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NEW YORK

IE DE MOLIÈRE.

PAR GRIMAREST *.

Jean-Baptiste Poquelin de Molière étoit fils et petit-fils de tapissiers, valets de chambre du roi Louis XIII. Son père avoit sa boutique sous les piliers des Halles, dans une maison qui lui appartenoit en propre. Sa mère s'appeloit Boudet; elle étoit aussi fille d'un tapissier, établi sous les mêmes piliers des Halles'.

Les parents de Molière l'élevèrent pour être tapissier, et ils le firent recevoir en survivance de la charge du père, dans un âge peu avancé; ils n'épargnèrent aucun soin pour le mettre en état de la bien exercer, ces bonnes gens n'ayant pas de sentiments qui dussent les engager à destiner leur enfant à des occupations plus élevées : de sorte qu'il resta dans la boutique jusqu'à l'âge de quatorze ans ; et ils se contentèrent de lui faire apprendre à lire et à écrire pour les besoins de sa profession.

Molière avoit un grand-père qui l'aimoit éperdument; et comme ce bon homme avoit de la passion pour la comédie, il y menoit souvent le petit Poquelin, à l'hôtel de Bourgogne 2. Le père, qui ap

* Les notes sur cette Vie sont de M. Aimé-Martin; celles ajoutées au texte de Molière sont de divers commentateurs, désignés ainsi qu'il suit : BRET (B.). — LA HARPE (L.). PETITOT (P.). AUGER (A.) DESPRÉS (D.). N.COT (NIC.). LE DUCHAT (L. DUCH.). – MÉNAGE (MÉN.). — M. AIMÉ-MARTIN (A. M.) Les notes de M. Aimé-Martin sont extraites de son Commentaire sur les œuvres de Molière; j'en ai publié deux éditions: la première, 1823-1826, 8 vol. in-8°, fait partie de ma collection des Classiques françois, 73 vol.; la deux'ème a paru en 1836, 4 vol. in-8°, demi-compactes. (LEF....) 'Les recherches précieuses de M. Beffara nous ont appris que Molière est né, non sous les piliers des Halles, mais dans la rue Saint-Honoré, près de la rue de l'Arbre-Sec; non en 1620, mais le 15 de janvier 1622; et que sa mère s'appeloit, non Boudet, mais Marie Cressé, fille d'un marchand tapissier des Halles. (DESP) (Voyez la Dissertation sur Molière, par M. Beffara.) — M. Delort, auteur d'un ouvrage fort curieux sur Paris, a découvert que cinq des parents de Molière avoient é é juges et consuls de la ville de Paris (depuis 1647 jusqu'en 1685), fonctions considérables qui donnoient quelquefois la noblesse. (Voyez le Voyage aux environs de Paris, page 199.)

2 Nous avons essayé de découvrir le nom des comédiens qui durent frapper les premiers regards de Molière. Parmi eux se trouvoient trois farceurs célèbres: Gauthier Garguille, Turlupin et Gros-Guillaume. Une tendre amitié et le goût de la comédie les ayant réunis, ils élevèrent leurs tréteaux à l'Estrapade, et ils obtinrent une si grande

préhendoit que ce plaisir ne dissipât son fils, et ne lui ôtȧt toute l'attention qu'il devoit à son métier, demanda un jour à ce bon homme pourquoi il menoit si souvent son petit-fils au spectacle. Avez-vous, lui dit-il avec un peu d'indignation, envie d'en faire un comédien? Plût à Dieu, lui répondit le grand-père, qu'il fût aussi bon comédien que Bellerose (c'étoit un fameux acteur de ce temps-là)! Cette réponse frappa le jeune homme; et, sans pourtant qu'il eût d'inclination déterminée, elle lui fit naître du dégoût pour la profession de tapissier, s'imaginant que, puisque son grand-père souhaitoit qu'il pût être comédien, il pouvoit aspirer à quelque chose de plus qu'au métier de son père.

