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Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut, pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée

Tant d'amis sourds à mes adieux!

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée, Qu'un ami leur ferme les yeux!

-- Odes, 8.

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ANDRÉ CHÉNIER (1762-1794)

LE JEUNE MALADE

'Apollon, dieu sauveur, dieu des savants mystères,
Dieu de la vie et dieu des plantes salutaires,
Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant,
Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant!
Prends pitié de sa mère, aux larmes condamnée,
Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée,
Qui n'a pas dû rester pour voir mourir son fils!
Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis,
Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante
Qui dévore la fleur de sa vie innocente.
Apollon, si jamais, échappé du tombeau,
Il retourne au Ménale, avoir soin du troupeau,
Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue
De ma coupe d'onyx, à tes pieds suspendue;

Et, chaque été nouveau, d'un jeune taureau blanc
La hache à ton autel fera couler le sang.

Eh bien! mon fils, es-tu toujours impitoyable?

Ton funeste silence est-il inexorable?

Enfant, tu veux mourir? Tu veux, dans ses vieux ans,
Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs?

Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière?
Que j'unisse ta cendre à celle de ton père?
C'est toi qui me devais ces soins religieux,
Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux.
Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume?

Les maux qu'on dissimule en ont plus d'amertume.
Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis?

Ma mère, adieu; je meurs, et tu n'as plus de fils.
Non, tu n'as plus de fils, ma mère bien-aimée.
Je te perds. Une plaie ardente, envenimée,
Me ronge; avec effort je respire, et je crois
Chaque fois respirer pour la dernière fois.
Je ne parlerai pas: adieu! Ce lit me blesse,
Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse;

Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me meurs.
Tourne-moi sur le flanc. Ah! j'expire! ô douleurs!
—Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage:
Sa chaleur te rendra ta force et ton courage.
La mauve, le dictame ont, avec les pavots,
Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos...
Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière;
C'est ta mère, ta vieille inconsolable mère,
Qui pleure; qui jadis te guidait pas à pas,
T'asseyait sur son sein, te portait dans ses bras;
Que tu disais aimer, qui t'apprit à le dire;
Qui chantait, et souvent te forçait à sourire,
Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs,
De tes yeux enfantins faisaient couleur des pleurs.
Tiens, presse de ta lèvre, hélas! pâle et glacée,
Par qui cette mamelle était jadis pressée.
Que ce suc te nourrisse et vienne à ton secours,
Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours."

LA JEUNE TARENTINE

-Pp. 46-50.

Pleurez, doux alcyons! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez!
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine:
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,

Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe; étonnée, et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par son ordre, bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement;

Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas! autour de son cercueil :

"Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée;
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée:
L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux.
-Pp. 54-56.

AUX MUSES CHAMPÊTRES

Quand pourrai-je habiter un champ qui soit à moi, Et, villageois tranquille, ayant pour tout emploi Dormir et ne rien faire, inutile poète,

Goûter le doux oubli d'une vie inquiète !

Vous savez si toujours, dès mes plus jeunes ans,
Mes rustiques souhaits m'ont porté vers les champs;
Si mon cœur dévorait vos champêtres histoires,
Cet âge d'or si cher à vos doctes mémoires,
Ces fleuves, ces vergers, Éden aimé des cieux,
Et du premier humain berceau délicieux;
L'épouse de Booz, chaste et belle indigente,
Qui suit d'un pas tremblant la moisson opulente;
Joseph, qui dans Sichem cherche et retrouve, hélas!
Ses dix frères pasteurs qui ne l'attendaient pas;
Rachel, objet sans prix, qu'un amoureux courage

N'a pas trop acheté de quinze ans d'esclavage.
Oh! oui, je veux un jour, en des bords retirés,
Sur un riche coteau ceint de bois et de prés,
Avoir un humble toit, une source d'eau vive
Qui parle, et dans sa fuite et féconde et plaintive
Nourrisse mon verger, abreuve mes troupeaux.
Là, je veux, ignorant le monde et ses travaux,
Loin du superbe ennui que l'éclat environne,
Vivre comme jadis, aux champs de Babylone,
Ont vécu, nous dit-on, ces pères des humains
Dont le nom aux autels remplit nos fastes saints;
Avoir amis, enfants, épouse belle et sage;
Errer, un livre en main, de bocage en bocage;
Savourer sans remords, sans crainte, sans désirs,
Une paix dont nul bien n'égale les plaisirs.
Douce mélancolie, aimable mensongère,
Des antres, des forêts déesse tutélaire,

Qui vient d'une insensible et charmante langueur
Saisir l'ami des champs et pénétrer son cœur,
Quand, sorti vers le soir des grottes reculées,
Il s'égare à pas lents au penchant des vallées,
Et voit des derniers feux le ciel se colorer,
Et sur les monts lointains un beau jour expirer!
-Élégies, pp. 149 and 150.

DE L'IMITATION

Souvent des vieux auteurs j'envahis les richesses.
Plus souvent leurs écrits, aiguillons généreux,
M'embrasent de leur flamme, et je crée avec eux.
Un juge sourcilleux, épiant mes ouvrages,
Tout à coup à grands cris dénonce vingt passages
Traduits de tel auteur qu'il nomme; et, les trouvant,
Il s'admire et se plaît à se voir si savant.

Que ne vient-il vers moi? Je lui ferais connaître
Mille de mes larcins, qu'on ignore peut-être.

Mon doigt sur mon manteau lui dévoile à l'instant
La couture invisible et qui va serpentant
Pour joindre à mon étoffe une pourpre étrangère
Je lui montrerai l'art, ignoré du vulgaire,

De séparer aux yeux, en suivant leur lien,

Tous ces métaux unis dont j'ai formé le mien.
Tout ce que des Anglais la muse inculte et brave,
Tout ce que des Toscans la voix fière et suave,
Tout ce que les Romains, ces rois de l'univers,
M'offraient d'or et de soie a passé dans mes vers.
Je m'abreuve surtout des flots que le Permesse,
Plus féconds et plus purs, fit couler dans la Grèce;
Là, Prométhée ardent, je dérobe les feux
Dont j'anime l'argile et dont je fais des dieux.
Tantôt chez un auteur j'adopte une pensée,
Mais qui revêt, chez moi souvent entrelacée,
Mes images, mes tours, jeune et frais ornement;
Tantôt je ne retiens que les mots seulement:
J'en détourne le sens, et l'art sait les contraindre
Vers des objets nouveaux qu'ils s'étonnent de peindre.
La prose plus souvent vient subir d'autres lois,
Et se transforme, et fuit mes poétiques doigts;
De rimes couronnée, et légère et dansante,
En nombres mesurés elle s'agite et chante.
Des antiques vergers ces rameaux empruntés
Croissent sur mon terrain, mollement transplantés;
Aux troncs de mon verger ma main avec adresse
Les attache, et bientôt même écorce les presse.
De ce mélange heureux l'insensible douceur
Donne à mes fruits nouveaux une antique saveur.
Dévot adorateur de ces maîtres antiques,
Je veux m'envelopper de leurs saintes reliques;
Dans leur triomphe admis, je veux le partager,
Ou bien de ma défense eux-mêmes les charger.
Le critique imprudent, qui se croit bien habile,
Donnera sur ma joue un soufflet à Virgile.
Et ceci (tu peux voir si j'observe ma loi),
Montaigne, il t'en souvient, l'avait dit avant moi.
-Épîtres, iv. pp. 315, 316.

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