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pendant à notre Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (14).

Ici finit notre rôle d'historien; mais il nous reste encore à venger Molière de prétentions injustes et de reproches sans fondement. Déjà nous avons essayé de repousser les attaques que J.-J. Rousseau a dirigées contre lui et qui n'ont rien gagné à être reproduites par Mercier, dans son Essai sur l'Art dramatique et dans plusieurs chapitres de son Bonnet de nuit; entreprenons encore de répondre à quelques autres de ses détracteurs.

L'envie et la médiocrité, qui, ne pouvant s'élever jusqu'aux hommes de génie, voudraient du moins les rabaisser jusqu'à elles, ont prétendu que ce grand comique n'avait rien créé, et que ses pièces, souvent traduites, étaient le reste du temps imitées d'auteurs français et étrangers. Les Italiens surtout ont revendiqué, pour les imbroglios et les canevas de leur théâtre, l'honneur d'avoir fourni à Molière l'idée, le plan, les caractères et même le dialogue de la plupart de ses chefs-d'œuvre. Le Misanthrope, à les en croire, est un vol manifeste fait à leur scène. Ces prétentions ont cela de commode, qu'elles dispensent de les réfuter : « Soyez surtout bien en garde, a dit J.-B. Rousseau, contre ce que les Italiens, toujours admirateurs d'eux-mêmes,

1. Voir ci-après la note 47 du livre II.

nous racontent des courses que Molière a faites sur leurs terres. Il n'y en a pas au monde de plus désertes ni de plus stériles que les leurs'.

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Nous ne prétendons pas nier cependant que Molière ait emprunté à ses devanciers des idées qu'il a su faire fructifier. Nos vieux écrivains ont été mis par lui à contribution avec un rare bonheur. Il n'a pas dédaigné surtout ce conteur plein de verve et d'originalité, Rabelais, qu'on ne lit plus assez depuis que Voltaire, qui a fait son profit d'un grand nombre de ses plaisanteries, l'a condamné par un jugement aussi tranchant que superficiel ; «< comme un gourmand, a dit un homme d'esprit, qui crache au plat pour en dégoûter ses convives. » Mais, qu'on prenne un seul instant la peine de rapprocher Molière des auteurs qu'il a mis à contribution, et l'on verra si imiter de la sorte ce n'est pas inventer.

Un critique dont l'Allemagne littéraire s'enorgueillit avec raison, M. Schlegel, dans son Cours de littérature dramatique, porte sur Molière un jugement plus que rigoureux. Nous nous bornerons à faire observer qu'un poète comique qui peint la plupart du temps les habitudes de son siècle et de son pays, ne saurait être jugé que bien

1. OEuvres de J.-B. Rousseau, édition donnée par M. Amar, t. V, p. 300; lettre à Brossette, du 24 mars 1731.

difficilement par des hommes d'un autre âge, nés dans d'autres contrées dont les goûts, les penchans, et par conséquent les travers et les ridicules, diffèrent essentiellement. Les brillans marquis du Misanthrope doivent paraître aussi faux à des Allemands que les vers de Goëthe et les noms de ses personnages paraissent barbares et antiharmonieux aux académiciens français qui ne savent pas les prononcer. On peut d'ailleurs être porté à croire, avec un de nos critiques les plus distingués, que les appréciations de M. Schlegel ne sont pas toujours impartiales, et qu'il put bien songer en rabaissant le génie de Racine et de Molière, à venger son pays de l'oppression de Napoléon et à ranimer la nationalité allemande.

Mais ce n'est plus contre l'amour-propre rival d'auteurs étrangers, ou contre les erreurs d'un censeur récusable, qu'il nous faut maintenant défendre notre comique. C'est de la sévérité, tranchons le mot, c'est de l'injustice avec laquelle Boileau, qui du reste ne cessa un seul instant de se montrer son ami sincère, jugea trop long-temps ses productions, que nous devons chercher à le

venger.

Du vivant de l'auteur du Misanthrope et du Tartuffe, Boileau ne parla guère que deux fois de

1. M. Dubois, voir le Globe, t. V, p. 464, no du 23 octobre 1827.

lui dans ses ouvrages: la première, et c'est celle où l'éloge fut le plus délicat, pour lui demander :

Térence

Sut-il mieux badiner que toi 1?

La seconde, pour lui dire :

Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime 2.

Marmontel, qui se montre quelquefois prévenu contre Boileau, témoigne, ainsi que nous l'avons déjà dit, un étonnement spécieux de ce que cette facilité à rimer ait pu être regardée comme le principal mérite de Molière. Nous n'imiterons pas dans sa fausse bonne foi le critique de Nicolas, comme l'appelait Voltaire; mais nous prendrons sur nous d'affirmer que notre satirique n'appré ciait pas entièrement l'énergie entraînante et le génie profond et observateur de notre premier comique. La pureté du style était à ses yeux la première qualité, ou plutôt une qualité sans laquelle toutes les autres n'étaient rien. Chez lui cette exigence était d'autant plus impérieuse qu'elle se fondait sur l'amour-propre. Nul doute donc que Térence, toujours froid, mais toujours

1. Boileau, stance sur l'Ecole des Femmes.

2 Boileau, épître II.

3. Marmontel, les Charmes de la nature, Épître aux poètes.

pur, délicat et châtié, n'ait séduit exclusivement Boileau, et ne l'ait rendu injuste envers le rival, envers le vainqueur du successeur de Plaute.

En 1674 parut l'Art Poétique. Molière n'y est point oublié; mais, comme le dit M. Daunou dans son Discours préliminaire sur l'auteur de ce poëme, << les huit vers qui le concernent mêlent à la louange une si rigoureuse censure, qu'on aimerait mieux pour Molière, et surtout pour Boileau, qu'ils n'y fussent pas : »

Étudiez la cour,

et connaissez la ville,

L'une et l'autre est toujours en modèles fertile.
C'est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,

Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures,
Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon l'agréable et le fin,
Et, sans honte, à Térence allié Tabarin.
Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe
Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope.

Il nous serait doux de penser avec certains commentateurs de Boileau que le poète par le prix de son art a voulu dire la perfection absolue et non pas la perfection relative. Mais, nous le répétons, le législateur du Parnasse nous semble ici, et dans plus d'un autre endroit, donner une préférence marquée au comique latin'. Dire que Molière a,

1. Le Bolæana le dit d'ailleurs formellement, p. 50.

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