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fance? C'est ce que nulle biographie et nul souvenir intime de famille ne peuvent dire; mais la position des parens du jeune Pierre permet les conjectures et l'on pourrait même avec certitude en affirmer la plupart des détails. Chrétiens et honnêtes comme les hommes des anciens jours, M. et Mme Corneille prodiguèrent à leur fils unique ces mille soins physiques et moraux dont Dieu a si bien donné la science à ceux qui croient en lui. Probablement gâté par sa mère, à qui revenait de droit la première éducation, et plus sévèrement traité par son père que les devoirs de sa charge éloignaient journellement de la rue de la Pie, son cœur d'enfant se développa sous ce double rayon de l'amour de la mère et de la crainte du père, ce double élément que l'on retrouve au berceau de toute éducation. Plus tard à la crainte se mêla la tendresse, et elle devint respect; mais les traces de ces premières impressions d'enfant se retrouvent dans Pierre Corneille au moment solennel et imposant, où il lui fallut décider ce qu'il serait dans le monde. Les vœux de son père l'appelaient au barreau de Rouen, et la charge d'avocat-général à la Table de Marbre lui promettait une vie calme et paisible, agréablement abritée sous les dossiers des plaideurs normands. La chicane devait, au bout de quelques années, donner à son protégé cette voix aigre et criarde, si souvent nécessaire au bon droit, et cette figure refrognéc,

apanage indispensable de tout défenseur des intérêts d'autrui; au demeurant honnête homme, bon chrétien, honorablement marié, ne sachant d'autre chemin que celui de la rue de la Pie au palais et celui de l'Église, tel était l'avenir que rêvait pour son fils, le maître des eaux et forêts. Cette perspective, bien que douce aux cœurs droits qu'accompagne une intelligence modeste, devait sembler bien noire au jeune homme qui devait faire le Cid et Horace, et mille étranges désirs, révélations intermittentes de son génie, devaient fermenter dans son cerveau. Cependant, ces souvenirs d'éducation première dont nous parlions tout à l'heure agirent avec tant de force sur son âme qu'il brava courageusement toutes ses répugnances, et plaida une cause. On sait qu'il fallut un événement, bien simple sans doute, mais notable dans la vie du fils d'un bourgeois de Rouen, pour vaincre les incertitudes et la pudeur native du jeune poète et pour produire Mélite.

Pour préparer à Pierre Corneille la carrière à laquelle il le destinait, le père de notre héros chercha à lui donner une bonne éducation, sa position de noble d'hier ne lui ayant point heureusement fait désirer pour son fils le parti des armes, presque inséparable en ce temps-là de l'ignorance, surtout dans les grades peu élevés. En ce temps-là, le collége de Rouen était dirigé par les Jésuites: on y mit le jeune Corneille, qui puisa là de bonne heure le goût des études

classiques. Presque tous les Jésuites d'alors se livraient avec ardeur à la composition des vers latins, et, n'étaient la trop grande pureté de langage et la peur de s'écarter des lisières de Virgile ou d'Ovide, on se serait cru au temps d'Auguste. Le jeune Corneille dut adopter ce genre d'étude avec amour, lui qui plus tard, parvenu au faîte de la gloire, traduisait le P. de La Rue et Santeuil, et s'amusait encore parfois à aligner le distique boiteux des latins. L'amour des bons Pères pour la latinité allait si loin que, lorsque venait la distribution des prix, Plaute et Térence étaient mis à contribution et l'on jouait souvent une pièce latine, fruit des labeurs du régent de rhétorique ou de quelque autre professeur, passé maître en la langue de Cicéron. Mais parfois aussi la comédie et la tragédie étaient écrites en français, et bien que l'intrigue en fût simple et que l'on dût bannir de la vue comme du souvenir des écoliers un des ressorts du drame les plus nécessaires et les plus dangereux, l'amour, Pierre Corneille dut sans doute à ces représentations les premières révélations de son génie, et cette fois, devant la gloire du poète, le bon Rollin aurait eu tort, lui qui bannissait avec tant de sévérité et de si bonnes raisons les représentations dramatiques de son collége. Lorsque Corneille fit Mélite, je doute que jamais de sa vie il eût assisté à une tragédie ou à une farce donnée par de vrais comédiens, la sévérité de mœurs de

sa famille et le peu de valeur des auteurs et des acteurs de ce temps qui couraient la province, ne faisant point de ce genre de divertissement un attrait pour les cœurs honnêtes et chrétiens.

A part la volonté paternelle et le désir maternel, Corneille était donc dans toutes les conditions de famille et d'éducation requises pour faire un grand homme complet. N'étant point obligé par sa naissance d'aller chercher la gloire au milieu des camps ou de demander son pain quotidien au travail mercantile de la boutique, son antique bourgeoisie et sa noblesse récente le mettaient en état de se présenter à la cour sans forfanterie et sans bassesse; il n'eut point besoin de faire le capitan comme Scudéry ou de rougir de son père comme Voiture. Mais il put arriver

chez le cardinal le front haut et la tête levée avec son nom, moitié bourgeois moitié romain, et faire porter les regards de tout ce qui s'appelait ami des lettres et des arts vers cette province d'où il venait, en ce temps, à pied ou tout au plus par le coche, et qui devait fournir tant de grands hommes à ce grand siècle qui eut Louis-le-Grand pour Auguste et pour Mécène. Déjà Malherbe et Bertaut avaient fait retentir les échos du son måle et harmonieux de la muse normande; en 1601 était né dans la méme province que Corneille ce Scudéry, tant estimé de ses contemporains, et qui devait être jaloux de la gloire de notre héros et en 1592, elle avait mis au jour

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l'abbé de Bois-Robert qui fut son collègue chez le cardinal; en 1605, Sarrasin y naquit, Sarrasin, l'ami de Scarron, dont les œuvres littéraires sont dignes d'estime et qui eut la lâcheté ou plutôt la prudence de nommer Hardy avec éloges, sans oser louer Corneille, tant était grande la crainte qu'inspirait le cardinal tout-puissant.

Après la naissance de Corneille, le sol normand, si fertile en illustrations, se montra presque inépuisable. Ce furent, en 1607, Madeleine de Scudéry, le fameux auteur de la Clélie, et le géographe de la carte de Tendre; en 1612, Isaac de Benserade, l'intrépide fabricant de rondeaux; en 1613, le voluptueux Saint-Evremond, qui ne put s'empêcher de payer son tribut d'hommages à la gloire de notre héros, son compatriote. En 1610, c'avait été François de Mézeray, long-temps le seul historien français; en 1615, ce fut Tanneguy Lefèvre, le père de madame Dacier; en 1618, Guillaume de Brébeuf, si bon catholique et si bon poète; en 1624, Regnault de Segrais, le traducteur de Virgile et l'auteur d'Athys; en 1630, Huet, évêque d'Avranches, et jusqu'en 1632, le pauvre Pradon, ce dernier fléau du grand Germanicus à qui la postérité a fait trop cruellement peut-être expier les bravos achetés par la duchesse de Bouillon: Chaulieu y naquit en 1639, et s'il faut parler des peintres qu'elle produisit, Jouvenet y vint au monde en 1644, et Nicolas Poussin y était né en 1594, la même année que

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