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comte de Morville, en lui cédant le département des affaires étrangères.

Le cardinal Dubois, malgré sa puissance, craignoit tous ceux qui approchoient du Roi. Pour resserrer le plus qu'il le pouvoit la cour intime, il fit supprimer les grandes et premières entrées accordées par Louis XIV, et en imagina d'autres appelées familières, qu'il restreignit à lui, aux princes du sang et au comte de Toulouse, à la duchesse de Ventadour et au duc de Charost, et les étendit au duc du Maine et à ses deux fils, lorsqu'ils furent rétablis dans les honneurs de princes du sang. Il ne les accorda pas d'abord à l'évêque de Fréjus : mais jugeant bientôt qu'il seroit imprudent de les refuser à un homme chéri du Roi, et qui finiroit par les obtenir de ce prince même, peu de jours après il le mit sur la liste, comme n'ayant été omis que par que par oubli.

Les soupçons du cardinal croissoient de jour en jour. Il s'apercevoit que le Roi n'avoit aucun goût pour lui : indépendamment de la disgrâce personnelle de la figure, d'un bégaiement naturel qu'une habitude de fausseté et de servitude primitive avoit encore augmenté, ses manières n'étoient jamais plus gauches et plus désagréables que lorsqu'il cherchoit à plaire. Il manquoit d'un extérieur d'éducation, qui ne se prend plus à un certain âge de sorte que, ne pouvant atteindre à la politesse quand il en avoit besoin, il paroissoit alors bas et rampant; et sa grossièreté habituelle, aux yeux d'un jeune prince accoutumé aux respects et aux grâces du Régent, avoit un air d'insolence.

Le cardinal, pour vaincre autant qu'il pouvoit le

dégoût du Roi, lui présentoit souvent quelques curiosités de son âge. Destouches, notre résident à Londres, étoit chargé de ces commissions; et le cardinal recommandoit de ne les envoyer que successivement, pour multiplier les occasions de plaire au Roi, et entretenir sa reconnoissance.

Dubois désiroit fort que le duc de Chartres, premier prince du sang et colonel général de l'infanterie, vînt travailler avec lui. Il n'osa pas le proposer ouvertement, et s'adressa à l'abbé Mongault, ci-devant précepteur du prince, et qui avoit conservé beaucoup de crédit sur son esprit. Mongault, plein d'honneur, d'esprit, et très-peu flexible, n'aimoit ni n'estimoit le cardinal, et se contraignoit peu sur ses sentimens. Il répondit sèchement qu'il n'abuseroit jamais de la confiance d'un prince, en l'engageant à s'avilir. Le cardinal vit bien qu'il n'avoit pas affaire à un seigneur, et ne jugea pas à propos de témoigner le moindre ressentiment. La plupart des gens en place n'aiment point les gens de lettres; mais ils les ménagent, et ne veulent pas s'aliéner ceux qui ont peu à perdre, voient, sentent, parlent, et écrivent. Le cardinal ayant, peu de jours après, rencontré Mongault, lui dit : « L'abbé, le Roi a su que vous << aviez commencé à ajuster une maison de campagne dont la dépense vous a obéré : il m'a chargé de << vous donner une gratification de dix mille écus, » L'abbé sentit d'abord le motif de cette générosité, et comprit que le cardinal, n'ayant pu le séduire, vouloit le corrompre. Il n'en fit rien paroître, et le pria de le présenter, pour en faire son remercîment au Roi. Le cardinal voulut, au retour, remettre sur le

tapis l'affaire du travail; mais l'abbé se contenta de répondre avec plus d'égards que la première fois, et ne fut pas plus docile.

Le cardinal, ayant échoué dans son projet à l'égard du duc de Chartres, ne fut pas fort sensible à l'honneur de voir travailler chez lui le comte d'Evreux, colonel général de la cavalerie, et le comte de Coigny, qui l'étoit des dragons. Il prit donc le parti de renvoyer au secrétaire d'Etat de la guerre le détail de l'infanterie, de la cavalerie et des dragons. La marine continua de s'adresser au comte de Toulouse. Le duc du Maine conserva les Suisses et l'artillerie, sur le pied où il les avoit sous le feu Roi; mais ce fut en se soumettant à travailler chez le cardinal.

