LE JOUEUR, Canevas Italien, en trois actes en profe 6 Décembre 1718. Le Joueur, au moment de fe marier, eft affailli par fes Créanciers ; pour les écarter, il donne à l'un fa montre, à l'autre fa boëte d'or, au plus facile des promeffes, au plus tenace de l'argent; mais il en vient un encore, lorfqu'il ne lui refte plus rien, & ne sçachant quel nantiffement lui remettre entre les mains, il lui donne fon contrat de mariage. Sa Maîtreffe vient; l'intérêt qu'il a de ne point paraître Joueur, l'oblige à mettre promptement dans fa poche un jeu de carte qui eft fur la table; mais en tirant fon mouchoir, il en fait tomber une partie aux pieds de fa maîtreffe, qui, loin de le foupçonner, l'excufe, en difant que c'eft un usage affez commun aux Gens de Lettres de porter des cartes dans leurs poches; il lui offre une fête ainfi qu'à fon oncle, qui l'accepte; mais lorsque le bal eft prêt à commencer, il furvient un Marin de fes amis cet homme qui n'a nul goût pour la danfe, engage infenfiblement le Joueur à paffer dans une chambre voifine pour y carabiner pendant un quart d'heure. Notre homme aimant encore plus le jeu que fa Maîtreffe, il la prie de vouloir bien faire toujours commencer le bal, l'affurant qu'il fera de retour dans un inftant: il revient en effet affez promptement; mais fi dérangé & les yeux fi égarés, qu'on devine aisément qu'il a tout perdu: fa Maîtreffe qui ne foupçonne point la caufe de fon trouble, le force dans cet état de fouffrance de danfer un menuet avec elle : pour cacher le véritable motif de fon trouble, il lui donne la main; mais trop préocupé de fa perte, il s'interrompt de temps en temps; tantôt il s'arrête pour parler à Arlequin fon valet, tantôt il fouille dans fes poches pour voir s'il ne trouvera pas encore quelques louis pour faire reffource; enfin il fe livre tellement à la penfée de fon malheur, qu'il finit fon menuet fur le bord du théâtre, pendant que fa Maîtreffe danfe feule au fond de L'appartement. A peine eft-il forti de cet embarras, qu'il tombe dans un autre, Arlequin qu'il avait envoyé avant la perte chez le Traiteur pour commander un grand fouper après le bal, vient lui annoncer triftement que le maudit Traiteur ne veut abfolument rien fournir fans être payé de quelques autres repas qui lui font dûs; que tout ce qu'il a pu faire, a été de l'engager à vouloir bien venir lui parler. Le Traiteur arrive, ils le prient en vain, il eft intraitable: la Prétendue s'impatiente pendant ce débat, & regarde à fa montre, elle la trouve arrêtée, elle la donne à Lelio pour fçavoir de lui fi effectivement elle ne va point: le Joueur la prend & retourne vers le Traiteur pour le fléchir; celui-ci regardant la montre que le Joueur tient comme un gage qu'il veut lui donner, dit qu'il accepte ce nantiffement; Lelio enchanté de cette idée retourne vers fa Maîtreffe, lui dit, qu'en effet, fa montre eft dérangée, & transforme à l'inftant le Traiteur en Horloger, dont il vante le talent, & il la lui donnne. Après que chacun eft retiré, le Joueur fe trouvant feul en liberté, après une fi dure contrainte, jure tout à fon aife, en maudifsant sa mauvaise fortune: Arlequin en bon valet, s'ingére à lui faire des remontrances fur fa conduite; mais il lui protefte que fon parti eft pris, qu'il a fait ferment de ne plus jouer; & ajoute d'un ton de dépit & de rage, que depuis qu'il a formé cette réfolution, il jouit de la plus grande tranquillité d'après ce beau projet, comme il faut, dit-il, une occupation à l'homme, il fe deftine à cultiver la Poëfie & le Théâtre pour s'y livrer fur le champ, il ordonne à fon valet d'aller lui chercher un livre; Arlequin lui apporte le Joueur, Comédie de Renard; à peine en a-t-il lu le titre, qu'il jette le livre avec colere, & fait des imprécations contre les impertinens Auteurs qui ofent mettre fur le théâtre un auffi galant homme. Mario, le frere de sa Maîtrefle, vient lui demander s'il ne pourrait pas lui faire avancer le payement d'une lettre de change de quatre mille livres ; le Joueur qui envisage qu'il pourra faire reffource avec cet argent, lui promet de le lui porter dans un inftant, mais il court fe mettre au jeu, où il le perd. Le Créancier auquel il a donné fon contrat de Mariage pour nantiffement, vient s'informer de la Suivante de Flaminia, fi effectivement fa Maîtreffe époufe Lelio, & lui apprend qu'il lui a remis fon contrat entre les mains. Violette en avertit fa Maîtreffe, qui trop favorablement prévenue, n'en veut d'abord rien croire; mais elle eft enfin détrompée par le Traiteur, qui ayant appris que la montre eft à elle, la lui rapporte; elle voit en ce moment fortir de la maifon de Lelio, deux Joueurs qui emportent l'argenterie & les étoffes dont elle lui avait fait préfent; elle paye le Traiteur, & promet aux Joueurs de retirer inceffamment fes étoffes & fon argenterie. Lelio arrive confterné de fa derniere difgrace; & pour comble d'infortune, il fe trouve entre la Maîtreffe & Mario, qui lui redemandent l'une fa montre, & l'autre fa lettre de change; il refte muet, & ils le quittent, après lui avoir donné les marques du mépris qu'il mérite: un de fes amis vient lui dire qu'il eft prêt à s'embarquer pour aller au Pérou, le Joueur offre de l'y fuivre; l'ami l'accepte: Lelio prend fon chapeau, fon épée & fon manteau & part, en recommandant à Arlequin da |