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« Enfants de Dhoubyân, nous tuerons vos chefs, nous les tuerons, comptez-y, en représailles du meurtre de Khâlid, et nous ferons un exemple qui jettera l'effroi dans l'âme des méchants. »

"

Lors donc que vous verrez venir un des nôtres en leste équipage, tenez-vous sur vos gardes, enfants de Dhoubyân! car nous ne cherchons pas une indemnité en chameaux. »

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NOTES.

Il y a ici une lacune que je suis forcé de remplir avec le roman d'Antar, faute de mieux. Je dis faute de mieux, parceque le récit de Maydâniyy étant en contradiction, sous plusieurs rapports essentiels, avec celui d'Abou-Oubaydah, ne me paraît pas plus digne de foi que celui de l'auteur d'Antar. (Voyez son commentaire sur le proverbe Man yaschtarî sayfî wahâdhâ atharouh.) Maydâniyy m'a l'air de n'avoir tenu aucun compte de la vérité historique. Il avait une collection d'adages à commenter, et il lui fallait une anecdote pour chacun. Il a donc choisi en toute occurrence, parmi les traditions (authentiques ou fabuleuses) parvenues à sa connaissance, celle qui cadrait le mieux avec le proverbe dont il s'agissait d'expliquer l'origine. Observez d'ailleurs qu'il a emprunté un grand nombre d'articles tout faits aux recueils de ce genre qui existaient déja de son temps, recueils auxquels le même reproche est applicable, et plus justement applicable; car, en sacrifiant la vérité traditionnelle aux convenances de ses Proverbes, Maydâniyy n'a fait que suivre le chemin battu. Il avait lu, du moins il l'affirme, les livres d'Assmaïyy et d'Abou-Oubaydah; mais, malheureusement pour nous, ce ne sont pas là les sources qu'il a mises le plus souvent à contribution. Je crois donc pouvoir placer son témoignage (sur les faits particuliers que j'ai à restaurer) au niveau de celui des Anátirah, auxquels je les emprunte provisoirement. (Anâtirah est le pluriel d'Antariyy; on appelle ainsi les rhapsodes qui lisent dans les cafés les exploits d'Antar et des cavaliers de son temps.)

Voici le précis de ce qu'ils racontent en mauvaise prose rimée, entrelardée de vers boiteux :

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Après le meurtre de Zouhayr, les Absides marchèrent contre les Amirides (la tribu du meurtrier) en l'absence d'Antar, le plus valeureux cavalier des Absides et de toute l'Arabie, et leur ayant livré bataille, ils reçurent un échec au commencement de l'action. Mais Antar, selon son invariable usage, arriva au moment où tout était perdu, et rétablit leurs affaires en un tour de main. Les guerriers conduits par Antar tuèrent en cette rencontre deux cents cavaliers âmirides, parmi lesquels se trouvait Djandah, fils de Bakkâ, celui même qui, selon le roman, avait tué Zouhayr d'un coup de sabre à la tête. (Selon le récit authentique d'Abou-Oubaydah, ce Djandah faisait bien partic du guet-apens contre Zouhayr; mais ce fut l'aïeul de l'amante de Madjnoûn, Mouâwiyah, surnommée l'Akhyal, qui lui porta le coup mortel.) Après cette première victoire des Absides, les deux tribus s'étant retirées, chacune de son

côté, Khalid, fils de Djafar, chef des Amirides, rassembla de nouvelles forces, et profita d'une nouvelle absence d'Antar pour attaquer les Absides. On conçoit qu'il eut d'abord le dessus, et Hârith, fils de Zhâlim, qui avait sollicité et obtenu le commandement de l'armée abside, ayant été mis en fuite, se trouva réduit à solliciter l'appui de Noumàn, roi de Hîrah. Mais immédiatement après la déroute de Hârith, Antar arrive tout à point, comme la première fois, et rend la victoire à sa tribu. C'est alors que Khâlid, fils de Djafar, obligé de fuir à son tour, vient prier le roi de Hîrah de s'interposer comme médiateur entre les deux tribus belligérantes. Noumân accepte ce rôle, et, comme préliminaires de la paix, réunit les deux chefs à un banquet diplomatique où l'on boit démesurément. Tout en buvant, Khâlid raconte les vicissitudes de la dernière journée, comment il a d'abord battu à plates coutures Hârith fils de Zhàlim (ici présent), - et comment il a été battu ensuite par Antar, qui a remporté sur lui une victoire complète. Harith écoute ce récit avec une rage concentrée. Il est jaloux d'Antar, profondément humilié de sa propre défaite, et en vérité il y a de quoi, car si l'on réfléchit qu'Antar est le vainqueur du vainqueur de Hârith, on reconnaîtra tout de suite que la défaite de Harith est une défaite au carré... Il lui faut donc une victime, et, doublement excité par la honte et le vin, il prend la résolution d'assassiner Khâlid dans la nuit. Il l'assassine effectivement, et puis s'échappe. On court après lui, mais inutilement. Après ce nouveau meurtre, les deux tribus firent la paix, et agirent

