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Je ferais comme un autre, et, sans chercher si loin,
J'aurais toujours des mots pour les coudre au besoin:
Si je louais Philis, en miracles féconde,

Je trouverais bientôt: à nulle autre seconde;
Si je voulais vanter un objet nonpareil,

Je mettrais à l'instant: plus beau que le soleil;
Enfin, parlant toujours d'astres et de merveilles.
De chefs-d'œuvre des cieux, de beautés sans pareilles,
Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard,
Je pourrais aisément, sans génie et sans art,
Et transposant cent fois et le nom et le verbe,
Dans mes vers recousus mettre en pièces Malherbe.
Mais mon esprit, tremblant sur le choix de ses mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne saurait souffrir qu'une phrase insipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vide:
Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un vers renferma sa pensée,
Et, donnant à ses mots une étroite prison,
Voulut avec la rime enchaîner la raison!
Sans ce métier, fatal au repos de ma vie,
Mes jours pleins de loisir couleraient sans envie;
Je n'aurais qu'à chanter, rire et boire d'autant,
Et comme un gros chanoine, à mon aise et content,
Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
Mon cœur, exempt de soins, libre de passion,
Sait donner une borne à son ambition;
Et, fuyant des grandeurs la présence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune;
Et je serais heureux, si, pour me consumer,
Un destin envieux ne m'avait fait rimer.

-Sat. II.

VOLTAIRE (1694-1778)

MÉROPE

Mérope. Guerriers, prêtres, amis, citoyens de Messène,
Au nom des dieux vengeurs, peuples, écoutez-moi :
Je vous le jure encore, Egisthe est votre roi.

Il a puni le crime, il a vengé son père.
Celui que vous voyez traîné sur la poussière,

C'est un monstre ennemi des dieux et des humains:
Dans le sein de Cresphonte il enfonça ses mains.
Cresphonte, mon époux, mon appui, votre maître,
Mes deux fils sont tombés sous les coups de ce traître.
Il opprimait Messène, il usurpait mon rang;

Il m'offrait une main fumante de mon sang.

[Courant vers Egisthe, qui arrive la hache à la main.
Celui que vous voyez, vainqueur de Polyphonte,
C'est le fils de vos rois, c'est le sang de Cresphonte,
C'est le mien, c'est le seul qui reste à ma douleur.
Quels témoins voulez-vous plus certains que mon cœur?
Regardez ce vieillard: c'est lui dont la prudence

Aux mains de Polyphonte arracha son enfance.
Les dieux ont fait le reste.

Narbas.

Oui, j'atteste ces dieux

Que c'est là votre roi qui combattait pour eux.

Egisthe. Amis, pouvez-vous bien méconnaître une mère?
Un fils qu'elle défend? un fils qui venge un père?
Un roi vengeur du crime?

Mérope.
Et si vous en doutez,
Reconnaissez mon fils aux coups qu'il a portés,
A votre délivrance, à son âme intrépide.

Eh! quel autre jamais qu'un descendant d'Alcide,
Nourri dans la misère, à peine en son printemps,
Eût pu venger Messène et punir les tyrans?
Il soutiendra son peuple, il vengera la terre.
Ecoutez, le ciel parle; entendez son tonnerre:

Sa voix rend témoignage et dit qu'il est mon fils...

-v. 7.

