour troubler la tranquillité domestique des familles. Enfin ceux qui faisoient ces représentations au roi donnèrent de bonnes raisons, puisque sa majesté jugea à propos de défendre le Tartuffe 1. Cet ordre fut un coup de foudre pour les comédiens et pour l'auteur. Ceux-là attendoient avec justice un gain considérable de cette pièce, et Molière croyoit donner par cet ouvrage une dernière main à sa réputation. Il avoit marqué le caractère de l'hypocrisie de traits si vifs et si délicats, qu'il

• lui demandâmes pourquoi le même ridicule qui nous échappe souvent dans l'original nons frappe à coup sûr dans la copie. il nous répondit que c'est parceque nous le ⚫ voyons alors par les yeux de l'imitateur, qui sont meilleurs que les nôtres; car, ajouta◄t-il, le talent de l'apercevoir par soi-même n'est pas donné à tout le monde. Là-dessus il nous cita Léontium (Ninon), comme la personne qu'il connoissoit sur qui le ridicale faisoit une plus prompte impression; et il nous apprit qu'ayant été la veille lui lire son Tartuffe (selon sa coutume de la consulter sur tout ce qu'il faisoit ), elle le payá ◄ en même monnoie par le récit d'une aventure qui lui étoit arrivée avec un scélérat à ⚫peu près de cette espèce, dont elle lui fit le portrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que, si sa pièce n'eût pas été faite, nous disoit-il, il ne l'auroit jamais entre›�prise, tant il se seroit cru incapable de rien mettre sur le théâtre d'aussi parfait que Te Tartuffe de Léontium (Ninon). Vous savez si Molière étoit un bon juge en ces sortes ◄ de matières. Puisque Léontium (Ninon) est frappée plus que personne du ridicule, il • ne faut pas s'étonner qu'elle le rende si bien.» (Dialogue sur la musique des anciens, par l'abbé Châteauneuf, un vol. in-12, 1725.)

'On a lu dans vingt écrits, et entre autres dans ceux de Voltaire, que Molière, recevant la défense au moment même où on alloit commencer la seconde représentation, dit aux nombreux spectateurs qu'elle avoit attirés : « Messieurs, nous allons vous donner le • Tartuffe, mais monsieur le premier président ne veut pas qu'on le joue. » Le fait n'est ni vrai ni, vraisemblable. Molière, quel que fùt son dépit, respectoit trop les bienséances et la vérité, il se respectoit trop lui-même, pour se permettre publiquement un quolibet si offensant et si calomnieux. Le premier président de Lamoignon, l'ami de Racine et de Boileau, l'Ariste du Lutrin,, ne pouvoit en aucune manière être comparé à Tartuffe. Il étoit d'une piété sincère, que nul ne révoquoit en doute; mais, si l'on refuse de croire à ses vertus, on ajoutera foi aux faits et aux dates. La troupe de Molière ne jouoit que trois fois par semaine, le mercredi, le vendredi et le dimanche. Le Tartuffe fut représenté pour la première fois le vendredi. 5. La défense arriva le lendemain 6, et c'est le dimanche 7 que devoit se donner la seconde représentation. Il est donc faux que la défense ait, été notifiée aux comédiens à l'instant où ils se disposoient à entrer en scène. L'annonce de Molière ne put se faire, non plus le lendemain, puisqu'à dater du jour de la défense le théâtre fut fermé pendant cinquante jours; interruption qui ne fut point commandée par l'autorité, et, qui eut pour cause, le départ subit de La Grange et de La Thorillière. (A.)

s'étoit imaginé que, bien loin qu'on dût attaquer sa pièce, on lui sauroit gré d'avoir donné de l'horreur pour un vice si odieux. Il le dit lui-même dans sa préface à la tête de cette pièce : mais il se trompa, et il devoit savoir par sa propre expérience que le public n'est pas docile. Cependant Molière rendit compte au roi des bonnes intentions qu'il avoit eues en travaillant à cette pièce. De sorte que sa majesté ayant vu par elle-même qu'il n'y avoit rien dont les personnes de piété et de probité pussent se scandaliser, et qu'au contraire on y combattoit un vice qu'elle a toujours eu soin elle-même de détruire par d'autres voies, elle permit apparemment à Molière de remettre sa pièce sur le théâtre.