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ensuite avec le plus parfait accord. »

Tel est en abrégé le récit des Anâtirah, qui vaut bien, à tout prendre, celui de Maydâniyy; car il s'accorde du moins avec la tradition d'Abou-Oubaydah sur deux points: le premier, que la rencontre de Hârith et Khâlid à la cour de Hîrah, chez Nouman ou Aswad, son frère, fut une rencontre fortuite ; et en second lieu, que l'assassinat de Khâlid est tout-à-fait en dehors de la querelle des enfants de Zouhayr. Or Maydâniyy veut nous faire croire le contraire, comme on le verra tout-à-l'heure.

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Je n'en demande pas moins pardon à mes lecteurs d'avoir inséré dans un Mémoire historique un extrait de l'épopée du Vulgaire; ce n'est point que je partage l'intolérance des Oulamâ relativement aux contes qui se débitent dans les cafés, ou sous la tente des modernes Bédouins: loin de là; je suis enchanté que le mob arabe ait sa littérature, et je voudrais bien que le mob français eût la sienne. Mais, quand on a lu et compris les traditions originales d'Abou-Oubaydah, on ne saurait entendre sans dégoût la prose rimée de l'auteur de la Vie d'Antar, quel qu'il soit, et l'on s'indigne surtout de voir qu'il ait assez compté sur l'ignorance de ses lecteurs pour mettre dans la bouche d'Asmaïyy (l'un des précepteurs de Hâroûn Arraschîd) des récits où l'absurdité de nos romans de chevalerie se pavane dans les atours d'un langage platement prétentieux. Au reste, pour peu qu'on médite sur le sort des traditions arabes, cette indignation fait bientôt place à une autre, bien autrement juste et profonde. Pourquoi ces Oulamâ, qui ont mis la Vie d'Antar à l'index comme absurde; - pourquoi ces savants-là ne nous ont-ils pas conservé le dépôt précieux des traditions originales d'Asmaïyy?

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Je ne fais ici qu'exprimer sous une forme française le dédain des littérateurs arabes.

Fourquoi ont-ils négligé, oublié, perdu leurs propres anuales, abandonné l'étude de l'antiquité, et préféré à la vérité historique le dédale des absurdités théologiques? N'ont-ils pas bien mérité l'affreuse déconsidération où ils sont tombés de nos jours, ceux qui ont fait un si sot emploi de leurs facultés intellectuelles?

Je passe au récit de Maydâniyy, qui a pour objet d'expliquer l'origine de cet adage: Man yaschtari sayfî, etc., c'est-à-dire,

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Qui veut acheter mon sabre? Voilà de ses coups!,

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Il a emprunté à Moufaddal, fils de Salamah, une petite anecdote tout arrangée pour son petit proverbe. La voici:

« Le premier qui ait fait entendre ces paroles est Hârith, fils de Zhâlim, et voici à quelle occasion. Khâlid, fils de Djafar, ayant tué Zouhayr, fils de Djazîmah, roi des Absides, se vit à l'étroit sur la terre, sachant bien que la postérité de Ghatafan (dont les Absides faisaient partie) ne le laisserait pas tranquille. Il alla donc se réfugier près de Noumân, et implora sa protection. Nouman l'accueillit, lui et son frère Outbah, fils de Djafar, et tout son monde. Cependant Qays, fils de Zouhayr, fit des préparatifs de guerre contre les Amirides; mais l'hiver étant survenu (avec la disette, disette relative), il fut obligé de différer sa vengeance. Lors Hârith, fils de Zhâlim (de la tribu de Dhoubyân, qui était, ainsi que la tribu d'Abs, issue de Ghatafân), dit à Qays (fils et successeur du roi assassiné): « Je te laisse le soin de la guerre, ô Qays; toi et les tiens, vous vous y entendez mieux que moi. Mon affaire est d'atteindre Khâlid et de le tuer. Je me charge de cette entreprise, et je pars. » — « Mais, dit Qays, Noumân lui a ouvert un asile. » — « Je te dis que je le tuerai jusque dans le giron de Noumân. »