Cette prévention s'imprima tellement dans son esprit qu'il ne restoit dans la boutique qu'avec chagrin. De manière que, revenant un jour de la comédie, son père lui demanda pourquoi il étoit si mélancolique depuis quelque temps. Le petit Poquelin ne put tenir contre l'envie qu'il avoit de déclarer ses sentiments à son père; il lui avoua franchement qu'il ne pouvoit s'accommoder de sa profession; mais qu'il lui feroit un plaisir sensible de le faire étudier. Le vogue que le bruit en parvint jusqu'à Richelieu. Ce ministre voulut les voir; et, charmé de leurs bouffonneries, il fit venir les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, et leur dit qu'on sortoit toujours triste de la représentation de leurs pièces, et qu'il leur ordonnoit de s'associer ces trois acteurs comiques. Cet ordre fut exécuté; et c'est à l'hôtel de Bourgogne, au bout de deux ou trois ans, en 1654, que se termina leur histoire par la plus touchante catastrophe: «Gros-Guillaume, disent les frères Parfait, ayant eu la hardiesse de contrefaire un magistrat à qui une certaine grimace étoit familière, il le contrefit trop bien, car il fut décrété ainsi que ses compagnons. Ceux-ci prirent « la fuite: mais Gro3-Guillaume fut arrêté, et mis dans un cachiot. Le saisissement qu'il « en eut luf causa la mort, et la douleur que Gauthier-Garguille et Turlupin en ressen« tirent les emporta aussi dans la même semaine. Ces trois acteurs avoient toujours joué << sans femmes. Ils n'en vouloient pas, disoient-ils, parcequ'elles les désuniroient. » On ne peut s'empêcher de plaindre et d'admirer ces pauvres gens; et l'on diroit volontiers de leur amitié ce que Molière a dit de la vertu : Où diable va-t-elle se nicher!

Ces acteurs ne furent remplacés que plusieurs années après par le fameux Scaramou che, qui devint le maitre de Molière, et que Mazarin fit venir d'Italie. Ainsi deux cardinaux protégèrent notre théâtre naissant.

Molière avoit environ douze ans à l'époque de cette catastrophe. Eile dut le frapper; car il est à remarquer que dans aucune de ses pièces il n'a introduit de rôle de magistrat. 'Pierre Le Meslier, dit Bellerose, étoit un des plus excellents acteurs qui eussent paru dans le genre tragique sous le règne de Louis XIII. L'auteur d'une lettre sur la vie et les ouvrages de Molière et les comédiens de son temps dit, en parlant de Bellerose: que l'on croit que c'est lui qui a joué d'original le rôle de Cinna. Il étoit, ajoute-t-on, « en grande réputation sous le cardinal de Richelieu. Il annonçoit de bonne grace, parloit facilement, et ses petits discours faisoient toujours plaisir à entendre. (Il étoit orateur de la troupe. Il a joué le rôle du Menteur d'original.) Le cardinal de Richelieu lui · << avoit fait présent d'un habit magnifique pour jouer ce rôle. » (Mercure de France, mai 1740.) Ses talents supérieurs n'empêchèrent pas de remarquer ses défauts. Scarron, dans son Roman comique, fait dire à La Rancune que ce comédien étoit trop affecté; et on lit dans les Mémoires du cardinal de Relz que madame de Montbazon ne pouvoit

grand-père, qui étoit présent à cet éclaircissement, appuya par de bonnes raisons l'inclination de son petit-fils; le père s'y rendit, et se détermina à l'envoyer au collége des jésuites'.

Le jeune Poquelin étoit né avec de si heureuses dispositions pour les études, qu'en cinq années de temps il fit non-seulement ses humanités, mais encore sa philosophie.

Ce fut au collége qu'il fit connoissance avec deux hommes illustres de notre temps, M. Chapelle 2 et M. Bernier 3.

Chapelle étoit fils de M. Luillier, sans pouvoir être son héritier de droit; mais celui-ci auroit pu lui laisser les grands biens qu'il possédoit, si, par la suite, il ne l'avoit reconnu incapable de les gouverner. Il se contenta de lui laisser seulement huit mille livres de rente entre les mains de personnes qui les lui payoient régulièrement. M. Luillier n'épargna rien pour donner une belle éducation à Chapelle, jusqu'à lui choisir pour précepteur le célèbre M. de Gassendi, qui, ayant remarqué dans Molière toute la docilité et toute la pénétration nécessaires pour prendre les connoissances de la philosophie, se fit un plaisir de la lui enseigner en même temps qu'à MM. Chapelle et Bernier ".

Cyrano de Bergerac 5, que son père avoit envoyé à Paris, sur sa propre conduite, pour achever ses études, qu'il avoit assez mal commencées en Gascogne, se glissa dans la société des disciples de Gassendi, ayant remarqué l'avantage considérable qu'il en tireroit. Il y fut admis cependant avec répugnance : l'esprit turbulent de Cyrano ne convenoit point à des jeunes gens qui avoient déja toute la justesse d'esprit que l'on peut souhaiter dans des personnes tou

se résoudre à aimer M. de La Rochefoucauld, parcequ'il ressembloit à Bellerose, qui avoit l'air trop fade. Cet acteur mourut en 1670. (Frères Parfait, tome v.)

'C'est-à-dire au collège de Clermont, depuis Louis-le-Grand, dirigé par les jésuite?. Molière avoit alors quatorze ans (en 1636); il resta au collège jusqu'à la fin de 1641. Le prince de Conti, frère du grand Condé, âgé de sept ans, fut un de ses condisciples. (Vie de Molière par La Grange, préface de l'édition de 1682.)