Tous les connoisseurs en jugeoient favorablement; et je rapporterai ici une remarque de M. Ménage, pour justifier ce que j'avance. « Je lisois hier le Tartuffe de Molière. Je lui en avois au«trefois entendu lire trois actes chez M. de Montmort', où se • trouvoient aussi M. Chapelain, M. l'abbé de Marolles, et que!«ques autres personnes. Je dis à M..., lorsqu'il empêcha qu'on ne « le jouât, que c'étoit une pièce dont la morale étoit excellente, et qu'il n'y avoit rien qui ne pût être utile au public. »

[ocr errors]

Molière laissa passer quelque temps avant que de hasarder une seconde fois la représentation du Tartuffe ; et l'on donna pendant ce temps-là Scaramouche ermite, qui passa dans le public sans que personne s'en plaignît. Louis XIV ayant vu cette pièce, dit, en parlant au prince de Condé 2: Je voudrois bien savoir pourquoi les << gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent << pas un mot de celle de Scaramouche. — C'est, répondit le prince,

"

1 Ce Montmort n'étoit point le fameux parasite, mais Habert, seigneur de Montmort, conseiller au parlement, et membre de l'académie françoise, qui donna une édition des OEuvres de Gas endi, avec une préface latine très bien écrite. Ce magistrat étoit lié avec Chaplain, et avec les hommes les plus célèbres de son temps: il mourut en 1679.

2 Nous rétablissons ici cette anecdote telle qu'elle se trouve dans la Ménagiana, t. IV, page 174. Le grand Condé avoit pour Molière une amitié toute particulière : souvent il l'envoyoit chercher pour s'entretenir avec lui. Un jour il lui dit, en présence de personnes qui me l'ont rapporté : « Molière, je vous fais venir peut-être trop souvent, je crains « de vous distraire de votre travail. ainsi je ne vous enverrai plus chercher, mais je vous prie, à toutes vos heures vides, de me venir trouver; faites vous annoncer par un va«<let de chambre, je quitterai tout pour être avec vous. » Lorsque Molière venoit, le prince congédioit ceux qui étoient avec lui, et il étoit souvent des trois et quatre heures avec Molière. On a entendu ce grand prince, en sortant de ces conversations, dire publiquement: Je ne m'ennuie jamais avec Molière; c'est un homme qui fournit de tout, son érudition et son jugement ne s'épuisent jamais. (GRIMAREST, Réponse à la critique de la Vie de M. de Molière.) On trouve dans les Anecdotes littéraires, qu'un abbé ayant cru faire sa ccur au grand Condé en lui présentant une épitaphe de Molière : Ah! lui dit ce prince, que celui dont tu me présentes l'épitaphe n'est-il en état de faire la tienne! Tome 11, page 48.)

que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont « ces messieurs ne se soucient guère, tandis que celle de Molière les « joue eux-mêmes; et c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir. »

Molière ne laissoit point languir le public sans nouveautés; torjours heureux dans le choix de ses caractères, il avoit travaillé sur celui du Misanthrope, il le donna au public; mais il sentit, dès la première représentation, que le peuple de Paris vouloit plus rire qu'admirer, et que pour vingt personnes qui sont susceptibles de sentir des traits délicats et élevés, il y en a cent qui les rebutent faute de les connoître. Il ne fut pas plutôt rentré dans son cabinet qu'il travailla au Médecin malgré lui, pour soutenir le Misanthrope, dont la seconde représentation fut encore plus foible que la première, ce qui l'obligea de se dépêcher de fabriquer son Fagotier: en quoi il n'eut pas beaucoup de peine, puisque c'étoit une de ces petites pièces, ou approchant, que sa troupe avoit représentées sur-lechamp dans les commencements; il n'avoit qu'à transcrire. La troisième représentation du Misanthrope fut encore moins heureuse que les précédentes. On n'aimoit point tout ce sérieux qui est répandu dans cette pièce. D'ailleurs le marquis étoit la copie de plusieurs originaux de conséquence, qui décrioient l'ouvrage de toute leur force. « Je n'ai pu pourtant faire mieux, et sûrement je ne fe« rai pas mieux, » disoit Molière à tout le monde.