« Or Noumân avait fait dresser une tente pour Khâlid et son frère, et il partageait avec eux son repas et son vin, quand Hârith arriva, suivi d'un valet de la tribu de Mouhârib, et se fit annoncer. Le roi ordonna son admission immédiate, et le reçut avec des démonstrations de joie; car Hârith avait un extérieur agréable et une conversation attachante; il savait mieux que personne toutes les circonstances des journées célèbres, et les racontait parfaitement. Noumân lui fit donc l'accueil le plus distingué. Khâlid en fut piqué au vif, et tout en mangeant des dattes avec le roi et Hârith, il dit à ce dernier : " Abou-Laylâ (c'était le surnom de Hârith), tu ne me remercies pas ?» « Et de quoi? N'est-ce pas moi qui ai tuẻ Zouhayr, et n'es-tu pas devenu par sa mort chef de Ghatafân? » (Il veut dire « l'un des chefs de Gatafân. »)

"

«Harith tenait une poignée de dattes pendant que Khâlid l'apostrophait ainsi; la main commença aussitôt à lui trembler, et les dattes lui échappaient en même temps qu'il disait : « C'est donc toi... qui as tué... Zouhayr? » Noumân ayant observé l'émotion terrible à laquelle Hârith était en proie, toucha légèrement Khâlid de l'extrémité de sa canne, en lui disant : mourras de la main de cet homme. >>

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« Tu

Quelques instants après, Khâlid et son frère se levèrent, et, laissant Harith avec le roi, se retirèrent dans leur tente; après en avoir boutonné les rideaux, ils se couchèrent et s'endormirent. Hârith sortit à son tour, et fit préparer sa monture, puis se rendit à la tente de Khálid, dont il enleva

les boutons d'un coup de sabre. Il entra, et ayant trouvé les deux frères endormis, il commença par éveiller Khâlid. Lorsque celui-ci fut debout: —«As-tu donc cru,» lui dit Hârith, « que tu pouvais répandre impunément le sang de Zouhayr?, - et tombant sur lui à coups de sabre, il le tua. Outbah s'étant éveillé au moment du meurtre, Hârith lui dit : « Si tu souffles, je t'étends à côté de lui ! » – puis il sortit, monta à cheval, et prit la fuite.

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Il n'eut pas plus tôt tourné le dos, qu'Outbah se précipita hors de sa tente, et, parvenu à la portière de celle du roi, s'écria: «< Qu'est-ce donc que protection royale? » On lui répondit : « Ne crains rien. » — « Sachez, dit Outbah, que Hârith a tué Khâlid dans sa tente, et que l'asile du roi est violé. »

« Noumân envoya aussitôt sa cavalerie à la poursuite de Harith. On l'atteignit avant l'aurore; mais il fit tête aux cavaliers, et en tua un grand nombre. Il ne donnait point sur un groupe qu'il ne le dispersât; il ne chargeait point un cavalier qu'il ne le mît hors de combat, et, en faisant des prodiges de valeur, il chantait sur le mètre appelé radjaz:

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« Mon nom est Abou-Laylâ ; celui de mon sabre est Maloûb. »

"

Qui veut acheter mon sabre? Voilà de ses coups! »

Il fit tant de peur aux cavaliers de Noumân qu'ils lâchèrent pied et retournèrent au camp. -- Ce proverbe s'emploie pour effrayer quelqu'un par la perspective d'un mal avec lequel il a fait connaissance. »

Je ne doute pas que l'anecdote de Maydâniyy ne soit reçue par bien des gens comme une bonne histoire; et si Dieu me prête vie, je pourrai bien traduire quelque jour les proverbes de Maydâniyy d'un bout à l'autre ; mais ce ne sont pas les bonnes histoires que je cherche à présent; — je cherche la poésie et la vérité, que j'ai toujours crues inséparables.