ÉPITRE A HORACE

Toujours ami des vers, et du diable poussé,
Au rigoureux Boileau j'écrivis l'an passé...
Je t'écris aujourd'hui, voluptueux Horace,
A toi qui respiras la mollesse et la grâce,
Qui, facile en tes vers et gai dans tes discours,
Chantas les doux loisirs, les vins et les amours;
Et qui connus si bien cette sagesse aimable
Que n'eut point de Quinault le rival intraitable...
Ce monde, tu le sais, est un mouvant tableau,
Tantôt gai, tantôt triste, éternel et nouveau.
L'empire des Romains finit par Augustule;
Aux horreurs de la Fronde a succédé la bulle;
Tout passe, tout périt hors ta gloire et ton nom;
C'est là le sort heureux des vrais fils d'Apollon.
Tes vers en tous pays sont cités d'âge en âge.
Hélas! je n'aurai point un pareil avantage.
Notre langue, un peu sèche et sans inversions,
Peut-elle subjuguer les autres nations?
Nous avons la clarté, l'agrément, la justesse ;
Mais égalerons-nous l'Italie et la Grèce?
Est-ce assez, en effet, d'une heureuse clarté,
Et ne péchons-nous pas par l'uniformité?
Je vois de tes rivaux l'importune phalange
Sous tes traits redoutés enterrés dans la fange.
Que pouvaient contre toi ces serpents ténébreux?
Mécène et Pollion te défendaient contre eux.
Il n'en est pas ainsi chez nos Velches modernes.
Un vil tas de grimauds, de rimeurs subalternes,
A la cour quelquefois a trouvé des prôneurs

Et fait dans l'antichambre entendre ses clameurs.
Chassons loin de chez moi tous ces rats du Parnasse ;
Jouissons, écrivons, vivons, mon cher Horace.
J'ai déjà passé l'âge où ton grand protecteur,
Ayant joué son rôle en excellent acteur,

Et sentant que la mort assiégeait sa vieillesse,
Voulut qu'on l'applaudît lorsqu'il finit sa pièce.
J'ai vécu plus que toi, mes vers dureront moins

(B 84)

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N

Mais au bord du tombeau je mettrai tous mes soins A suivre les leçons de ta philosophie,

A mépriser la mort en savourant la vie,

A lire tes écrits pleins de grâce et de sens,
Comme on boit d'un vin vieux qui rajeunit les sens.
Avec toi l'on apprend à souffrir l'indigence,
A jouir sagement d'une honnête opulence,
A vivre avec soi-même, à servir ses amis,
A se moquer un peu de ses sots ennemis,
A sortir d'une vie ou triste ou fortunée,

En rendant grâce aux dieux de nous l'avoir donnée.
Aussi, lorsque mon pouls inégal et pressé

Faisait peur à Tronchin, près de mon lit placé,
Quand la vieille Atropos, aux humains si sévère,
Approchait ses ciseaux de ma trame légère,
Il a vu de quel air je prenais mon congé;
Il sait si mon esprit, mon cœur était changé...
Profitons bien du temps; ce sont là tes maximes.
Cher Horace, plains-moi de les tracer en rimes.
La rime est nécessaire à nos jargons nouveaux,
Enfants demi-polis des Normands et des Goths;
Elle flatte l'oreille, et souvent la césure
Plaît, je ne sais comment, en rompant la mesure.
Des beaux vers pleins de sens le lecteur est charmé.
Corneille, Despréaux et Racine ont rimé.

Mais j'apprends qu'aujourd'hui Melpomène propose
D'abaisser son cothurne et de pleurer en prose.

-Epitres, 121.

GILBERT (1751-1780)

ADIEUX A LA VIE

J'ai révélé mon cœur au Dieu de l'innocence;
Il a vu mes pleurs pénitents;

Il guérit mes remords, il m'arme de constance:
Les malheureux sont ses enfants.

Mes ennemis, riant, ont dit dans leur colère:
Qu'il meure et sa gloire avec lui!

Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père:
Leur haine sera ton appui.

A tes plus chers amis ils ont prêté leur rage;
Tout trompe ta simplicité:

Celui que tu nourris court vendre ton image,
Noire de sa méchanceté.

Mais Dieu t'entend gémir, Dieu vers qui te ramène
Un vrai remords né des douleurs;

Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine
D'être faible dans les malheurs.

J'éveillerai pour toi la pitié, la justice
De l'incorruptible avenir:

Eux-même épureront, par leur long artifice,
Ton honneur qu'ils pensent ternir.

Soyez béni, mon Dieu! vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil;
Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs:

Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure, Et vous, riant exil des bois!

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