M. de Visé crut se faire un mérite auprès de Molière de défendre le Misanthrope; il fit une longue lettre qu'il donna à Ribou pour

'Ce fait est singulier, piquant : il plaît à notre malice, en nous offrant une preuve signalée de la vanité et de l'inconséquence des jugements publics; il tend même à rehausser la gloire de Molière, en nous le montrant supérieur à son siècle : enfin, il peut servir, au besoin, à consoler la vanité de quelque auteur dont l'ouvrage n'aura pas été accueilli au gré de ses espérances. Mais, le dirai-je ici? le fait est faux, entièrement faux. Je sais que j'attaque ici une centaine de recueils d'anecdotes, et autant d'ouvrages de critique littéraire. Je n'ai qu'une arme, mais elle est sûre : c'est le registre même de la comédie, tenu jour par jour avec une exactitude qui ne fait grace d'aucun détail. Le Misanthrope fut joué dans les mois de juin et de juillet, c'est-à-dire dans la saison la plus défavoral le aux spectacles, et il eut vingt-une représentations consécutives dont il fit seul tous les frais, aucune petite pièce, ni ancienne, ni nouvelle, n'ayant été donnée à la suite. De ces représentations, dont le nombre suffisoit alors pour constater un plein succès, quatre des dernières seulement n'atteignirent pas tout à fait à la somme qui étoit considérée comme bonne et satisfaisante recette. Loin que le Misanthrope ait été soutenu par le Médecin malgré lui, cette dernière pièce, jouée six jours après qu'on eut cessé de jouer la première, le fut onze fois de suite avec d'autres ouvrages; après quoi les deux pièces furent données ensemble, et ne le furent que cinq fois. Ainsi croule de tous côtés la peUn passage des tite fable bâtie sur la destinée du Misanthrope à sa naissance. (A.) Mémoires de Dangeau appuie les observations précédentes sur le succès qu'obtint le Misanthrope, puisqu'on y lit que « cette pièce fit grand bruit, eut un grand succès à ◄ Paris avant d'être jouée à la cour. » (Mémoires de Dangeau, 10 mai 1690.)

mettre à la tête de cette pièce. Molière, qui en fut irrité, envoya chercher son libraire, le gronda de ce qu'il avoit imprimé cette rapsodie sans sa participation, et lui défendit de vendre aucun exemplaire de sa pièce, où elle fût; et il brûla tout ce qui en restoit; mais, après sa mort, on l'a réimprimée '. M. de Visé, qui aimoit fort à voir la Molière, vint souper chez elle le même jour. Molière le traita cavalièrement sur le sujet de sa lettre, en lui donnant de bonnes raisons pour souhaiter qu'il ne se fût point avisé de défendre sa pièce.

Les hypocrites avoient été tellement irrités par le Tartuffe, que l'on fit courir dans Paris un livre terrible, que l'on mettoit sur le compte de Molière pour le perdre. C'est à cette occasion qu'il mit dans le Misanthrope les vers suivants :

Et, non content encor du fort que l'on me fait,
Il court parmi le monde un livre abominable",
Et de qui la lecture est même condamnable;
Un livre à mériter la dernière rigueur,
Dont le fourbe a le front de me faire l'auteur.

Et là-dessus on voit Oronte qui murmure,
Et tâche méchamment d'appuyer l'imposture;

Lui, qui d'un honnête homme à la cour tient le rang.

On voit par cette remarque que le Tartuffe fut joué avant le Misanthrope 3, et avant le Médecin malgré lui; et qu'ainsi la date de la première représentation de ces deux dernières pièces, que l'on a mise dans les Luvres de Molière, n'est pas véritable, puisque l'on marque qu'elles ont été jouées dès les mois de mars et de juin de l'année 1666.

Molière avoit lu son Misanthrope à toute la cour, avant que de le faire représenter *; chacun lui en disoit son sentiment, mais il ne

4

* Elle ne fut réimprimée qu'en 1682, et on ne la trouve pas dans la seconde édition du Misanthrope publiée chez Claude Barbin, un peu plus d'un an après la mort de Molière. Cette circonstance suffiroit pour prouver la vérité de l'anecdote racontée par Grimarest, lorsqu'on ne sauroit pas que jusqu'alors de Visé avoit été un des plus acharnés détracteurs de Molière, et que plus tard il se fit l'apologiste de l'abbé Cotin dans le compte qu'il rendit des Femmes savantes. (Voyez le Mercure galant, année 1672.) 2 On ignore le titre de ce livre.