* La tribu de Dhoubyân était, ainsi que la tribu d'Abs, issue de Ghatafân, et avait été assujettie à Zouhayr, chef des Absides, avec toutes les tribus issues de Hawâzin. J'ai lieu de croire qu'il en était de même des Soulaymides, auxquels appartenait Sakhr, fils de Scharîd. Si l'on peut y joindre Bâhilah, Fahm et Adwân, le petit roi Zouhayr aurait gouverné despotiquement pendant un temps tous les Arabes de la tige de Qays-Aylân.

3 Les anciens Arabes aimaient à abréger les noms propres au vocatif. Ce retranchement de quelques lettres, dans la compellation, n'était pas obligé, mais indiquait probablement une sorte de familiarité, comme, en anglais, Harry au lieu de Henry, Dick au lieu de Richard, etc.

4 Pour comprendre tout ce qu'il y a d'amer et d'humiliant dans le propos de Khâlid, il faut se souvenir que celui auquel il s'adressait était de la même souche que le roi assassiné; tous les deux étaient issus de Ghatafân : les tribus d'Abs et de Dhoubyân étaient sœurs, et quelque tyrannique qu'eût été le gouvernement de Zouhayr, il y avait une ironie révoltante de la part de Khâlid à réclamer du Dhoubyânide un tribut d'actions de graces pour un acte qui, selon les mœurs arabes, appelait sur lui la vengeance des Banoû-Dhoubyân à défaut de celle des Banoû-Abs. Khalid compromettait par ce propos

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Ces prouesses, dont Abou-Oubaydah ne dit pas un mot, se retrouvent comme de juste, dans le roman. Là, du moins, elles sont à leur place.

l'inviolabilité de l'asile royal, ainsi qu'on le lui fit remarquer; car le plus rigoureux de tous les devoirs pour un Arabe est de veiller à la sûreté de son hôte; d'où il résulte que celui-ci en s'exposant à une mort violente, expose a infamie le maître de sa demeure temporaire.

JOURNÉE DE RAHRAHAN.

(Selon le récit d'Abou-Oubaydah, fils de Mouthanna.)

Aussitôt Khâlid tué, Hârith, fils de Zhâlim, prit la fuite, et, après avoir couru le monde1, vint se réfugier chez Mabad, fils de Zourârah, de la tribu des Banoû-Tamîm. A cette époque Zourârah n'existait plus. Mabad ayant promis son appui au fugitif, les Banoû-Tamim lui dirent : « A quoi penses-tu d'accueillir ce malencontreux? Veux-tu attirer sur nous la colère d'Aswad? » En conséquence les Tamîmides séparèrent leur cause de celle de Mabad, à l'exception des Banoû-Mâwiyyah et des Banoû-Abdallah-ibn-Dârim, qui demeurèrent unis au protecteur de l'étranger.

Laqît, autre fils de Zourârah, composa à cette occasion un poëme satirique où il passe en revue les nombreuses familles de la tribu de Támîm, et les fustige tour-à-tour. Les familles d'Adiyy et de Taym sont celles qu'il maltraite le plus :

« Mais rien de plus piteux, au jour du danger, que les enfants d'Adiyy et de Taym; ce n'est pas chez eux qu'il faut aller chercher des champions. »

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Lorsque leurs lances paraissent sur l'horizon avec Zayd en tête, l'ennemi est bien tranquille; - il sait depuis long-temps que les lances de Zayd ne font pas de mal. »

Cependant Ahwass fils de Djafar fils de Kilâb, le frère de Khâlid assassiné, ayant été informé du lieu où Hârith, fils de Zhâlim, s'était réfugié, vint attaquer Mabad son hôte. Leur rencontre eut lieu à Rahrahân, non loin d'Oukâzh, dans le Hidjâz. Les Tamimides furent mis en déroute, et Mabad, fils de Zourârah, fait prisonnier. Ceux qui le prirent étaient deux frères, Amir et Toufayl, fils de Mâlik fils de Djafar fils de Kilâb.

Laqît, fils de Zourârah, vint les trouver pour traiter avec eux de la rançon de son frère, et leur dit : « J'ai deux cents chameaux à votre service. » — Les fils de Mâlik lui répondirent : « Tu es chef d'Ilyâs, et Mabad ton frère est chef de Moudar 2; nous n'ac

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