Le Blanc, secrétaire d'Etat de la guerre, et le comte de Belle-Ile, paroissoient absolument livrés au premier ministre, dont ils étoient même le conseil secret. Mais M. le duc avoit entrepris de les perdre tous deux, et le cardinal n'étoit pas disposé à les défendre contre un prince du sang, le seul qu'il redoutât.

M. le duc étoit très-borné, opiniâtre, dur, même féroce, et, quoique prince, glorieux comme un homme nouveau. Il n'avoit d'esprit que pour sentir combien il pouvoit se prévaloir de son rang. Sans aucun motif personnel dans la persécution qu'il suscitoit à Le Blanc et à Belle-Ile, il n'étoit que l'instrument de la marquise de Prie, sa maîtresse. Cette femme a régné si despotiquement sous le ministère de M. le duc, qu'il est à propos de la faire connoître.

La marquise de Prie avoit plus que de la beauté :

toute sa personne étoit séduisante. Avec autant de grâces dans l'esprit que dans la figure, elle cachoit, sous un voile de naïveté, la fausseté la plus dangereuse sans la moindre idée de la vertu, qui étoit à son égard un mot vide de sens, elle étoit simple dans le vice, violente sous un air de douceur, libertine par tempérament; elle trompoit avec impunité son amant, qui croyoit ce qu'elle lui disoit contre ce qu'il voyoit lui-même. J'en pourrois rapporter des traits assez plaisans, s'ils n'étoient pas trop libres. Il suffit de dire qu'elle eut un jour l'art de lui persuader qu'il étoit coupable d'une suite de libertinage dont il n'étoit que la victime.

Elle étoit fille de Berthelot de Pléneuf, riche financier, qui, étant un des premiers commis du chancelier Voisin, ministre de la guerre, avoit fait une fortune immense dans les entreprises des vivres, et tenoit une maison opulente. Sa femme en faisoit les honneurs avec de l'esprit, de la figure, et un ton noble, elle s'étoit formé une espèce de cour, dont elle se faisoit respecter. Entourée d'adorateurs qui s'empressoient à lui plaire, elle eut beaucoup d'amis distingués, qui ne lui manquèrent dans aucun temps de disgrâce. Elle se fit une occupation, durant l'enfance de sa fille, de lui donner l'éducation la plus soignée, et s'applaudissoit de ses soins. Mais à peine la fille commença-t-elle à fixer sur elle les regards, qu'elle déplut à sa mère. L'aigreur de celle-ci excita les plaisanteries de l'autre : une haine réciproque s'alluma entre elles, et bientôt devint une antipathie. Pléneuf, pour avoir la paix chez lui, maria sa fille au marquis de Prie, parrain du Roi, et qui fut nommé

à l'ambassade de Turin, où il emmena sa femme. Au retour, la fille, se prévalant de son état, traita sa mère comme une bourgeoise, et ne voulut voir de l'ancienne société que ceux qui abandonneroient totalement sa mère. Plusieurs désertèrent, et s'attachèrent à la fille, qui, ne voulant point de partage, étendit son animosité contre sa mère sur ceux qui lui restèrent attachés, du nombre desquels étoit Le Blanc. La marquise de Prie saisit, pour le perdre, l'occasion de la banqueroute de La Jonchère, trésorier de l'extraordinaire des guerres, qui fut mis à la Bastille; et comme c'étoit un protégé de Le Blanc, on prétendit que ce ministre avoit puisé dans la caisse, et contribué à la faillite du trésorier. M. le duc, excité par sa maîtresse, s'adressa au duc d'Orléans et au premier ministre, demanda qu'on fît justice de ceux qui avoient eu part au dérangement de La Jonchère, et insista principalement sur Le Blanc.

Le duc d'Orléans auroit désiré de sauver un homme qu'il aimoit, et par qui îl avoit été bien servi; mais il y avoit long-temps que toutes ses volontés étoient subordonnées à celles du cardinal, qui, pour plaire à M. le duc, abandonna Le Blanc. D'ailleurs il étoit charmé de se défaire d'un ministre qui ne lui devoit rien, et de donner la place à un homme qui fût uniquement à lui. Le Blanc fut donc obligé de donner sa démission, peu de temps après mis à la Bastille ; et la chambre de l'Arsenal eut ordre d'instruire son procès.

Le département de la guerre fut donné à Breteuil, intendant de Limoges. On fut étonné de voir un ministre consommé, actif, plein d'expédiens, aimé des

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