2 Chapelle, célèbre par sa gaieté, sa vie insouciante, et par le Voyage qu'il composa avec Bachaumont.

* Les Voyages de Bernier sont encore ce que nous avons de mieux sur le Mogol, l'Indoustan et le royaume de Cachemire, pays qu'il parcourut avec l'empereur AurengZeb, auprès duquel il resta douze ans.

4 Grimarest oublie le célèbre Hesnault, qui fut aussi condisciple de Molière sous Gassendi. Ces premières études de philosophie inspirèrent sans doute à Hesnault et à Molière l'idée de traduire Lucrèce. La traduction de Molière est perdue: on ne connoît de celle d'Hesnault que l'invocation à Vénus.

5 Cyrano de Bergerac, né en 1620. Son caractère étoit bouillant; sa bravoure le rendit célèbre : il n'y avoit pas de jour qu'il ne se battît en duel, et l'auteur de sa vie a remarqué que ce fut presque toujours en qualité de second. Cet auteur, dit Sabattier de

tes formées. Mais le moyen de se débarrasser d'un jeune homme aussi insinuant, aussi vif, aussi gascon que Cyrano? Il fut donc reçu aux études et aux conversations que Gassendi conduisoit avec les personnes que je viens de nommer. Et comme ce même Cyrano étoit très avide de savoir, et qu'il avoit une mémoire fort heureuse, il profitoit de tout; et il se fit un fonds de bonnes choses, dont il tira avantage dans la suite. Molière aussi ne s'est pas fait un scrupule de placer dans ses ouvrages plusieurs pensées que Cyrano avoit employées auparavant dans les siens. Il m'est permis, disoit Molière, de reprendre mon bien où je le trouve '.

2

Quand Molière eut achevé ses études, il fut obligé, à cause du grand âge de son père 2, d'exercer sa charge pendant quelque temps; et même il fit le voyage de Narbonne à la suite de Louis XIII. La cour ne lui fit pas perdre le goût qu'il avoit pris dès sa jeunesse pour la comédie; ses études n'avoient même servi qu'à l'y entretenir 4. C'étoit assez la coutume dans ce temps-là de représenter des pièces entre amis. Quelques bourgeois de Paris formèrent une troupe dont Molière étoit; ils jouèrent plusieurs fois pour se divertir. Mais ces bourgeois, ayant suffisamment rempli Castres, étoit capable de devenir grand physicien, habile critique, et profond moraliste, si la mort ne l'eût enle é presque aussitôt qu'il se fut consacré aux lettres.

Le Pédant joué de Cyrano a fourni à Molière deux scènes des Fourberies de Scapin. Cyrano composa cette pièce étant encore au collége, pour se venger d'un de ses professeurs.

* Non pas à cause du grand áge de son père, puisque celui-ci n'avoit que quaranteMolière en avoit dix-neuf. (BEFFARA.)

six ans ;

Ce voyage fut marqué par des événements mémorables : Louis XIII reprit Perpignan sur les Espagnols. Molière put voir Richelieu, sur son lit de mort, déjouant la conspiration de Cinq-Mars et de De Thou, ressaisissant d'une main ferme le pouvoir qu'on tentoit de lui arracher, et, au moment de descendre le Rhône, faisant attacher à la queue de sa barque celle qui renfermoit les deux victimes qu'il conduisoit à l'échafaud. Toujours auprès du roi, Molière fut témoin de l'imprudence du favori, du despotisme du ministre, et de la foiblesse du maître. Ce furent là ses premières études du cœur humain.

4

* Il y a ici une lacune de plusieurs années sur lesquelles les Mémoires jettent peu de lumière. On peut présumer cependant, d'après l'aveu de Grimarest, à la fin de la Vie, et surtout d'après la comédie satirique d'Élomire, qu'en 1642 le père de Molière se décida à envoyer son fils à Orléans pour y faire son droit, et que le jeune Poquelin ne revint à Paris qu'au mois d'août 1645, époque à laquelle il fut reçu avocat. Il suivit alors le barreau; ou plutôt, entraîné par son goût pour le théâtre, il devint un des plus assidus spectateurs de l'Orviétan et de Bary, successeurs de Mondor et de Tabarin, dont les tréteaux s'élevoient sur le Pont-Neuf, et qui partageoient l'admiration avec le fameux Scaramouche. Quelques Mémoires assurent même que Molière prenoit dès-lors des leçons particulières de ce dernier. ( Ménagiana, page 9; et Vie de Scaramouche, par Mezzetin.) Tallemant, dans des Mémoires manuscrits cités par M. Walckenaer (Histoire de La Fontaine, page 75), dit que Molière avoit d'abord étudié la théologie, et que ses parents le destinoient à l'état ecclésiastique. Cette anecdote est invraisemblable, puisque

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