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que ma chère, et ce mot avait fini par servir à les désigner généralement.

Une chère, une précieuse devait se mettre au lit à l'heure où sa société habituelle lui rendait visite. Chacun venait se ranger dans son alcôve, dont la ruelle était ornée avec recherche. Pour être admis à ces cercles, il fallait avoir prouvé qu'on connaissait, comme le dit Madelon, le fin des choses, le grand fin, le fin du fin, et y être présenté par un des hommes qui y donnaient le ton. Les abbés de Bellebat et Du Buisson avaient, selon le Dictionnaire des Précieuses de Somaise, le titre de grands introducteurs des ruelles. C'était chez eux, chez le premier surtout, que les jeunes gens allaient s'instruire des qualités indispensables aux hommes qui voulaient fréquenter les cercles des chères1.

Mais, outre ces profès en l'art des précieuses et ces jeunes initiés, on rencontrait encore chez chaque femme un individu qui, revêtu du titre singulier d'alcoviste, était son chevalier servant, l'aidait à faire les honneurs de sa maison et à diriger la conversation. Un pareil rôle, par la familiarité qu'il exigeait entre les précieuses et ceux qui le remplissaient auprès d'elles, semblerait aujourd'hui devoir être une source de désordres

1. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II. Avertissement sur les Précieuses ridicules.

et une cause de scandale. Il n'en produisait alors aucun, et ne donnait pas même lieu à la moindre interprétation maligne. Saint-Évremont s'est chargé de nous donner l'explication de l'innocence de ses effets : « L'alcoviste, dit-il, n'était que pour la forme, parce qu'une précieuse faisait consister son principal mérite à aimer tendrement son amant sans jouissance, et à jouir solidement de son mari avec aversion. »

Voilà les extravagances, voilà les folies en action que Corneille, que Bossuet et les personnages justement célèbres que nous avons déjà nommés semblaient sanctionner par la fréquentation des salons qui en étaient les théâtres. Que l'on mette dans la balance, d'un côté une fille de nos rois, protectrice des Cotins, d'illustres apôtres de la chaire de vérité, des auteurs pompeusement vantés, et de l'autre un pauvre comédien de province venant chercher à Paris des ressources qu'il n'avait pu trouver dans ses excursions; et que l'on réfléchisse un seul instant si la lutte dut sembler assez inégale, l'entreprise assez aventureuse. Il eut par la suite plus d'un imitateur; mais, s'il attaquait un adversaire alors plein de vie et redoutable, les Héros de Roman mis en jeu par Boileau, en 1710, n'étaient plus guère qu'un coup porté à un ennemi à terre (39).

Ce fut le 18 novembre 1659 que Molière livra

cette attaque au faux goût. Outre qu'une pièce en un acte et en prose était alors une nouveauté, le titre de celle-ci n'avait pas peu servi à exciter une curiosité générale. Les suppôts de la ligue contre le naturel y assistaient pour la plupart; et, malgré le nombre des spectateurs à la fois juges et parties, la vérité du tableau força tous les suffrages. « J'étais, dit Ménage, à la première représentation des Précieuses ridicules. Mademoiselle de Rambouillet y était, madame de Grignan (40), tout l'hôtel de Rambouillet, M. Chapelain et plusieurs autres de ma connaissance. La pièce fut jouée avec un applaudissement général; et j'en fus si satisfait en mon particulier, que je vis dès lors l'effet qu'elle allait produire. Au sortir de la comédie, prenant M. Chapelain par la main : Monsieur, lui dis-je, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d'être cri

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tiquées si finement et avec tant de bon sens; << mais, pour me servir de ce que saint Remi dit à Clovis, il nous faudra brûler ce que nous avons «< adoré et adorer ce que nous avons brûlé. » Cela arriva comme je l'avais prédit; et, dès cette première représentation, on revint du galimatias et du style forcé'. »

3.

Emporté par son admiration soudaine pour un

Ménagiana, édit. de 1715, t.

II, p 65.

comique si franc, un vieillard, auquel cet ouvrage révélait un Ménandre nouveau, s'écria du milieu du parterre: Courage, Molière! Voilà la véritable comédie1! Ce mot, qui est devenu le jugement de la postérité, est remarquable sans doute; mais, comme l'a dit La Harpe, «< il n'est que le suffrage de la raison, tandis que celui de Ménage est le sacrifice de l'amour-propre et le plus grand triomphe de la vérité. »

Le succès des Précieuses fut tel à la première représentation, que, dès la seconde, la troupe doubla le prix des places' (41). A ce chorus d'applaudissemens vinrent encore se joindre ceux de la cour. L'ouvrage fut envoyé au bas des Pyrénées, où elle se trouvait occupée à débattre de grands intérêts. Il y reçut le même accueil qu'à Paris. On assure que Molière, éclairé par ce double succès, dit alors : « Je n'ai plus que faire d'étudier Plaute et Térence, ni d'éplucher les fragmens de Ménandre; je n'ai qu'à étudier le monde3. » Il livra sa pièce à l'impression; mais, dans la préface, où, tout en s'excusant de le faire,

Mémoires sur la vie et les ouvrages de Petitot, p. 17,

1. Grimarest, p. 36. Molière, p. xxiv.

2. Lettre sur Molière, insérée au Mercure de France, mai 1740. – Préface de l'édition des OEuvres de Molière, de 1682 (par La Grange).

3. Segraisiana, 1721, première partie, p. 212. -Récréations littéraires, pár Cizeron-Rival, p. 1.

il raille encore les originaux qu'il a pris pour modėles, il crut devoir cependant, pour détourner de lui la colère de personnages puissans, déclarer qu'il n'avait point eu en vue les véritables précieuses, mais celles qui les imitaient mal (42) (car on attachait alors à ce mot le sens le plus avantageux), et protester même que c'était contre son gré qu'il publiait son ouvrage.

Il serait inexact de dire que cette victoire remportée sur l'ambitieuse déraison la détruisit entièrement; mais il est certain du moins que ses défenseurs confus se dispersèrent, et n'osèrent même pas faire entendre de plaidoyer en sa faveur. Le style contourné et amphigourique fut abandonné; et, s'il resta encore aux femmes pendant un certain temps une prétention pédantesque au savoir, ne devons-nous pas nous en réjouir, puisque ce fut ce ridicule rebelle et invétéré qui provoqua le second manifeste de Molière, l'admirable comédie des Femmes savantes?

On devine bien cependant que, si les faiseurs de madrigaux à la Mascarille et les nombreuses Cathos que notre auteur avait joués ne crurent pas devoir élever la voix contre ce sanglant arrêt, les ennemis de sa gloire n'imitèrent pas leur silence, et que rien ne fut épargné pour ravaler le mérite de la nouvelle production. La tourbe des envieux fut en émoi, et, dans l'aveuglement de

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