Les trois premiers actes du Tartuffe furent joués le 12 mai 1664, à la sixième journée des Plaisirs de l'Isle enchantée; mais la représentation de la pièce entière n'eut lieu que le 5 août 1667. Ainsi Grimarest se trompe lorsqu'il dit que le Tartuffe parut avant le Misanthrope et le Médecin malgré lui, qui furent représentés dans l'été de 1666. (DESP.)

* On sait que les ennemis de Molière voulurent persuader au duc de Montausier, fameux par sa vertu sauvage, que c'étoit lui que Molière jouoit dans le Misanthrope. Le duc de Montausier alla voir la pièce, et dit en sortant: Je n'ai garde de vouloir du mal à Molière; il faut que l'original soit bon, puisque la copie est si belle! Et, comme on insis

suivoit que le sien ordinairement; parcequ'il auroit été souvent obligé de refondre ses pièces, s'il avoit suivi tous les avis qu'on lui donnoit ; et d'ailleurs il arrivoit quelquefois que ces avis étoient intéressés. Molière ne traitoit point de caractères, il ne plaçoit aucun trait, qu'il n'eût des vues fixes. C'est pourquoi il ne voulut point öter du Misanthrope, « Ce grand flandrin qui crachoit dans un « puits pour faire des ronds, » que madame Henriette d'Angleterre lui avoit dit de supprimer lorsqu'il eut l'honneur de lire sa pièce à cette princesse. Elle regardoit cet endroit comme un trait indigne d'un si bon ouvrage; mais Molière avoit son original, il vouloit le mettre sur le théâtre 1.

Au mois de décembre de la même année, il donna au roi le divertissement des deux premiers actes d'une pastorale qu'il avoit faite; c'est Mélicerte. Mais il ne jugea pas à propos, avec raison, d'en faire le troisième acte, ni de faire imprimer les deux premiers, qui n'ont vu le jour qu'après sa mort.

Le Sicilien fut trouvé une agréable petite pièce à la cour et à la ville, en 1667 et l'Amphitryon passa tout d'une voix au mois de janvier 1668. Cependant un savantasse n'en voulut point tenir compte à Molière. « Comment! disoit-il, il a tout pris sur Rotrou, « et Rotrou sur Plaute. Je ne vois pas pourquoi on applaudit à des << plagiaires 2. Ça toujours été, ajoutoit-il, le caractère de Molière :

toit pour l'irriter, il ajouta : Je voudrois bien ressembler au Misanthrope; c'est un honnête homme! (Vie du duc de Montausier, tome 11, page 129.) Dangeau rapporte cette anecdote avec des circonstances qui dénaturent également le caractère de M. de Montausier et celui de Molière. Il mérite d'autant moins de foi, qu'il n'a consigné ce récit dans ses Mémoires qu'en 1690, à l'époque de la mort du duc de Montausier, c'est-à-dire plus de vingt-quatre ans après la première représentation du Misanthrope.

** Molière ne se rendoit pas toujours aux conseils qu'on lui donnoit, et il avoit raison. Cependant il étoit loin de croire à la perfection de ses ouvrages. Un jour, à la lecture de ce vers de Boileau parlant de lui:

Il plaît à tout le monde, et ne sauroit se plaire,

il s'écria, serrant la main du satirique : « Voilà la plus grande vérité que vous ayez jamais «dite; je ne suis pas du nombre de ces esprits sublimes dont vous parlez; mais, tel que · je suis, je n'ai jamais rien fait dont je sois véritablement content. » (OEuvres de Boi leau, par Saint-Marc, tome 1, page 49.) Ce qui doit faire admirer encore plus la modestie de Molière, c'est qu'il tint ce discours dans la même année où les trois premiers actes du Tartuffe furent joués à la cour. (B.)

2 Les ennemis de Molière confondoient à dessein le plagiat avec l'imitation. Imiter, ce n'est pas copier, c'est ajouter à son modèle, c'est lutter avec lui d'invention et de génie: et voilà ce que Molière a fait avec un rare bonheur dans Amphitryon. Aussi a-t-on dit de lui qu'il étoit original lorsqu'il imitoit. Les ouvrages de Virgile et de Vida suffisent pour établir la différence qui existe entre l'imitateur et le plagiaire : Virgile imite Homère, et ne le pille pas; il est quelquefois son égal. Vida copie Virgile; il dénature ses vers pour les voler, et dans ses larcins mêmes il reste toujours au-dessous du poëte qu'il

« 이전계속 »